Une crise de flemme
La flemme me saisit comme le brouillard emmaillote parfois la maison de ses immenses mains pour la poser au milieu de nulle part et la laisser flotter si haut dans les airs que les globes opalescents de l'éclairage public finissent par s'éloigner comme de petites planètes mortes.
J'ai connu de tels accès dès l'école maternelle, ce qui me vaut encore aujourd'hui une réputation de paresseux. Je pense pourtant que personne ne peut accéder au rang de pur paresseux. Un authentique paresseux serait une curiosité, une chimère, une merveille de la nature, une créature parfaite, mais jamais on ne verra un tel prodige puisqu'il refuserait tout simplement de sortir du ventre de sa mère. On peut certes s'approcher d'une telle perfection mais cela demande du travail et le travail est la malédiction de l'humanité.
Je m'étais enfin décidé à suivre le conseil de Pelham, à me précipiter chez la fée Clochette pour lui présenter mes excuses, mais elle n'était pas là. À l'évidence, je ne m'étais pas assez vite précipité. Si vous tenez absolument à vous précipiter, ne mettez pas trois jours à vous décider, c'est trop ; un jour suffit voire quelques heures si vous êtes un rapide. Un vieux voisin m'indiqua que la fée Clochette était partie en tournée pour une semaine, peut-être plus, pour défiler entre deux fanfares avec sa troupe d'échassiers dans les rues mal éclairées de quelques bourgades endormies. Je me disais qu'il était sans doute temps de lui faire la surprise de ma nouvelle opulence pour la délivrer de ce travail mais peut-être valait-il mieux attendre encore un peu. D'ailleurs, il est plus souvent urgent d'attendre qu'on ne le croit. Je rentrai donc chez moi pour me livrer à cette absence d'occupation.
Pelham et Miss Punket avaient déserté les lieux, ce qui me causa tout de suite un préjudice certain en ce qui concerne le service et la cuisine. J'en étais de nouveau réduit, comme dans mon ancienne vie besogneuse et solitaire, à me confectionner des sandwichs au thon en boîte avec de la mayonnaise en tube. Lassé d'avoir à les préparer moi-même, je finis par acheter des sandwichs tout prêts emballés dans des barquettes en plastique. Leur goût bizarre et leur consistance donnaient l'impression de mordre dans des éponges contenant des résidus de vaisselle.
Quant au service, juste un exemple : lorsque Pelham me servait le thé de l'après-midi et le café du petit déjeuner, je n'avais pas besoin de tourner la cuiller dans la tasse et dans le bol pour dissoudre le sucre puisque le consciencieux valet de chambre s'était préalablement acquitté de cette mission. J'avais donc renoncé sans peine au thé, même allongé de whisky, mais pas au café du matin dont la première gorgée me faisait grimacer parce que j'oubliais toujours que Pelham n'avait pas tourné la cuiller et que de ce fait, c'était comme si le café n'était pas sucré.
Heureusement, effectuer un point rapide me permit de trouver une astuce pour remédier à ce désagrément et à la fatigue supplémentaire que je ressentais à tourner la petite cuiller. Il me suffisait d'utiliser une cuiller à soupe pour mélanger le sucre à mon café matinal, ce qui me faisait gagner un certain nombre de tours de bol.
En matière d'énergie, il n'y a pas de petites économies, surtout au saut du lit (encore que le mot saut soit excessif pour qualifier ma manière de me lever. Je ne peux pas dire que je me réjouissais de cette situation. Seul le chartreux semblait goûter cette apathie qui m'aspirait comme en sont capables certains fauteuils profonds et mous, même s'ils sont bancals. Le matin, c'était lui qui me réveillait avec son haleine chargée et ses vibrisses qui me chatouillaient le nez et le menton.
Extrait de mon roman Les fantômes de ma tante, paru en février dernier.
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Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, ce livre est en vente à la librairie Buffet d'Oyonnax et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax. Il est aussi disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.