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Ce que les législatives 2024 en France nous disent de la Suisse (ou le contraire)

Publié le 02 juillet 2024 par David Talerman

A l’occasion des législatives surprises de 2024 en France, je vous propose une vision croisée avec la Suisse pour mieux comprendre la manière dont fonctionne le pays, ses institutions et les relations qui existent entre le peuple et ses dirigeants. Et vous verrez, on est à l’opposé sur de nombreux sujets.

Avant de continuer, je tiens à vous dire que ce qui suit n’a pas de teinte politique. Je ne suis pas là pour vous vanter tel ou tel programme ou dénoncer tel ou tel parti ou idéologie.

Je me positionne de manière neutre et factuelle.

Je ne sais pas par où commencer, tant il y a de choses à dire.

Comment les Français et les Suisses votent

Allez, on part sur la manière de voter des Français et des Suisses.

Les Français, pour les élections européennes 2024, ont massivement voté pour un candidat qui :

  • N’était objectivement pratiquement jamais présent au Parlement et n’a de fait pratiquement pas voté de loi européenne
  • N’a fait pratiquement aucune proposition de loi
  • N’a pratiquement jamais parlé d’Europe ou d’Union européenne dans son programme
  • Est objectivement eurosceptique

En clair, c’est un peu comme si les Français avaient décidé de promouvoir le cancre, le dernier de la classe, l’élève qui ne fait jamais ses devoirs et remet en cause le système éducatif.

Mais pourquoi ? Parce que les Français n’ont pas uniquement voté « pour » un candidat, mais aussi « contre » un autre. En l’occurrence contre la politique du gouvernement actuel et donc contre Emmanuel Macron.

En France, on vote volontiers de manière émotionnelle ou pour sanctionner un gouvernement ou un politique au pouvoir. En clair, les Français ne votent pas toujours pour les bons motifs.

Un exemple ?  Le référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe ? »

Je crois qu’on peut affirmer que peu de gens avait vraiment compris les détails de ce référendum (ce qui était mon cas à l’époque). Quoi qu’il en soit, les Français ont voté non à près de 55%, vraisemblablement plus pour sanctionner Jacques Chirac, les détracteurs ayant par ailleurs basé le principal de leur argumentation sur des thèmes qui n’étaient pas liés au référendum.

En Suisse, le vote est souvent un plus rationnel

Par exemple en 2006 les Suisses ont voté pour le déblocage d’un milliard de francs suisses à destination de l’Union européenne, principalement pour le développement des pays de l’Est de l’Europe. Le Conseil fédéral a su expliquer au peuple suisse les enjeux de ce référendum en mettant sur la table des arguments principalement économiques.

Dans l’esprit populaire, le lien entre le plombier polonais qui vient voler le travail des Suisses grâce au milliard que le peuple s’apprête à lui accorder aurait pu ne pas être loin. Pourtant, les Suisses ont voté pour, l’essentiel de l’argumentation étant économique.

Car si la Suisse a signé ces accords bilatéraux en 1999, c’est parce que ne faisant pas partie de l’Union européenne et réalisant plus de 50% de ses échanges commerciaux avec les pays de l’UE, il était indispensable de maintenir ces accords bilatéraux.

En France on vote pour une figure politique, en Suisse on recherche la constance

On peut quand même aussi dire que les Français ont voté « pour » Jordan Bardella, et j’en viens à un autre sujet : En France, on voue un culte de la personnalité aux politiques. Certes, le programme et les idées que les hommes politiques portent pèsent dans la balance, mais les Français aiment s’identifier à une figure politique.

Combien de fois ai-je entendu « Il (ou elle) s’exprime bien, il (ou elle) a de la prestance, je vais voter pour  lui (ou elle). ».

Mais ce qui se cache derrière est en réalité bien pire. Car en France on aime s’imaginer guidé et sauvé par un homme ou une femme politique providentielle, et dont l’action va permettre au peuple d’enfin s’en sortir. On vote pour le messie en somme. Et le désamour est en général inversement proportionnel au culte qu’on leur voue.

