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Flore Agnès Nda Zoa, éditrice engagée pour les littératures africaines

Publié le 10 juin 2024 par Africultures @africultures

Lectrice intarissable, passionnée et rêveuse, Africultures a fait la rencontre de Flore Agnès Nda Zoa, fondatrice de la CENE littéraire et du prix Les Afriques. Interview portrait.

Annie Ferret : Tout d’abord, je crois qu’il n’est pas inutile de présenter brièvement pour les lecteurs vos actions, en particulier le prix les Afriques, mais surtout la manière dont vous rendez disponible le livre primé et dont vous le faites lire, ce qui me semble plus important encore.

Flore Agnès Nda Zoa : Je m’appelle Flore Agnès Nda Zoa Meiltz, je suis camerounaise et suissesse et je vis à Genève où j’exerce le métier d’avocate. En 2015, j’ai fondé avec quelques amis une association de lecteurs (La CENE Littéraire) dont le but est de promouvoir la littérature, particulièrement africaine et afro-descendante. J’entends la littérature dans son entièreté, à savoir l’écriture et la lecture. En premier lieu, nous faisons la promotion de la littérature grâce à l’existence du prix littéraire Les Afriques. Il est attribué tous les ans depuis 2016. Un comité de lecture opère une présélection (à partir d’une trentaine de titres chaque année) et établit une liste de cinq finalistes, dont les livres sont ensuite soumis aux membres du jury, qui désigne le lauréat. 

En second lieu, notre association a pour but de promouvoir la lecture sur le continent africain. Nous le faisons chaque année en achetant les droits du livre primé pour avoir la possibilité de l’imprimer à volonté (environ 10 000 exemplaires), ensuite nous les distribuons dans les pays dans lesquels nous travaillons, notamment le Cameroun, le Burkina Faso, le Sénégal, le Bénin, la République Démocratique du Congo, le Rwanda et le Togo.

Nous ne nous contentons pas de distribuer des livres, nous nous assurons également qu’ils sont lus, ce qui est concrétisé par l’organisation de rencontres littéraires. À titre d’exemple, nous nous rendons dans un lycée ou dans une université où nous distribuons 100 livres gratuitement. Un mois plus tard, nous organisons un événement littéraire au cours duquel les élèves ou les étudiants vont discuter des romans. Le but est d’inciter les jeunes à lire, de manière à susciter une accoutumance, notre espoir étant qu’à l’avenir, ils soient demandeurs et aillent chercher eux-mêmes le livre, soit en entrant dans une librairie, soit en entrant dans une bibliothèque. Depuis la création de l’association en 2016, nous avons ainsi pu organiser des centaines de cafés littéraires avec cet objectif en tête.

AF : Il me semble que votre domaine professionnel est assez éloigné de la littérature. Pouvez-vous me dire comment celle-ci a pris la place qu’elle occupe dans votre vie aujourd’hui ?

FANZ : Effectivement, je suis avocate, toutefois, la littérature est une amie fidèle qui m’accompagne depuis ma tendre enfance, même si jusqu’à la création de l’association, elle ne faisait que nourrir ma culture générale, satisfaire ma curiosité et accompagner mes moments de détente. C’est la création du prix littéraire qui a insufflé la dynamique qui anime actuellement tous les pans de l’association. Les choses sont venues l’une après l’autre. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que les prix littéraires africains n’étaient pas lus en Afrique, parce que les livres concernés ne s’y trouvaient pas ou même parce que, lorsqu’ils s’y trouvaient, ils coûtaient extrêmement cher et étaient par conséquent hors de portée des personnes vivant sur place. C’est la raison qui nous a poussés à créer la maison d’édition Flore Zoa, mais surtout à créer le système des cafés littéraires qui nous permet de faire des dons de livres et surtout de nous assurer qu’ils sont lus. Nous n’avions rien prévu au départ, c’est le contact avec le terrain qui a conduit nos actions.

AF : Et singulièrement la littérature africaine francophone ?

FANZ : Je lis quasiment tout ce qui me tombe entre les mains, la littérature française, russe, arabophone, américaine, etc. J’ai simplement décidé d’investir financièrement dans la littérature africaine francophone, parce que j’ai constaté qu’elle était en quelque sorte « le parent pauvre » de la littérature mondiale en terme d’investissement financier, que ce soit de la part des États ou de celle de la société civile. Et dans la mesure où je n’aime pas critiquer sans proposer de solutions, je me suis donc lancée. 

AF : Ngoan Beti, c’est, je crois, « la fille de Mongo Beti »… Quelle place dans ce paysage intellectuel et littéraire occupent dans votre cœur les aînés, et notamment parmi les Camerounais, Mongo Beti, Ferdinand Oyono ou Francis Bebey?

