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Le Misanpop’

Publié le 30 juin 2024 par Morduedetheatre @_MDT_
Misanpop’

Critique du Misanthrope, de Molière, vu le 21 juin au Théâtre de l’Epée de Bois
Avec Jean-Charles Chagachbanian, Philippe Maymat, Thomas le Douarec, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio, Rémi Johnsen ou Théo Lima, Valérian Béhar-Bonnet ou Jules Fabre et Caroline Devismes, mis en scène par Thomas Le Douarec

Je joue au jeu du chat et de la souris avec ce Misanthrope depuis près de deux ans. Je l’ai manqué beaucoup trop de fois, alors même que je l’ai repéré tout de suite. D’abord programmé au Mois Molière 2022, puis au OFF d’Avignon 2022, puis à nouveau au OFF d’Avignon 2023, puis à l’Epée de Bois où je le rate de peu en début d’année mais où il est heureusement repris pour quelques dates en juin avant son retour au OFF d’avignon pour la 3e année consécutive. Il m’aura fallu 2 ans mais j’y suis arrivée. Ca aurait été balot d’attendre autant et d’être déçue. Mais l’avantage avec ce genre de spectacles toujours reprogrammé, c’est qu’on se doute qu’il l’est pour une bonne raison. Et vous savez quoi ? Il l’est vraiment pour une bonne raison.

Le Misanthrope, c’est mon Molière préféré. C’est d’ailleurs peut-être l’une de mes pièces préférés. C’est une pièce qui a l’avantage de se prêter à beaucoup de choses, elle ne donc pas l’impression de trop de redite d’une mise en scène à l’autre. Je l’ai connu classique, incontrôlable, prétentieux, réaliste, collectif, fade, tragique, le voici aujourd’hui populaire, accessible, rock’n’roll, et, ce qui ne gâte rien, tout aussi intéressant que les versions des collègues. Thomas Le Douarec est un très bon artisan du théâtre. J’ai toujours peur de paraître un peu condescendante en disant ça, alors que c’est pour moi l’un des plus beaux compliments qui soit pour un metteur en scène. Il a simplement proposé une version claire, lisible et pertinente de ce texte incroyablement riche, continuant de puiser et d’en découvrir constamment de nouvelles richesse, s’est « simplement » entouré de comédiens qui savaient tout faire, s’est « simplement » transformé en quasi-chorégraphe en proposant une mise en scène où les déplacements, la gestuelle, les corps se mettent à parler autant que le texte. Simplement.

Ce n’est pourtant pas ma vision préférée de la pièce. Thomas Le Douarec propose un Misanthrope qui ne laisse aucune prise, auquel on ne parvient ni à s’attacher ni même à s’approcher, presque désagréable ou méchant parfois, proche de la folie. Mais en réalité Alceste n’est pas au centre de l’attention. Il est presque effacé dans le tourbillon qui l’entoure. Ce qui semble réellement intéresser Thomas le Douarec, c’est toute la société qui s’agite autour de lui. C’est là-dessus qu’il a eu l’air de se concentrer, sur tout ce poids du paraître, sur le double masque que chacun peut présenter, sur le changement d’attitude qui existe entre l’intime et le social. On se retrouve dans une espèce de grand jeu mondain où chaque sourire, chaque bon mot, chaque flatterie fait gagner des points. Et on se retrouve presque, en tant que spectateur, à compter les points.

On aurait pu avoir un indice sur la direction que prendrait ce Misanthrope si on avait étudié la distribution en amont. Thomas le Douarec ne s’est pas distribué en Misanthrope, mais en Oronte. Ce n’est probablement pas un cas unique, mais suffisamment rare en tout cas pour être souligné. Et quel Oronte ! Sa composition de rockstar-cocaïnomane quelque part entre Johnny et Edouard Baer est absolument délicieuse. Avec Arsinoé (Caroline Devismes), ce sont deux personnages particulièrement marquant. C’est une séductrice hors pair, qui mettrait la salle à genoux peut-être même avant Alceste, et qui nous tient complètement sous le charme d’un rire ravageur. Célimène (Jeanne Pajon) personnage difficile s’il en est, n’est pas en reste. Elle parvient à faire exister la schizophrénie du personnage, partagée entre un attachement à la bizarrerie d’Alceste et une posture sociale à tenir. C’est dans ses regards, dans ses changement d’intonation, dans les différents visages qu’elle présente au fil des scènes qu’elle parvient le mieux à faire exister le sous-texte du personnage, peut-être plus encore qu’à travers ses tirades. Non, la seule chose qui m’a manqué, dans ce spectacle, c’est la coupe de Si le roi m’avait donné Paris lors de la première scène Oronte/Alceste. Mais ça va, je pense que je vais m’en remettre.

Et je suis sûre que vous vous en remettrez aussi parfaitement. ♥ ♥ ♥

Misanpop’

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