En Suisse, c’est plutôt l’inverse : le culte de la personnalité fait peur. Le leadership politique inquiète. On ne veut pas d’un pays dirigé par une personne. On préfère le consensus et la concordance des idées. Même si , en Suisse romande, on reste plutôt séduit par la verve des politiques français et les débats animés.

Allez, c’est le moment de vous expliquer comment la Suisse est dirigée.

  • L’exécutif est constitué de 7 ministres (les Conseillers fédéraux) qui doivent collégialement s’entendre pour diriger le pays
  • Ils sont élus par les Parlementaires
  • Le président de la Confédération a un rôle de représentation, et est élu pour un an

Selon la tradition, un conseiller fédéral est réélu jusqu’à ce qu’il démissionne : c’est ce qui assure la continuité et la constance de la politique suisse.

Cela évite la schizophrénie parfois française de la politique qui fait gauche toute puis droite toute, ou les lois votés puis abrogées.

Des promesses, toujours des promesses

A l’instant même où le Président Macron a dissous l’Assemblée nationale, une digue a été lâchée, déversant sur le peuple français un véritable raz de marée de promesses : retour de la retraite à 60 ans, blocage des prix, baisse de TVA, SMIC à 1600 euros…

En France, pour être élu, il faut promettre. Cela fait 40 ans que c’est ainsi. Alors c’est la surenchère. Ici, on lave plus blanc.

Le problème, c’est que ces promesses sont de plus en plus difficiles à tenir, les dirigeants se confrontant soit aux résistances de l’État profond, soit à l’état des finances du pays, soit aux résistances de la rue, soit aux résistances des parlementaires.

En Suisse, ces promesses électorales prennent la forme beaucoup plus pragmatique d’initiatives populaire qui permettent aux citoyens de proposer qu’un texte de loi soit soumis à référendum.

L’initiative populaire permet notamment au peuple de modifier la Constitution au niveau fédéral, et au niveau cantonal et communal de proposer une loi ou d’en modifier une.

En clair, les Suisses peuvent freiner ou stopper une loi, en proposer une et modifier la Constitution. Les Suisses votent en effet tous les trimestres. Le peuple joue un rôle énorme. C’est ce qu’on appelle techniquement une démocratie semi-directe, et seuls deux pays dans le monde suivent ce modèle.

Ce pouvoir induit, vous l’avez compris, une relation bien différente entre les politiques et les citoyens, l’exécutif ayant pour tâche d’expliquer pourquoi la loi qu’ils veulent promulguer est bonne, pour éviter qu’elle soit retoquée dans le cadre d’un référendum dit facultatif. Et bien sûr le Conseil fédéral donne également ses consignes de vote dans le cadre d’une initiative populaire, avec la proposition d’un contre-projet s’ils estiment que la loi proposée n’est pas conforme aux intérêts du pays.

Et si on regarde les statistiques, on remarque qu’un peu plus de 10% des initiatives populaires ont été approuvées par le peuple.

Les prises de position idéologiques

Sur ce sujet, la Suisse et la France se rejoignent.

En novembre 2010, l’initiative populaire fédérale « Pour le renvoi des étrangers criminels » a été soumise au vote du peuple à l’initiative de l’UDC, un parti très conservateur, qu’on peut mettre à l’extrême-droite, et en tous les cas proche du RN dans ses thématiques et son idéologie.

A grand renfort d’affichages et de communication parfois choquants, l’UDC a remporté la bataille avec un oui (plus de 52% des votants).

Une fois une votation acceptée, le Parlement possède un délai pour mettre en œuvre la loi sur le plan législatif.

Et là le texte s’est heurté respectivement au droit international et à la libre circulation des personnes.

