La Fondation Clément propose une fois par an un Marché d’art où quarante plasticiens proposent chacun deux œuvres à la vente.
Ronald Cyrille y présente L’armonie (sans H) de la série Ancestors, 2022, une acrylique sur toile, de 98 x 98 cm
Avec la voix d’Alexandra Harnais
L’armonie de Ronald Cyrille
Yékrik Yékrak
Yémistikrik yémistikrak
Vous n’allez pas me croire mais je vous le jure, c’est bien ce que j’ai vu de mes yeux vu…
Au détour du bois, dans la nuit bleue aux multiples lunes, deux diables siamois…
Une diablesse et son diable, tout droit échappés d’un conte antillais …
Mi-homme, mi-plante, des feuilles de fruit à pain leur poussant dans le cou, sur la tête…
Lointains parents des hommes – arbres de Bosch, de Masson, de Lam, de Magritte, de Delvaux,
Profonds échos aussi aux poètes Ovide, Aimé Césaire, Paul Eluard, André Breton
Chacun, leur cou démesuré exagérément allongé (héritage surréaliste ou souvenir des femmes girafes du Zimbabwe ?) tirant l’un à droite, l’autre à gauche malgré leurs tresses – brindilles qui les rattachent l’un à l’autre. Ils sont apparemment fascinés, irrémédiablement attirés par une scène qui se déroule hors du champ du tableau et que nous ne pouvons voir….
A moins que comme le Chronos des grecs ou le Janus des romains ils regardent l’un le passé, l’autre l’avenir…
Ils sont masqués de rouge, à la fois semblables et différents, par la forme du nez, la moue de la bouche, la direction du regard d’un jaune reptilien, les tresses blanchies du mâle. Est-ce un masque rituel ? Un masque de carnaval ? Quelles identités sont dissimulées derrière ces masques ?
Sur le sommet du crâne, comme un cimier de danse Koni Baga de Guinée, un nid plein d’œufs, dont l’un éclos. A l’inverse du couple diabolique, les oisillons se regardent et peut- être conversent, sans dissimuler leur dentition agressive.
Chiasme et symétrie structurent avec subtilité le fantastique antillais emprunté aux contes traditionnels caribéens de Ronald Cyrille, enrichi de multiples références picturales, poétiques, antiques et contemporaines. Chaque élément nourri d’influences croisées s’ouvre, par sa polysémie, à maintes interprétations nuancées. Voilà comment une peinture, née de ce que Ronald Cyrille définit lui-même comme un vagabondage pictural, parvient à raconter autant d’histoires qu’il y a de regardeurs. Une peinture sait aussi parfois raconter des histoires.
Dominique Brebion