Il s'agit des restes de la grande pyramide à degrés de Tenochtitlan, capitale des Aztèques, ainsi que du centre cérémoniel sacré dans lequel elle se situait, au centre de la capitale mexicaine, sur l'actuel Zócalo (place centrale) de Mexico, à deux pas de la cathédrale alors que la plupart des pyramides sont plutôt en pleine nature.
On a du mal à imaginer la grandeur de l'édifice qui a été détruit après la prise de la ville par Cortés en août 1521, et la disparition de l'Empire aztèque. Les espagnols ont "si" bien rasé la ville primitive qu'on avait même oublié son existence bien que des fouilles plus anciennes avaient pourtant eu lieu.
On doit à des terrassiers de la Compagnie d’électricité, la mise à jour d’un énorme monolithe circulaire figurant la déesse de la lune Coyolxauhqui qui inaugura alors un demi-siècle de fouilles archéologiques d’une ampleur inédite. Car si l’histoire de l’Empire mexica (1325-1521) était largement connue et documentée, sa culture demeurait ignorée dans les domaines des rituels, de l’art et de l’architecture.
L'endroit est d'ailleurs peu engageant, en raison de la présence de bâches et de la couleur noire de la pierre volcanique comme on peut le voir sur la photo que j'ai prise du site.L'INAH (Institut National d'Anthropologie et d'Histoire) transforme alors son projet de création d'un musée de Tenochtitlan en un programme de fouilles de grande envergure, qui permettra d'excaver environ 1,2 ha des ruines monumentales du Templo Mayor, sur un carré d'environ 350 m de côté. Le Museo del Templo Mayor est inauguré en octobre 1987 et j'ai pu y voir des pièces magnifiques.
Cependant, avec le temps et la progression des recherches j'avoue avoir mieux compris l'usage du
centre religieux de Tenochtitlan en visitant l'exposition parisienne, Mexica, des dons et des dieux au Templo Mayor au Quai Branly organisée en association avec l'INAH, unique dans l’histoire de l’archéologie mésoaméricaine et présentée pour la première fois en Europe.L'exposition est très bien conçue en associant des sculptures et des offrandes du Temple Mayor avec d'autres objets prêtés par le musée d'Anthropologie de Mexico et bien sur d'autres encore issus des collections du Quai Branly, le tout dans une scénographie extrêmement didactique ponctuée de films restituant la philosophie et les croyances mexicas.En premier lieu je voudrais illustrer l'article par les quelques clichés que j'ai faits en 1979 des 6 pièces qui me semblaient spontanément les plus déterminantes. Au moins 3 sculptures ou céramiques sont présentées au quai Branly, dont celle qui a été choisie pour l'affiche. Je comprends pourquoi elle me semblait familière quand j'ai appris par elle l'existence de l'événement.Avant de poursuivre avec l'exposition parisienne il me semble essentiel de partager avec vous un pan de mur qui évidemment n'a pas voyagé et dont l'existence est déterminante.Il s'agit du grand tzompantli qui mesurait 35 m de long pour 12 de large et 4 à 5 m de hauteur, soit à peu près deux terrains de tennis. On empalait sur la structure de poteaux en bois les crânes humains des victimes sacrifiées en Mésoamérique dont le nombre est estimé à 136 000.Il aurait été construit entre 1486 et 1502, environ une vingtaine d’années avant l’arrivée des conquistadors qui ont presque tout détruit. Il en reste des traces qui à elles seules font froid dans le dos.Les suppliciés étaient invités à grimper en haut de la grande pyramide de Tenochtitlan, où se trouvaient les deux grands temples des dieux tutélaires des Aztèques, celui de la guerre et du soleil, Huitzilopochtli et celui de la pluie, Tlaloc.
Les prêtres aztèques, après avoir ôté le cœur des victimes étendues sur la pierre sacrificielle convexe (techcatl, "pénitence"), leur tranchaient la tête à l’aide de lames en obsidienne. Les corps étaient jetés jusqu’en bas des marches, sur un monolithe couché – toujours visible de nos jours à Mexico – représentant la déesse de la terre, Tlaltecuhtli, qu’ils étaient censés nourrir.
Les têtes étaient écorchées, le cerveau et les muscles retirés. Les crânes étaient ensuite enfilés par deux trous au niveau des tempes, le long de baguettes, aux côtés de milliers d’autres qui se décomposaient lentement et qui, une fois tombés à terre, devenaient des offrandes ou qui pouvaient finir encastrés dans deux piliers de chaux qui flanquaient le tzompantli.
