Sélection de 5 livres numériques de l’été en marge des Jeux Olympiques

Publié le 30 juin 2024 par Davidfayon

En complément de la précédente sélection du printemps, je vous livre 5 nouveaux livres toujours dans des volets complémentaires pour une ouverture sur le numérique (start-up, intelligence artificielle, droit à la déconnexion, programmation informatique, histoire du numérique). Bonne lecture.

La stratégie du cafard

La stratégie du cafard est un essai de Serge Kinkingnehun paru chez la jeune maison d'édition à potentiel et différenciante L'éditeur à part. Richement illustré, il établit un parallèle entre le cafard - détesté en tant qu'insecte nuisible mais qui survit et s'adapte aux situations même les plus extrêmes - et les start-up. Chacune de ses caractéristiques est utile pour une start-up résiliente et qui dure en se développant sur le long terme. Ceci est très éloigné de la licornisation à la sauce " start-up nation " qui nous est vendue. 30 licornes en France, mais pour quel résultat finalement surtout si elles n'emploient que peu de personnes et se font racheter par des leaders américains ? En effet, la valorisation étant souvent éloignée de la réalité car celle-ci comporte une dose d'irrationnel et spéculative.

La bulle Internet de mars 2000, la crise des subprimes en 2008, la crise du Covid en 2020 sont là pour nous rappeler que tout reste fragile. Dans leur modèle, sans levée de fonds, tout s'écroule. Il n'en est pas de même pour les start-up résilientes (que l'on espère gauloises et réfractaires). Le point de départ du livre est un article de Caterina Fake (elle existe bien et ce n'est pas un fake), cofondatrice de Flickr et de Hunch. Quels sont les secrets de ces start-up cafards ? Les augmentations de capital sans dilution des fondateurs ou presque, le premier PoC délivré, la R&D via les premiers clients, etc. La sortie possible d'une start-up est de 4 ordres : soit de trouver de nouveaux investisseurs pour le rachat des parts, soit entrer en bourse, soit vendre à un industriel, soit encore fermer car le business model est inadapté et elle n'a pas séduit de nouveaux investisseurs. Les cafards se nourrissent de tout y compris de cadavres de cafards ! Il faut commencer à gagner de l'argent en engrangeant du chiffre d'affaires qui est palpable et non virtuel. Des solutions existent et sont exposées dans le livre : pré-vendre son produit, comment trouver le client idéal pour payer votre solution ainsi que les maillons de la chaîne (utilisateur, fournisseur, prescripteur, payeur, vendeur, fabricant, influenceur). Des exemples sont donnés à l'appui avec aussi le vécu personnel de l'auteur : CMON pour les jeux de société, le growth marketing cher à Frédéric Canevet, SchoolMaker, plateforme de cours en ligne créée par un youtubeur, KFC, No Limit Agency, Mailchimp. Les autres questions telles quand démarrer sa start-up, comment optimiser les dépenses, recruter sont traitées. Le cas d'Iliad (qui englobe Free) le super-cafard avec 2 levées de fonds en 2000 et 2004 en diluant seulement de 5 et de 10 % est longuement analysé ainsi que le cas Red Bull, l'autre super-cafard avec le rôle du marketing et le hasard des rencontres. Un must !

Green IA

Ce dernier livre de Gilles Babinet paru chez Odile Jacob est consacré à l'intelligence artificielle (IA), en particulier générative. C'est elle qui a la capacité de produire du contenu (texte, image, son, vidéo) qui est grande consommatrice de données. Ainsi le modèle GPT-4 compte un millier de milliards de paramètres contre 117 millions pour GPT-1, ce qui est encore plus rapide que la loi de Moore qui stipule un doublement de la puissance des micro-processeurs tous les 18 mois. On pourrait dire que " d'un côté la croissance des données est exponentielle, de l'autre, la frugalité qui demande des efforts repose sur une décroissance linéaire ". Concilier IA et environnement ou écologie peut paraître au premier abord antinomique d'autant que le green IT prône la frugalité numérique. C'est d'ailleurs le sous-titre du livre de Gilles Babinet L'intelligence artificielle au service du climat. Pour autant et c'est le propos de l'essai argumenté de Gilles Babinet, les deux peuvent être conciliés.

