Voilà typiquement le genre de nouvelle qui ne changera probablement pas grand-chose aux conditions de financement de l'État français. Mais cela en dit tout de même long sur la réalité des finances publiques dans le pays et la façon dont la gestion gouvernementale est perçue, malgré les gesticulations de Bruno Le Maire, toujours persuadé d'avoir "sauvé l'économie française"... J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet dans le cadre d'une conférence que j'ai donnée en avril dernier avril à l'Université Populaire de Sarreguemines (UPSC). Mais, il me semble important d'y revenir brièvement, car cette dégradation constitue avant tout un camouflet pour la politique du gouvernement, à quelques encablures des élections européennes.
État des lieux des finances publiques
Souvenez-vous, c'était il y a seulement quelques semaines. Le ministre de l'Économie était contraint d'admettre, après la publication des chiffres par l'Insee, que le déficit public était bien supérieur aux prévisions, aux alentours de 5,5 % du PIB en 2023.
[ Source : Insee ]
Et bien qu'il soit de bon ton au sein du gouvernement de critiquer vertement les finances des administrations de Sécurité sociale, force est de constater que crier au loup n'est pas un gage de sagesse (budgétaire) :
[ Source : Insee ]
Quant à la dette publique - ensemble des dettes des administrations publiques au sens de Maastricht - elle augmente de 147,6 milliards d'euros en 2023 pour s’établir à 3 100 milliards d'euros, i.e. 110,6 % du PIB.
[ Source : Insee ]
Sanction de la politique du gouvernement
L’agence de notation Standard & Poor’s a sanctionné tant cette dégradation non anticipée des finances publiques françaises que la politique budgétaire trop optimiste du gouvernement. En effet, à l'instar de très nombreux collègues - et même de la Cour des comptes ! -, j'avais déjà eu l'occasion d'expliquer combien les prévisions de croissance et de réduction du déficit public me semblaient inatteignables. Résultat des courses : l'agence américaine abaisse la note souveraine de la France de AA à AA− !
Pourtant, pour rassurer ses partenaires européens et éviter une nouvelle humiliation de la Commission européenne lors de l'entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires européennes, Bruno Le Maire avait multiplié les appels à sabrer les dépenses publiques dans l'urgence, dès le mois de février.
Au-delà des 10 milliards de cette année, il a très vite été question de couper entre 20 et 30 milliards d’euros supplémentaires de dépenses publiques, afin de revenir sur une trajectoire de réduction du déficit public menant en dessous des 3 % du PIB en 2027. Le tout enrobé dans un discours paternaliste usant et abusant d'expressions telles que "économies dans les dépenses", "dépenser moins lorsque l'on gagne moins", "gage de sérieux", etc.
La course aux coupes budgétaires et ses conséquences
Le résultat sera pourtant le même : à supposer qu'il soit possible de couper de tels montants dans les dépenses publiques, l'économie française et en particulier la croissance en pâtiront, car contrairement à une idée reçue, les dépenses publiques ne sont pas simplement les dépenses de fonctionnement de l'État comme je l'ai expliqué dans cet article.
Les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre citoyens et, en tant que telles, l'on ne peut échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique. Vaste programme, peu rémunérateur sur le plan politique, et absolument impossible à mettre en œuvre dans l'urgence.
D'où, la prolifération d'idées plus ou moins exotiques pour couper les dépenses publiques : réforme de l’assurance chômage, modifications de la prise en charge est affections de longue durée, gel du point pour les fonctionnaires et les retraités, hausse de la TVA… Or, face au ralentissement économique général en Europe, il n'est même pas certain que les montants évoqués plus haut soient suffisants, d'où l'hypothèse de plus en plus probable d'une hausse concomitante des prélèvements obligatoires.
Certes, cette option nucléaire ne serait utilisée qu'en dernier ressort, dans la mesure où elle porterait l'estocade à la politique d'Emmanuel Macron, élu (et réélu) sur la promesse de baisser les prélèvements obligatoires. Mais face à l'urgence, l'histoire politique de la France montre ad nauseam combien les dirigeants politiques savent manier l'art de la palinodie !
Quelles conséquences d'une dégradation de la note ?
Disons-le d'emblée : cette dégradation de la note souveraine ne changera pas radicalement les conditions de financement de l'État français. Certes, il est possible que les taux d'intérêt sur les différents produits de dette publique augmentent un peu, mais les acteurs de ce marché ont déjà eu le temps de se faire une opinion des finances publiques françaises, et de l'intégrer à leurs évaluations, depuis le dérapage annoncé en mars dernier. C'est ce que montre l'écart entre les taux à 10 ans en Allemagne et en France, appelé spread :
[ Source : https://fr.investing.com/rates-bonds/de-10y-vs-fr-10y ]
De plus, les titres de la dette publique française restent très recherchés, car au fond il ne reste pas tant de titres réputés sûrs, alors que de très nombreux agents financiers ont l'obligation d'en détenir (fonds de pension, assureurs...). Mais, il à peu près certain que tous ces acheteurs de dette publique feront désormais pression - directement ou indirectement - pour que le gouvernement français réduise les dépenses publiques et, qui sait, augmente les prélèvements obligatoires en désespoir de cause. C'est aussi cela "l’ordre de la dette" dont parle Benjamin Lemoine et que mes étudiants de L2 connaissent bien à présent.
Qui de la soutenabilité de la dette publique ?
Dernière réflexion : la dette publique est-elle encore soutenable en France ? Ce débat récurrent avait notamment donné lieu à des passes d'armes épiques entre économistes, en 2021, lorsque l'idée avait été lancée d'annuler la dette publique détenue par l'Eurosystème. J'en avais rendu compte dans cet article.
Pour préciser les choses, une dette publique est considérée comme soutenable tant que les administrations publiques qui se sont endettées (État, Sécurité sociale, organismes divers d’administration centrale et collectivités locales) sont en mesure d’assurer à tout instant le service de la dette accumulée. Au vu de ce qui a été dit plus haut, cela suppose entre autres une capacité à lever de nouveaux impôts et surtout le maintien de l’accès aux marchés financiers. L'on voit ainsi immédiatement comment la notation souveraine peut influencer la soutenabilité de la dette publique.
Pour l'instant, il ne semble pas qu'il y ait un danger clairement identifiable à court terme, mais que dire à plus long terme ? Je vous invite d'ailleurs à jeter un œil sur cette courte vidéo dans laquelle Olivier Passet donne son point de vue sur la question :
P.S. L'image de cet article provient de cette vidéo de BFM TV.