Des analyses sont encore en cours pour en savoir davantage sur les victimes et sur les techniques de décapitation, qui semblent parfaitement maîtrisées et uniformes.
La visite de l'intérieur du Temple est tout autant surprenante. Je me souvenais particulièrement des sculptures de taille humaine en céramique et stuc peint de Mictlantecuhtli, le dieu de la mort (ci-dessous à gauche) et de l'Aigle Guerrier (ci-dessous à droite)Le premier est un être semi-désincarné en position d'attaque, avec des griffes qui tiennent lieu de main des cheveux bouclés, qui étaient probablement placés dans les perforations de sa tête. Ces deux caractéristiques sont des particularités des êtres de l'inframonde. De ses côtes apparentes, pendent le foie et la vésicule au-dessous de sa cavité thoracique, car selon les croyances des Mexicas, ces viscères contenaient l'ihiyotl, l'âme associée aux pouvoir du monde souterrain et dont dépend la vigueur physique et une grande partie des passions et des sentiments et étaient étroitement liés au Mictlan autrement dit aux Enfers.Le second conserve des restes du stuc qui le recouvrait, simulant le plumage des costumes authentiques. Les aigles guerriers comme les Jaguars guerriers composaient les deux corporations les plus importantes au sein de l'armée mexicaine, les premiers se rapportant au Soleil et les seconds à la Terre et à la nuit.
Ils ont tous les deux été trouvés en 1994 dans le bâtiment connu sous le nom de Maison des Aigles, au nord du Templo Mayor. Les deux effigies étaient disposées à l'époque de Motecuhzoma I (1440-1469) sur des bancs qui flanquaient l'entrée du bâtiment et où se déroulaient les cérémonies liées à l'intronisation. du Hueitlatoani, le plus haut dirigeant de Tenochtilan, décrites plus haut dans l'article.Je me rappelle aussi d'autres pièces, non transportables, comme ces Guerriers en procession en basalte polychrome 1469-1481
J'avais aussi retenu ce Pot à l'effigie de la déesse du maïs Chicomecoatl en céramique polychrome et une sculpture du dieu du Feu Xiuhtecuhtli en basalte polychrome datant tous deux de1469-1481Curieusement, peut-être en raison de l'émotion provoquée par la déambulation dans ce lieu autrefois sacré, je n'avais pas retenu des objets qui ont par contre attiré mon regard au quai Branly.Il faut saluer la scénographie, qui évoque cette période troublante comme un conte, avec pour commencer la présence de vitrophanies représentant les principales divinités. On les admire en faisant la queue pour visionner un fil résumant le contexte. J'ai choisi Quetzalcoatl, dieu créateur de l'univers et de l'humanité, souvent désigné sous le nom de Serpent à plumes et qui est représenté de plusieurs manières. Le voici, mi-oiseau, mi-serpent, sculpté dans une roche volcanique appartenant au Quai Branly.Il est le dieu créateur de l'univers et de l'humanité, né de la fusion des deux pôles opposés, souterrain et céleste. Il exprime ainsi les principes fondamentaux de dualité, d'opposition et de complémentarité qui régissent la pensée mexica. Franchissant inlassablement les limites spatiales et temporelles de l'univers, il fait circuler les substances entre le monde des dieux et celui des hommes et favorise la succession des jours. Sur cette sculpture, la tête est ornée d'une natte symbole de pouvoir.Le voici sous une autre forme, elle aussi provenant des collections du musée du Quai Branly, cette fois en andésite, De par sa nature composite et complexe et la diversité de ses pouvoirs il est le dieu qui a le plus grand nombre d'avatars. Il peut être le vent qui apparait sous forme de singe ou d'homme masqué. Sous la forme de Vénus, étoile du soir et du matin, sa nature céleste et souterraine est divisée.Sous tous ses aspects, il est reconnaissable par ses ornements d'oreilles et son pectoral en forme d'escargot coupé longitudinalement dans un cas, transversalement dans l'autre. Mais la forme la plus courante est celle de Ehecatl, qui avec cette roche volcanique du Quai Branly le représente ici sous la forme d'un singe qui souffle sur les nuages comme le montre son museau légèrement dirigé vers le ciel.A côté, le basalte provenant du musée d'anthropologie de Mexico, présente un bec d'oiseau caractéristique lorsqu'il est représenté sous une forme humaine.Certaines sculptures n'ont pas de rapport avec les sacrifices mais avec la mort. Ainsi cette Femme divinisée morte pendant l'accouchement Cihuateteotl en pierre volcanique du Musée d'Anthropologie de Mexico. Cette