Dans l'introduction, Gilles part toujours d'un vécu personnel. C'était déjà le cas avec son précédent opus Comment les hippies, Dieu et la science ont créé Internet. Il nous fait ici remonter à la micro-informatique personnelle avec l'Oric 1 (même si Xavier Niel et moi avions débuté avec un ZX 81) puis au LISP, langage d'IA.

L'ouvrage qui se lit facilement est structuré en 3 parties. La première traite les enjeux notamment les idéologies et les politiques publiques avec les courants en matière de transition écologique (techno-solutionnistes comme Jean-Marc Jankovici ou Jeremy Rifkin et décroissants) après dès 1970 le rapport Meadows qui fait état qu'une croissance infinie n'est pas soutenable sur le long terme. Ainsi " Le débat sur la croissance et l'environnement est d'autant plus compliqué qu'il cristallise des positionnements politiques et idéologiques antagonistes ". Peut-être que l'aspect taxation et régulation est trop présent. La deuxième ce que peut (et ne peut pas) l'IA constitue le cœur de l'ouvrage. Il y aborde le transport et les enseignements du Covid avec le temps perdu dans ceux-ci, la logistique, la réindustrialisation, la robotique, l'énergie et l'agriculture. La troisième questionne les nouveaux usages avec par exemple la collaboration et la compétition et un peu de fiction avec un horizon, 2040.

Outre les anecdotes, de nombreux chiffres et sources éclectiques permettent de prendre du recul selon les courants de pensée et les enjeux des acteurs. On note des paradoxes comme la sous-utilisation d'une voiture qui roule 6 % du temps ou d'une école avec un taux d'usage de 12 %. Notons que des données aujourd'hui peuvent évoluer comme " la production électrique de l'Union européenne est en moyenne à 240 g de CO2 en été et à 490 g en hiver par personne ". Avec la climatisation en été et les travaux d'isolation, la donne pourrait changer ainsi que le mix-énergétique.

Les points clés résident en l'optimisation des modèles qui permettront des gains outre l'évolution des usages (la righ tech : temps d'écran disponible à optimiser, lutter contre l'addiction à TikTok et ses algos, ne pas disposer de la dernière version d'un smartphone). Cette optimisation est liés à la complexité et au nombre important de paramètres à modéliser avec la taxinomie introduite par Jean-Pierre Benzécri sans le nommer explicitement. Chacun a son rôle à jouer dans l'équation notamment dans la chaîne logistique. Des solutions avec la nature existent aussi avec par exemple la mangrove, avaleuse de carbone pour la compensation en matière de CO2. Un livre à avoir dans sa bibliothèque.

Être présent

Ce livre de Gabriel Pitt sous-titré Prenez en main vos habitudes digitales est articulé en 20 chapitres et augmenté de QR codes et de liens vers des vidéos et de la musique composée (une expérience transmédia) pour le lecteur pour une lecture augmentée. La première partie est un constat sur l'hyperconnexion, la seconde intitulée Humanité 2.0 donne des pistes pour mieux équilibrer sa vie dans un monde nécessairement phygital.

Il s'agit d'analyser comment on peut se désintoxiquer de l'addiction au numérique pour vivre plus intelligemment et sereinement avec le numérique avec un constat développé dans le chapitre 5 " L'outil numérique : de l'extension à l'aliénation !". Tout comme jadis la voiture était le prolongement de soi, il ne faut pas tomber dans ses travers. Il invite à se questionner sur la place du numérique dans sa vie. Le voyeurisme passé à regarder la vie des autres exposée sur Internet, l'hyperconnexion liée aussi aux neurotransmetteurs et à la dopamine et à l'ocytocine qui peut nuire aux enfants ou au niveau professionnel. Où mettre le curseur ? Le temps d'attention disponible, les biais sont passés au crible car " Alors, nous comprenons mieux ce qui peut nous distraire, ce qui attire notre cerveau sans qu'on le veuille vraiment. C'est justement en analysant ces distractions que nous pouvons prendre le recul nécessaire et apprendre à nous en extraire. En prenant conscience des impacts que peuvent avoir ces distractions sur notre vie sociale, professionnelle, sportive ou amoureuse, nous découvrons à quel point nous perdons ce temps qui nous est si cher. "

Il est complété d'un glossaire avec des termes comme adulescent, binge watching, digital detox, phubbing.

No-code

Ce livre du trio Alexis Kovalenko, Erwan Kezzar et Florian Reins, sous-titré Une nouvelle génération d'outils numériques traite de cette nouvelle façon de programmer qui va au-delà des seuls concepteurs/développeurs.