Appliquer le texte tel qu’imaginé par l’UDC aurait donc probablement fait sortir la Suisse des accords bilatéraux (ce qui, sur le plan économique, n’était clairement pas dans son intérêt), et l’aurait mise en infraction vis-à-vis du droit international.

Le Parlement a donc dû trouver un texte qui à la fois respecte la volonté du peuple, le texte, et les instances européennes et mondiales. Autant vous dire qu’à la fin, entre ce qui se passe vraiment sur le terrain et l’idée d’origine du texte, on est loin.

En fait, l’impact a été davantage en termes d’image qu’autre chose. En clair, le peuple suisse a voté pour une loi qui, dans les faits, a été tellement édulcorée qu’il n’a pas changé grand-chose.

C’est probablement ce qui risque de se passer avec les propositions les plus extrêmes en France, des propositions « chocs » qui séduisent une partie de l’électorat mais totalement impossible à mettre en œuvre sans risquer de sortir la France de l’Union européenne ou de lui faire perdre l’étiquette d’État de Droit.

L’important, c’est l’économie

J’en viens pour finir au sujet de la place de l’économie dans le débat électoral.

L’économie devrait être à la base de tout bon programme. Sans une économie qui tient la route, pas grand-chose n’est possible.

Et aucune promesse ne peut être correctement tenue.

Or, l’économie est la grande absente de ces élections législatives. C’est une différence très importante avec la Suisse, où c’est très souvent le sujet central. Beaucoup d’initiatives ont été retoquées sur ce motif.

Plutôt que de se pencher sur les idées et l’idéologie, les électeurs français feraient bien de se pencher sérieusement sur la faisabilité des promesses annoncées.

Impossible de se faire une idée juste, on assiste à une vraie bataille de chiffres. Quoi qu’il en soit, aucun des 3 blocs ne pourra mettre en œuvre son programme sans conséquences voire ne pourra le mettre en œuvre tout court.

Je vous donne mon avis

En effet, aucun de ces 3 blocs ne dit l’essentiel (et donc la vérité) aux Français : que le pays est sur-endetté sans aucune marge de manœuvre, qu’il faut désendetter le pays (la France est endettée à hauteur de 110% de son PIB contre un peu plus de 30% pour la Suisse).

Selon différents économistes plutôt libéraux et un peu moins mais que je juge pragmatiques, la France doit économiser entre 50 et 70 milliards par an pour avoir la moindre chance d’échapper à une crise de la dette qui pourrait plonger le pays dans un marasme économique pour plusieurs années.

Au lieu de chercher à séduire l’électorat, les politiques feraient bien d’expliquer aux Français que leur pays n’est pas loin de la banqueroute et qu’il n’aura pas les moyens de financer de telles promesses.

Seulement, ce n’est pas très vendeur. Et c’est précisément parce que cela fait 40 ans que ces promesses non tenues sont faites que les Français perdent confiance dans leur politique et se tournent vers ceux qui n’ont jamais exercé le pouvoir.

En somme, laissons-leur le bénéfice du doute semble-t-il tous se dire… Toutefois, quand on analyse les programmes, on constate que pas grand-chose n’a changé dans la démarche, on promet encore plus. Si on utilise les mêmes moyens, il est probable qu’on ait les mêmes résultats…

Autre sujet complètement absent : aucun des candidats n’a parlé de l’allègement des charges des entreprises. Pratiquement pas un mot sur ce sujet. Sachant que la France est parmi les championnes de l’OCDE des charges, beaucoup d’entreprises n’ont aucune marge de manœuvre pour augmenter les salaires car les entreprises raisonnent principalement en masse salariale. Allégez les charges et les salaires augmenteront de manière mécanique.

Il suffit là aussi de regarder l’exemple suisse, avec des charges qui sont 2 fois moins élevées qu’en France (à feuille de salaire égale), et un ratio Impôts / PIB de plus de 45% pour la France contre moins de 30% pour la Suisse.

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