La performance est intéressante sur le plan historique, politique et bien évidemment artistique d'autant que chaque opus est conçu sur mesure en fonction du contexte particulier qui entoure la personnalité en question.
Jacques Chirac (avec La vie et la Mort de J. Chirac, roi des Français) et François Mitterand (avec Génération Mitterrand) ont été les deux premiers volets. Le troisième était présenté ce soir au Théâtre 13 Glacière, sous l'intitulé Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing, un titre astucieux car cet homme politique s'est fait remarquer par sa volonté de mieux "regarder la France au fond des yeux". Ce communiquant avant l'heure pensait que le meilleur moyen était de se rendre chez des personnes "simples", théoriquement une fois par mois, mais la statistique réelle n'existe pas.
Ce qui est certain c'est qu'il commença dès son arrivée à l'Elysée en 1974, et que la première fois ce fut chez un encadreur de sa connaissance où il lui fut servi un potage au cresson, suivi d'un bar avec une petite mousseline. Il passa aussi un soir de réveillon dans une famille orléanaise de six enfants.Les auteurs de ce troisième épisode (Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, avec la complicité des acteur.ice.s) se sont inspirés de ces faits, et de quelques autres pour construire la trame de la soirée. Les anecdotes et les petites phrases ne manquaient sans doute pas.L'originalité de leur parti-pris est de faire entrer sept années de présidence dans l'espace d'une heure 40, dans une unique unité de temps, ce fameux repas. Ils poussent le curseur jusqu'au bout. On ne voit vieillir que l'enfant qui a moins d'un an à l'apéritif. Et c'est assez malin de lui avoir confié (aussi) le rôle du narrateur. Et surtout d'avoir lâché la bride à chaque comédien le temps d'une chanson pendant laquelle il change de posture. Ainsi le grand-père retrouve sa vitalité pour danser sur Alexandrie-Alexandra que Claude François chantait en 1978.Le public adora ces intermèdes et ne se priva pas de battre des mains, voire même de chanter, que ce soit La ballade des gens heureux de Gérard Lenorman (1975) ou Les rois mages de Sheila (1971), Il ne rentre pas ce soir d'Eddy Mitchell (1978), Si j'étais un homme de Diane Tell (1981), Ça plane pour moi de Plastic Bertrand (1977) ou Attention mesdames et messieurs de Michel Fugain (1972). L'ordre chronologique cède le pas à la pertinence du choix et colle aux temps forts du septennat (27 mai 1974 - 21 mai 1981), marqué notamment par les crises pétrolières qui ont provoqué un chômage inquiétant.Le décor en dit long sur la France de l'époque et sur l'origine socio-culturelle des hôtes. Le rideau de porte chenille anti mouche qui sépare la cuisine de la salle à manger indique que nous sommes à la campagne, alors que le colombage et les poutres apparentes sont typiques de la Normandie. Le crucifix témoigne que la famille est catholique, le fusil de chasse et le trophée de sanglier que le père est chasseur. Les chaises dépareillées proviennent sans doute de plusieurs héritages mais le tabouret recouvert de Formica apporte une touche de modernité. Sur la table, le pot à eau est caractéristique de tous ceux qu'on trouvait dans chaque famille. Manifestement on est ce soir chez des gens simples qui vont aux toilettes quand la première dame (qui n'avait pas encore ce statu) emploie les commodités.
La soirée commence le 31 décembre 1974. L'accent rocailleux des grands-parents contraste avec l'élégance de langage du président dont on reconnait le phrasé. Il porte un pull en V comme il était de coutume de mettre en hiver entre chemise et veste. Les costumes (de Manon Naudet) sont représentatifs de l'époque et les maquillages et coiffures (de Pauline Bry) confèrent une crédibilité que renforcent les attitudes des comédiens.Mention spéciale évident à Joseph Fourez (qui joue Marcel Deschamps) et Morgane Nairaud (qui est sa femme Germaine), plus vrais que nature et bien sûr au couple présidentiel Robin Causse (Giscard) et Gaia Singer (Anne-Aymone). Le pari était osé mais Julien Campani interprète de bout en bout le petit José Corrini sans qu'on y trouve à redire. Les trentenaires Pauline Bolcatto (Marie-France Deschamps, la fille) et Clovis Fouin (Michel Corrini, le gendre) sont criants de vérité mais leur performance est moins surprenante puisqu'ils ont grosse modo l'âge de leurs rôles.
L’oeuvre entreprise par la compagnie Animaux en paradis constituera une fresque qui racontera la trace laissée par ses "rois républicains" et aussi l’histoire d’une famille sur quatre générations. C'est donc un portrait en creux de la société française de 1958 à aujourd'hui qui nous sera offert en plaçant le projecteur sur les aspects les plus caractéristiques. Dans ce troisième l'éventail sera très large entre la nouvelle cuisine, la progression de l'énergie nucléaires, les crises pétrolières et économiques, la montée du libéralisme, le téléphone (fixe) et le Minitel, le combat en faveur de l'avortement, tout ce qui fut progrès mais aussi les scandales, notamment en Afrique.
Mise en scène Léo Cohen-Paperman
Texte Julien Campani et Léo Cohen-Paperman avec la complicité des acteur.ice.s
Avec Julien Campani, Gaia Singer, Pauline Bolcatto en alternance avec Hélène Rencurel, Robin Causse en alternance avec Philippe Canales, Clovis Fouin en alternance avec Mathieu Metral, Joseph Fourez en alternance avec Pierre Hancisse, Morgane Nairaud en alternance avec Lisa SpurioScénographie Anne-Sophie Grac
Au Théâtre 13 / Glacière103A boulevard Auguste Blanqui, 75013 ParisLes 13, 17, 19, 21, 24, 26 et 28 juin à 20hDans le cadre du triptyque des premiers épisodes de la série Huit rois :
Episodes 1 et 2 La Vie et la mort de J. Chirac, roi des Français et Génération Mitterrand
les 14, 18, 20, 25 et 27 juin à 20h
Intégrales les samedis 15, 22 et 29 juin à 16h