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Montcuq-en-Quercy blanc

Publié le 08 juillet 2024 par Alexcessif
Montcuq-en-Quercy blanc

Montcuq en Quercy Blanc H: 11.55 Dimanche 

Mon père est un homme du grand air. Il ne lit pas, n’écrit pas, n’apprends pas à jouer d’un instrument de musique. Seule la télé alimente son racisme ordinaire, lui fournit des arguments, des explications sur tout ce qui va mal dans ce pays. La gloire de mon père n’est pas là, dans cette aigreur d’homme de 91 ans limité dans ses déplacements, isolé de sa famille, confiné dans un taudis, traqué par des souvenirs de cavalcade. J’aperçois la dalle en béton souillée par la boue, le fumier et les déjections. La pluie n’arrange pas le tableau. J’avais oublié. Fléchette du Nil, la dernière jument est sous le préau entre la soue des cochons et la réserve de foin. Les bottes de paille, les sacs de grains ont toujours été plus fournis que le frigo. Play Boy, Reine, Cannelle, Tepee, tous des bourrins—terme amical de turfiste pour désigner ce bel animal—, sont morts. Habanera Bocain ne tient plus compagnie à Fléchette du Nil. C’est ainsi! C’est une histoire sans bons et sans méchants. Jean-Christophe propriétaire terrien, agriculteur est devenu éleveur, le terrain alloué au chevaux est devenu pâture de moutons. Il s’est réduit à cette dalle en béton dégueulasse, Habanera s’est enfuie, accident, fin de l’histoire. Papa ne monte plus. Pourtant il a besoin, comme la grande majorité de la population mondiale, d’animal de compagnie. Un chat, un chien, un lapin? Un cheval plutôt! Et comme un cheval s’ennuie devant BFM — sans doute n’y trouve-t’il pas d’explication sur le grand mystère des activités humaines —, il lui faut un de ses congénères histoire que deux juments heureuses galopent ensemble entre les pruniers avec un grand pré sous les sabots et la Tour de Montcuq, en face, sur l’autre versant du coteau. 

Habanera Bocain s’est enfuie, disais-je. Pendant son école buissonnière elle a mangé un truc qui l’a empoisonnée. Un antropomorphisme Daudesque m‘inciterait à croire à une évasion de petit chèvre de MR Seguin qui en marre de son vieux et d'une vie sans loups

La dalle devant la maison, je m’en souviens maintenant, souvent accueillait deux grandes tablées de randonneurs, de cavaliers, de chasseurs selon la saison. Tous des compagnons de virée, des amis, une famille. Tous morts désormais. Que s’est’il passé il y a trente ans avant que ce vieil homme devienne encombrant? Un tope-là entre deux cavaliers? Pas de bail, je te loge pour une somme dérisoire, on est potes, on se fait confiance.

Puis le vieillou s'installe sur les êtres et les choses, le logement devient insalubre, le propriétaire à autre chose à foutre, et locataire rime avec précaire avec un cheval à recaser en prime 

Dans la gloire de mon père il y avait cette notoriété de cavalier intrépide sur la route du sel avec Hugues Aufray, Gérard Klein — ça pèse—, la Camargue, la Corse, les Pyrénées, Le Compostelle, des trophées en veux tu, en voilà. La gloire de mon père dans le milieu des cavaliers ne connaissait pas de barrière sociale, ni celle du langage. Tous ceux du département qui connaissaient les bourrins connaissaient papa. Son langage pittoresque séduisait les néo-occupants anglais. Capable de ferrer un canasson, le spectacle de ce petit bonhomme au poignet ferme apte à faire grimper l’ongre le plus réticent dans le van d’un notaire ou d’un toubib, impressionnait

La gloire de mon père c’était la première cigarette qu’il m’avait interdit de fumer 

Dans la gloire de mon père il n’y avait pas de place pour le château de ma mère

Illustration: Habanera Bocain à Montcuq


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