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Story Time : Quand Musiques Gnaoua et Gospel se rencontrent

Par Gangoueus @lareus
Story Time Quand Musiques Gnaoua Gospel rencontrent

J’aimerais revenir sur une très belle expérience artistique au cœur d’une résidence musicale au Maroc proposée par l'association française 4Link animée par Naoele Belali. Une très belle expérience dont je vous décrirai quelques points saillants pour avoir été immergé dans ce projet.


Un thème : Quand le Gospel rencontre la musique Gnaoua


Les guests : Pour porter cette résidence, des artistes passionnants et passionnés : Emmanuel Pi Djob, Didier Likeng, Mehdi Nassouli, le groupe Afro Soul Gang, Évelyne Ngo Maa et des groupes locaux marocains.


L’idée : la direction artistique crée et anime des ateliers de chants en chorale puisant à la fois dans le répertoire du Gospel, du chant Gnawa et du groupe Afro Soul Gang avec une quarantaine de stagiaires venant à la fois d’Europe et du Sud du Maroc, en vue d’une restitution au Palais des Congrès de Ouarzazate et en respectant la structure d’une lila.


Une formation au taquet : Quatre jours serrés de travail continu sous la direction des différents maîtres de chœur.


De la théorie pour donner du sens et comprendre l’histoire de ces deux genres musicaux ainsi que la culture Amazigh : 

  • Analyse des racines communes entre le Gospel et ma musique Gnaoua avec Emmanuel Pi Djob et Mehdi Nassouli 

  • Présentation de la musique Ahwach, de ses fondements sociologiques et de l’amazighté avec les enseignants chercheurs Ezzedine Tastfit, Ahmed Khettouch

  • Les impacts des changements climatiques sur les oasis de la région avec Hamid Sbaï

  • Une soirée de conte avec Evelyne Pellerin Ngo Maa


Au coeur de l’Atlas

Nous sommes arrivés par l’aéroport de Marrakech, avant de prendre la route jusqu’à Ouarzazate à 200 kilomètres. C’est une idée que j’ai personnellement trouvée géniale. C’est la première fois que je pose le pied au Maroc. Nous avons traversé des paysages atypiques, parfois lunaires, longé des ravins en suivant un relief très montagneux, avec une végétation à minima, d’abord boisée, sèche puis de plus en plus désertique en approchant de Ouarzazate. On passe par des petits bourgs colorés avec chacun son minaret. J’étais complètement sorti de mes bases, séduit, à un peu plus de deux heures de vol de Paris. En arrivant à Ouarzazate, le vert a totalement disparu, l’ocre est la couleur dominante. Sur le parcours, on entonne des premiers chants de gospel. Dans notre mini-car de l’office du tourisme marocain, les stagiaires viennent de différentes chorales de la région parisienne et de Normandie. Des femmes, deux hommes. On sera rejoint sur le site par une fine équipe venue de Bruxelles, et d’une autre délégation partant de Marseille. On chante des classiques du Gospel sous la férule de mon épouse. A l’unisson d’abord puis en introduisant les harmonies vocales. Le chauffeur marocain est tellement emballé qu’il lâche le volant pour applaudir. Je regarde avec joie et stress le ravin près à nous dévorer, j’ai trop lu de fictions…


C’est un groupe folklorique de Ouarzazate qui nous accueille à notre arrivée à coups de tambourin, de danses et de chants joyeux. Effet whaou obtenu.


Quatre jours intenses d’apprentissage et de création artistique

Une résidence artistique de cinq jours est très différente d’une master class d’un week-end. Le répertoire de chants à apprendre est plus important. Elle est construite sur trois piliers différents. Emmanuel Pi Djob et Didier Likeng  pour le versant le Gospel et Mehdi Nassouli pour les chants Gnawa. Les deux genres musicaux ont des structures très différentes. Sur le plan des instruments, le goumbri, les tambourins et les crotales constituent la base pour de la musique gnaoua. Au niveau des chœurs pour prendre un autre exemple, la musique gnaoua s’articule autour d’un unisson des voix là où le gospel américain se construit énormément sur l’harmonisation des voix. En soi, c’est transparent pour les stagiaires jusqu’à ce que sur un chant, Mehdi Nassouli propose une harmonisation sur un chant gnaoua. Une résidence artistique c’est tout cela. Observer comment les musiciens présents s’adaptent aux compétences des uns et des autres. Ici la particularité, c’est la juxtaposition d’artistes reconnus sur la scène internationale, des artistes locaux marocains avec des stagiaires amateurs. C’est aussi la cohabitation des langues, une manière de poser la voix spécifique à chaque langue. Du moins, de ce que j’observe. Français, Anglais, Arabe, Amazigh, Bambara, Bassa… Vous savez, je viens dans ces espaces à la fois pour chanter mais aussi pour observer le processus de création. L’humilité de ces grands artistes qui maîtrisent leur sujet. L'anticipation pour pallier un manque. Le monde de la musique est l’espace de l’écoute, de la complicité, du partage, d’une certaine foi en l’autre. Sur certains gospels, des solos ont été assurés par des marocains. Je pense à cet artiste membre d’un groupe de blues saharien dont la voix est si magnifique. Ce sont des connexions exceptionnelles. Une émotion si particulière. Que dit-il sur ses solos totalement improvisés, je n’ai pas pu lui poser la question. Le chant en bassa porte sa singularité. La voix du jeune marocain émet une sorte de douleur mais elle pourrait aussi faire penser à l’appel à la prière d’un très bon muezzin. Est-il blues ou gospel ?

