Accompagner ses morts

Un bouquin de Nathalie Nothomb est toujours un drôle d'objet. Sur la couverture, il est indiqué qu'il s'agit d'un roman... Mais l'expérience de lecture nous met plutôt sur la piste de l'écrit biographique et de l'essai avec une pincée de poésie. Le terme " roman " pourrait placer l'accent sur la part de fiction qui découle de toute tentative de se raconter. Car nous n'avons jamais tout à fait accès au réel, juste à la perception que nous en avons et aux souvenirs plus ou moins transformés qu'il nous en reste. Mais peu importe, ce petit livre, Psychopompe fut un véritable plaisir de lecture.

Quoi en dire sans trop révéler ? Pour commencer, ce titre, Psychopompe ? Mon Antidote me dit : Qui conduit les âmes des défunts. Et Google : Dans la mythologie grecque, il s'agit de celui qui guide dans l'au-delà les âmes des êtres morts récemment. Voilà donc le propos de Nothomb, qui revisite son enfance marquée d'une agression sexuelle et de ses conséquences pour comprendre d'où lui est venue cette expérience qu'elle a ressentie si fortement au décès de son père. Elle explique de cette manière ce qui l'a guidée dans l'écriture de Premier sang, sur la vie de son père, et elle nous livre sa compréhension de son art. " Écrire, c'est voler. " Et dans cette méditation sur la mort, sur le rôle des vivants auprès du défunt, sur l'écriture comme véhicule de l'accompagnateur, elle fait la part belle aux oiseaux et au désir brûlant qu'elle avait de voler lorsqu'elle était jeune.

À propos de l'engoulevent:

J'éprouvai d'emblée pour lui une passion. Pour d'obscure raison, cet élan alla jusqu'à l'identification. Cela me valut des " Tu n'es pas si moche que ça quand même " qui soulignèrent l'ampleur du malentendu. Moi, je le trouvais magnifique. Son nom parlait pour lui. Étymologiquement, il était celui qui avale le vent. Une telle aérophagie laissait perplexe, sauf que pour ma part, j'y entendais autre chose. Il était celui qui avait l'aval du vent. Son vol le confirmait. Il fallait le voir tutoyer Éole, se glisser entre deux courants, emprunter le couloir d'air qui le propulsait en plein ciel en moins d'une seconde, puis dévaler tant d'altitude pour le plaisir, et se rattraper juste avant le sol. p. 51

Ce court extrait permet d'apprécier la plume concise, précise, élégante et évocatrice de l'auteure, au service d'une pensée réfléchie et d'une profondeur certaine. Elle nous incite à la rêverie (dans le sens sérieux du terme) sans lourdeur. J'ai lu quelques-uns de ses livres sans jamais avoir été déçue.

Ce qu'en dit Nothomb dans La Presse et la critique littéraire qui en est faite,

Amélie Nothomb, Psychopompe, Albin Michel, 2023, 157 pages