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Aphrodisia - Jean Joubert (1928-2015) avec Raphaël Ségura (1941-)

Par Helmous
Aphrodisia Jean Joubert (1928-2015) avec Raphaël Ségura (1941-)Aphrodisia se lève avec le jour

à l’heure de la dernière étoile,

de la première rosée.

Sur la terrasse, face à l’aurore,

elle tend ses lèvres roses,

darde ses seins fardés de lune,

ouvre sa vulve souveraine

pour que l’aube la pénètre.

Amour avec le soleil.

Le soleil est-il un dieu?

Aphrodisia gémit, soupire.

*

De ses robes, Aphrodisia

n’a certes que peu d’usage.

Ni bijoux ni fards ni voiles,

Aphrodisia se veut nue

comme les roses du jardin

comme les fruits de son verger

- pommes, poires, figues fendues –

comme le serpent qui, la nuit, se glisse

entre les cuisses d’Aphrodisia.

Entre les seins d’Aphrodisia

la rosée risque une perle

qui glisse et roule

jusqu’au très sombre buisson

où, dans l’amour,

perle et luit

la rosée d’Aphrodisia.

*

Aphrodisia, la nuit, se glisse

dans le lit du solitaire,

lève le drap,

chevauche le dormeur

qui, besogné, voit dans son rêve,

penchée sur lui,

la chevelure de l’orage.

*

Dans le chœur du lit défait,

Aphrodisia, agenouillée,

adore le lingam:

le petit dieu, frère d’Eros.

Ni prêtre ni sacrifice

ni cierge ni oraison

mais un murmure,

un soupir,

la salive d’un baiser.

*

« L’homme est un arbre, dit-elle :

berger, peintre, poète

sont les arbres de mon verger.

J’aime l’homme de sang, de sève,

sa chevelure de feuilles.

Je l’accole, je l’embrase,

Je le fleuris de baisers. »

*

« Aphrodisia, dit l’amant,

tu t’ouvres comme la forêt,

tu foisonnes, tu t’enténèbres.

Ah ! profondes voluptés.

Dans ton corps béant je voudrais

comme un chasseur solitaire

forcer le cerf, traquer la mort

avec une meute de loups. »

*

« Voyez ! dit Aphrodisia,

pour vous je m’ouvre comme un livre,

ardente, j’offre à vos yeux

la page fauve sous le poil.

Voyez, lisez !

Je suis naissance,

je suis mystère et volupté,

désir, terreur et tombe rose.

Dans mes replis rusés s’écrivent

le commencement et la fin. »

*

« Un prêtre ensoutané de suie et d’anathème

crie que grouillent dans ma bouche

crapauds, scorpions et vipères,

qu’à la pointe de mes seins

luisent les yeux du démon

et que mon sexe est porte de l’enfer.

Le vent déchire ces paroles.

Avec un grand rire de feuilles

la terre soulevée m’étreint et me féconde. »

*

Au sommet de la colline,

sous la lune pleine et rouge,

Aphrodisia, sorcière nue,

a rendez-vous avec le Diable.

Mais ce qui soudain sort de l’ombre,

la saisit et la chevauche,

est-ce le Diable en personne

ou le berger du troupeau

ou bien encore,

velu, barbu, cornu,

le grand bouc noir?

Un nuage couvre la lune.

Lorsqu’elle va vers la mer

Aphrodisia, sur le sable,

laisse de vives griffures:

signature d’une louve.

Griffes de louve et dents de louve,

Aphrodisia dans l’amour

aime mordre ses amants.

Prends garde, berger volage,

Aux rages d’Aphrodisia.

*

« Je suis printemps, dit-elle,

je suis terre embrassée,

jardin.

Je suis jardin:

sombres iris, chevelure,

pupille, pensée, pervenche,

bouche baisée, coquelicot,

bulbe des seins, jacinthes mauves,

ventre corolle de désir,

toison de fièvre, de fougère

où règne la rosée.

Et mon sexe épanoui de rose triomphante. »

*

« Amant velu, barbu, brutal

qui crois connaître tous les jeux

je t'apprendrai de plus profonds mystères :

feu souterrain, cavernes blanches,

vertiges et voluptés.

Je t'apprendrai que dans le corps

et dans l’au-delà du corps

se mêlent et se marient

la rose de chair et la rose mystique. »

Ainsi parle Aphrodisia.

Extrait de " Longtemps j'ai courtisé la nuit "


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