FANZ : Mon pseudonyme sur les réseaux sociaux est effectivement « Ngoan Beti » qui signifie la fille de Mongo Beti. Bien évidemment, je ne suis pas sa fille naturelle, mais j’ai la prétention de me considérer un peu comme sa fille spirituelle, parce que j’ai toujours été très admirative de son travail et de son courage d’écrivain engagé. D’ailleurs, je pense m’inspirer beaucoup de ce qu’il a fait et de la manière dont il l’a fait, notamment parce qu’il a créé une librairie au Cameroun en plus de ses activités d’écrivain et d’éditeur. C’est particulièrement à Mongo Beti que j’ai pensé lorsque l’association a été créée, c’est pour cette raison qu’elle s’appelle Le Cercle des amis des Écrivains Noirs Engagés. Mongo Beti était l’écrivain engagé, par excellence. C’était une sorte d’hommage à son travail. 

S’agissant des auteurs comme Ferdinand Oyono ou Francis Bebey, il est incontestable qu’ils appartiennent aux classiques de la littérature africaine. J’ai beaucoup de respect pour eux. C’est d’ailleurs le lieu de rappeler, par exemple, que ma maison d’édition Flore Zoa a acheté les droits de la trilogie de Ferdinand Oyono pour pouvoir les imprimer et les distribuer gratuitement en Afrique.

AF : Je ne voudrais pas laisser penser que la littérature camerounaise actuelle ne serait que féminine, mais on doit se réjouir qu’elle soit singulièrement portée par des voix de femmes puissantes et inspirantes, Léonora Miano, Imbolo Mbue, Hemley Boum, Djaïli Amadou Amal, et avant elles Calixthe Beyala. Qu’en pensez-vous ?

FANZ : Bien évidemment, en tant que femme, je ne puis que me réjouir de ce que la littérature camerounaise soit principalement portée actuellement par des grandes voix comme celles que vous avez citées et bien d’autres encore. C’est une place qu’elles ont méritée grâce à leur travail. D’ailleurs, je tiens à préciser que deux des auteures citées, à savoir Imbolo Mbue et Hemley Boum ont été récompensées par le prix Les Afriques.  S’agissant de Calixthe Beyala, nous l’avons reçue dans notre bibliothèque au Cameroun pour une conférence le 6 Août 2021. Enfin, nous espérons pouvoir travailler dans l’avenir avec Léonora Miano et Djaïli Amadou Amal qui sont récipiendaires de plusieurs prix littéraires.

AF : Comment fait-on pour défendre aujourd’hui l’exigence littéraire la plus haute (si l’on considère que c’est ce que vise un prix comme les Afriques) et le souhait de transmettre le goût de lire au plus grand nombre ?

FANZ : À mon humble avis, je pense que l’un ne va pas sans l’autre, parce que c’est seulement lorsqu’on a pu identifier un écrit comme étant un modèle en matière de littérature, qu’on peut se permettre d’inciter les gens à le lire. Parce que, ce faisant, nous prenons la responsabilité de leur dire « voici un chef d’œuvre littéraire que vous devriez connaître ». Cette responsabilité implique donc qu’il faille prendre en amont le soin de bien choisir le livre à proposer. C’est le cas dans tous les pays où un livre est proposé au grand public notamment par le biais des écoles. Il doit au préalable remplir certains critères d’excellence. À la CENE Littéraire, le livre primé doit respecter tous les canons et les critères d’excellence en littérature et c’est la raison pour laquelle nous avons un jury de qualité.

AF : Vous avez également mis en place une résidence d’écriture. Voulez-vous en dire un mot ? Y a-t-il d’autres projets encore que vous voudriez présenter ?

FANZ : L’idée de la résidence d’écriture nous est venue il y a quatre ans environ, lorsque nous avons eu la possibilité d’inviter au Cameroun Abdelaziz Baraka Sakin, prix littéraire Les Afriques 2017. Il y est resté trois semaines au cours desquelles non seulement il a écrit mais il a rencontré la jeunesse. Nous nous sommes alors dit que c’était une occasion à renouveler avec d’autres écrivains dans un cadre beaucoup plus formel. 

Quant à un autre projet qui me tient à cœur, c’est la réédition des classiques africains dont j’ai acheté les droits. Il s’agit, comme je l’ai évoqué, de la trilogie de Ferdinand Oyono et de l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Le but étant de les faire redécouvrir à la jeunesse africaine par le principe des cafés littéraires. J’ai déjà acquis les droits, mais l’impression ainsi que le transport des livres en Afrique s’avèrent extrêmement coûteux, donc nous sommes en attente de trouver des fonds.

AF : Et peut-être de manière subsidiaire : 3 adjectifs pour vous définir ? 3 mots qui résumerait votre ambition ?

FANZ : Trois mots, je dirais : résilience, parce qu’elle est vraiment nécessaire dans le milieu littéraire africain, ensuite volonté et enfin, pragmatisme. C’est un peu mon côté avocate. Et peut-être un quatrième : trop rêveuse !

Propos recueillis par Annie Ferret

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