Plus jamais cela

Le negro-spiritual No more action block a été préparé en mode lyrique, entre Didier Likeng, Nelly-Rose et une jeune cantatrice marocaine. Ce chant aura une place particulière dans la restitution, dans l’enchaînement avec un worksong américain I’m gonna bear. Je lisais dans un article de presse que l’un des derniers marchés de vente d’esclaves de Marrakech s’est terminé en 1916. C’est encore frais dans les mémoires marocaines. Le chant prend donc une forme particulière au moment de la restitution même si la langue anglaise atténue le choc du propos : “plus jamais de ventes aux enchères, plus jamais”... Est-ce exact ou plus récent, difficile à dire, mais ce negro spiritual est une fantastique prise de parole, conçu peu de temps après l’abolition de l’esclavage par Lincoln aux Etats unis. Plus jamais de ventes aux enchères, plus jamais de commerce d’humains pour moi. Cet échange gnaoua / gospel raconte donc des histoires, des expériences passées où la parole était souvent étouffée. Gnaoua, gnaoui signifie d’après plusieurs intervenants : ceux qui sont muets, ceux qu’on ne comprend pas. Quel que soit le sens le plus exact, il y a l’idée d’une communication impossible ou d’un silence imposé. L’histoire est alors chantée… Comme aux USA…


A la restitution, j’ai donc ressenti une très forte émotion à l’interprétation de ce chant. Les voix sont limpides, épurées.


Je rappelle que ce spectacle à la structure d’une lila. Qu’est-ce donc me dites vous ? La musique gnaoua est avant tout une musique au service d’un rituel. Les lila sont des cérémonies codées autour d’une grande prêtresse. Les principaux instruments sont le goumbri, les crotales (qraqeb en amazight). Mehdi Nassouli parle dans mon podcast de l’organisation des lila auxquelles il a souvent pris part au cours de son initiation. Gospel comme musique Gnaoua accompagnent des cultes, mais ce sont surtout des espaces safe pour ces populations exploitées. Gospel comme Gnaoua dans leur forme la plus pure se terminent par des phases extatiques, des transes. Ah oui, si vous avez déjà fait  un culte dans une église protestante afro-américaine, il y a un moment qui n’a rien de biblique. Et une remarque commune que nous faisons lors des échanges avec Mehdi Nassouli et Emmanuel Pi Djob, c’est que pour que des éléments culturels survivent dans le système esclavagiste, il a fallu que les esclavagisés se servent des religions et des instruments des maîtres. J’imagine que si on pouvait aller en Bolivie comme Pascal Gbikpi a su le faire pour retrouver des populations afrodescendantes, on retrouvait les mêmes stratégies. Quand Mehdi Nassouli parle de la santéria cubaine, il nous rapporte de nombreux éléments communs avec la lila gnawa. Il souligne néanmoins que l’expérience avec Emmanuel Pi Djob et Didier Likeng est très différente de ce qu’il a vécu lors de ses tournées Gospel aux Etats-Unis. 


Les chants ont été choisis en fonction de la progression allant des ténèbres de cette condition humaine d’arrachement, d’exploitation, de négation d’une humanité au processus de libération en passant par la nécessité de dire, de dénoncer le système abject, les processus d’arrachement, le travail, la fin du système, puis le processus de réconciliation passant par le pardon. Ainsi, la résidence musicale a respecté les deux genres musicaux en les imbriquant, en les métissant, mais aussi en les laissant s’exprimer.


Au delà du plaisir de chanter en chorale que je découvre depuis deux ans, vous imaginerez tout le kif pour moi de faire partie d’un tel projet, de modérer des causeries avec, d’une part des artistes de renommée internationale sur ces genres musicaux portant la mémoire de peuples marqués par les effets des traites orientale et atlantique et d’autre part, avec des intellectuels marocains nous permettant découvrir de nombreux aspects de l’amazighté, par le chant, par la danse, les instruments. Et une restitution au Palais des Congrès de Ouarzazate de ces quatre jours intenses de création, d’apprentissage de ces chants puisant dans des répertoires différents. 


En tant qu’élève stagiaire, c’est une expérience unique. Naoële Belali réussit avec plusieurs acteurs locaux à mettre en scène de manière magistrale l’esprit de son association. Connecter des cultures, des histoires, apporter un soubassement théorique par le biais d’experts de ces histoires, de ces cultures. Elle nous donne de découvrir le Maroc sous un angle singulier et même un pan de la culture amazigh par le biais de la musique Ahwach nous donne de saisir l’organisation sociale de ces peuples du sud-ouest marocain. En de nombreux aspects, j’ai retrouvé des éléments de la culture koukouya du Congo Brazzaville dans les descriptions du Professeur Tastfit. Sans parler de cette proximité avec des maîtres du chant. La qualité des artistes, leur engagement à transmettre des techniques de chant, à nous soumettre à l’exercice de produire un spectacle de qualité dans des délais avec une majorité d’impétrants que ne se connaissaient pas. Bref, rendez-vous en 2025.



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