à l’heure de la dernière étoile,
de la première rosée.
Sur la terrasse, face à l’aurore,
elle tend ses lèvres roses,
darde ses seins fardés de lune,
ouvre sa vulve souveraine
pour que l’aube la pénètre.
Amour avec le soleil.
Le soleil est-il un dieu?
Aphrodisia gémit, soupire.
*
De ses robes, Aphrodisia
n’a certes que peu d’usage.
Ni bijoux ni fards ni voiles,
Aphrodisia se veut nue
comme les roses du jardin
comme les fruits de son verger
- pommes, poires, figues fendues –
comme le serpent qui, la nuit, se glisse
entre les cuisses d’Aphrodisia.
Entre les seins d’Aphrodisia
la rosée risque une perle
qui glisse et roule
jusqu’au très sombre buisson
où, dans l’amour,
perle et luit
la rosée d’Aphrodisia.
*
Aphrodisia, la nuit, se glisse
dans le lit du solitaire,
lève le drap,
chevauche le dormeur
qui, besogné, voit dans son rêve,
penchée sur lui,
la chevelure de l’orage.
*
Dans le chœur du lit défait,
Aphrodisia, agenouillée,
adore le lingam:
le petit dieu, frère d’Eros.
Ni prêtre ni sacrifice
ni cierge ni oraison
mais un murmure,
un soupir,
la salive d’un baiser.
*
« L’homme est un arbre, dit-elle :
berger, peintre, poète
sont les arbres de mon verger.
J’aime l’homme de sang, de sève,
sa chevelure de feuilles.
Je l’accole, je l’embrase,
Je le fleuris de baisers. »
*
« Aphrodisia, dit l’amant,
tu t’ouvres comme la forêt,
tu foisonnes, tu t’enténèbres.
Ah ! profondes voluptés.
Dans ton corps béant je voudrais
comme un chasseur solitaire
forcer le cerf, traquer la mort
avec une meute de loups. »
*
« Voyez ! dit Aphrodisia,
pour vous je m’ouvre comme un livre,
ardente, j’offre à vos yeux
la page fauve sous le poil.
Voyez, lisez !
Je suis naissance,
je suis mystère et volupté,
désir, terreur et tombe rose.
Dans mes replis rusés s’écrivent
le commencement et la fin. »
*
« Un prêtre ensoutané de suie et d’anathème
crie que grouillent dans ma bouche
crapauds, scorpions et vipères,
qu’à la pointe de mes seins
luisent les yeux du démon
et que mon sexe est porte de l’enfer.
Le vent déchire ces paroles.
Avec un grand rire de feuilles
la terre soulevée m’étreint et me féconde. »
*
Au sommet de la colline,
sous la lune pleine et rouge,
Aphrodisia, sorcière nue,
a rendez-vous avec le Diable.
Mais ce qui soudain sort de l’ombre,
la saisit et la chevauche,
est-ce le Diable en personne
ou le berger du troupeau
ou bien encore,
velu, barbu, cornu,
le grand bouc noir?
Un nuage couvre la lune.
Lorsqu’elle va vers la mer
Aphrodisia, sur le sable,
laisse de vives griffures:
signature d’une louve.
Griffes de louve et dents de louve,
Aphrodisia dans l’amour
aime mordre ses amants.
Prends garde, berger volage,
Aux rages d’Aphrodisia.
*
« Je suis printemps, dit-elle,
je suis terre embrassée,
jardin.
Je suis jardin:
sombres iris, chevelure,
pupille, pensée, pervenche,
bouche baisée, coquelicot,
bulbe des seins, jacinthes mauves,
ventre corolle de désir,
toison de fièvre, de fougère
où règne la rosée.
Et mon sexe épanoui de rose triomphante. »
*
« Amant velu, barbu, brutal
qui crois connaître tous les jeux
je t'apprendrai de plus profonds mystères :
feu souterrain, cavernes blanches,
vertiges et voluptés.
Je t'apprendrai que dans le corps
et dans l’au-delà du corps
se mêlent et se marient
la rose de chair et la rose mystique. »
Ainsi parle Aphrodisia.
Extrait de " Longtemps j'ai courtisé la nuit "