sculpture, dédiée aux femmes mortes en couches, représente une figure féminine assise, portant une jupe unie et une simple ceinture nouée. Son visage, aux os apparents, ses grands yeux circulaires et ses ongles acérés sont caractéristiques des divinités mexicas.L'exposition est pédagogique et tout est entrepris pour faciliter la compréhension et favoriser la mémorisation de cette période de l'histoire mexicaine. Ainsi une représentation colorée de l'Elément architectural du corps de la divinité Tlaltecuhtil ( "Seigneur de la Terre" en nahuatl) est juxtaposée pour permettre son décryptage.A gauche sculpture anthropomorphe Huasteque (Mexique) en pierre volcanique du Quai Branly, à droite Vase en forme de félin Mixtèque (Mexique) en terre cuite du Quai BranlyMasque en pierre métamorphique verte de la chambre 2 du Temple MayorCertaines pièces, heureusement, sont moins troublantes comme ce Chien de pierre en provenance du musée de Puebla.Mais voici, photographié cette fois au quai Branly le fameux Mictlantecuhtli, décharné et son foie qui pend. On retrouve encore Quetzalcoatl sur ce grand récipient en basalte, du musée d'anthropologie de Mexico, destiné à recueillir le sang et les coeurs (cuauhxicalli).Un des plus bel exemples de la statuaire mexicaine accueille le public qui découvre qu'il a probablement servi à recevoir les coeurs et le sang des sacrifiés immolés dans l'enceinte sacré. Représentant un aigle, il est en pierre volcanique, datant de 1400-1521. Dans le symbolisme mexicain, l'aigle est associé aux aspects les plus fondamentaux de la religion et du pouvoir politique. Messager du soleil, esprit du dieu solaire et guerrier Huitzilopochtli, il délivrait au dieu Soleil Tonatiuh sa ration journalière de sang et de coeurs humains afin de le nourrir dans sa course céleste journalière.Il n'y a pas, et pour cause, de morceau du tzompantli mais cet élément architectural provenant du Temple Mayor en pierre volcanique, orné de crânes sculptés (dont on remarquera les gros trous par lesquels on glissait les baguettes) et d'os croisés fait référence à Mictlan, la région des morts. Juste à coté, Relief de l'empereur Moctezuma II se perçant le coeur.Voici deux Couteaux-visage, offrandes en silex, coquillage et obsidienne du Temple Mayor utilisés pour les sacrifices.On continue de nos jours à célébrer les dieux, mais de manière moins "barbare" comme en témoigne elle petit film qui est présenté à la fin de l'exposition. Il n'empêche qu'on peut être surpris de constater que la cigarette ou le coca cola soient des produits sacrés, et pourtant si.De nombreux animaux sont représentés. Vous verrez un squelette de puma. Et ci-dessus vici un Jaguar, en andésite, provenant du musée d'anthropologie de MexicoCette céramique est contemporaine (2002) témoignant combien les figures anthropomorphes accompagnées d'un animal (ici le serpent) continuent à représenter un lien avec l'inframonde. le céramiste est guérisseur et prieur du village nahua dans l'Etat de Guerrero.Cette scène a été filmée dans l'Etat de Vera Cruz et les participants consomment les tamales (papillotes de maïs fourrées de viande ou de poisson selon une recette amérindienne préhispanique) qui ont été préparés pour l'occasion.
Les femmes portent encore un costume d'apparat pendant les cérémonies de demande de pluie
Cela justifie pleinement le choix du visuel de l'affiche avec la fameuse marmite votive avec le visage de Tlaloc, offrande de basalte du Temple Mayor dédiée au dieu de la pluieVoilà une exposition qu'il faut aller voir, peut-être en s'y préparant car certaines salles peuvent heurter la sensibilité et le visiteur en est mis en garde par un affichage. En tout cas il importe de réserver un créneau de visite pour vous garantir l'accès.Toute une programmation de visites guidées et contées, colloques, cinéma, ateliers... est disponible sur le site du musée. On peut aussi prolonger en musique l'immersion au cœur de la culture mexica en explorant la playlist réalisée par l'ethnomusicologue Renaud Brizard.Enfin je souligne la qualité des produits artisanaux présentés dans la boutique du musée. On y trouve même le livre de recette de Mercedes Ahumada que j'ai déjà chroniqué.Mexica, des dons et des dieux
Galerie JardinMusée du quai Branly - Jacques Chirac
37 Quai Branly, 75007 Paris +33 (0)1 56 61 70 00Du mercredi 03 avril 2024 au dimanche 08 septembre 2024
Mardi, mercredi, vendredi, samedi, dimanche : 10h30-19h00
Jeudi : 10h30-22h00Fermeture le lundi