Articulé en 3 parties, il explique d'abord ce qu'est le no-code et les gains de productivité et de facilité, le fait que l'on puisse assembler nous-même des briques de codes comme des Lego. Ensuite il traite de la question sur le mouvement no-code et la lame de fonds avec des exemples de communautés qui existent dans le monde. Enfin, il illustre comment pratiquer efficacement le no-code. Est abordée Power Apps, la gamme d'outils low-code de Microsoft car le sujet intéresse bien évidemment les GAFAM avec les différences entre low-code et no-code. L'exemple de Scratch pour l'apprentissage du code dans de nombreuses écoles pour les enfants est traité. L'évolution des outils no-code est très rapide et nécessite une veille permanente aussi. La question de l'IA générative sonne-t-elle le glas du no-code ? Et bien non dans la mesure où pour les outils no-code on ne lit ou n'écrit pas du code informatique mais programme à travers des interfaces visuelles. " Des outils no-code tels que WeWeb ou FlutterFlow permettent désormais d'utiliser des prompts à la manière de ChatGPT pour construire des parties de votre application ". Les différences entre low-code et no-code ne sont pas oubliées et in fine comment pourrait évoluer le développeur de demain. Dans cet univers d'outils foisonnant, le code généré est analysé et les liens avec CSS, HTML, les interactions possibles avec ce qui est codé en Javascript est expliqué. La question de l'existence d'un mouvement no-code rappelle celle de celui de l'open source à la fin des années 1980 face au monde du logiciel propriétaire.

Qui a voulu effacer Alice Recoque ?

Dans ce livre paru chez Fayard, Marion Carré, présidente d'Ask Mona et qui vient fraîchement à moins de 30 ans être nommée Chevalière dans l'ordre des Arts et des Lettres, analyse la vie et les contributions d'Alice Recoque à la technologie et plus particulièrement à l'informatique, milieu très (et trop) masculin. La tendance était à ne pas reconnaître à sa juste valeur le travail et le talent des femmes ou à les éclipser malgré quelques exceptions comme Ada Lovelace. Ainsi la page Wikipédia d'Alice Recoque avait été effacée. Et du reste une partie du livre analyse les batailles qui ont fait rage sur la page Wikipédia qui lui est consacrée " alors le serpent se mord la queue : moins les femmes sont présentes dans les médias, moins elles sont légitimes sur Wikipédia en raison du manque de sources secondaires ". Il est urgent d'avoir un cercle vertueux pour que les femmes s'intéressent davantage aux études scientifiques et regagnent les écoles d'ingénieurs naturellement, sans stéréotype et sans quota.

Le rôle d'Alice Recoque fut clé pour la miniaturisation des ordinateurs (le CAB 500 présenté lors d'un colloque en 1959 qui mesure 2 mètres et pèse 650 kilos constituait un gros progrès à l'époque). Elle a vite perçu les risques et les opportunités de l'IA et, directrice d'une mission IA en 1984, a travaillé sur la mise au point des systèmes experts, une des branches de l'IA. L'IA ne se résume pas qu'à Alan Turing, John McCarthy et Marvin Minsky...

Le livre est très fouillé avec investigation et nombreux entretiens de personnes ayant côtoyé de près ou de loin Alice Recoque. Il retrace sa vie, sa naissance en Algérie - française en 1921 -, les difficultés qu'elle doit surmonter pendant la seconde guerre mondiale, sa scolarité dès 1950 à l'ESPCI, son combat en menant de front vie pro et vie familiale en étant veuve et maman de 3 enfants. Des anecdotes qui montrent aussi que malgré le réchauffement climatique nous avions des canicules " fraîchement bachelière, Alice Recoque passe l'été 1947 à Paris chez son oncle Pierre Bourgoin. La capitale suffoque, le thermomètre dépasse les 40 °C au mois de juillet ".

Au-delà, ce livre nous donne des anecdotes sur l'histoire de l'informatique et sa préhistoire depuis l'ENIAC, l'Enigma avec aussi l'historien français de l'informatique Pierre-Éric Mounier-Kuhn mais plus récemment le Plan Calcul, le mini-ordinateur Mitra 15, le salon professionnel de l'informatique SICOB. La question est de savoir si l'on peut considérer Alice Recoque comme la Marie Curie de l'informatique. Le débat est ouvert.