Ce livre américain est un recueil de dix nouvelles, qui se déroulent toutes aux États-Unis dans les années 1950. Le racisme, la pauvreté, la cruauté des hommes, la religion, tiennent une place centrale dans ces différentes histoires, et dressent ainsi le portrait d’une Amérique dure, fruste et égoïste.
J’ajoute que cette lecture s’est faite dans le cadre de mon cercle de lecture, en décembre 2023.
Cette chronique rentre aussi dans le défi de l’écrivain, poète, éditeur et blogueur Etienne Ruhaud, « un classique par mois« , où il s’agit de découvrir chaque mois un auteur classique que l’on n’a encore jamais lu. Voici le lien vers son blog Page Paysage.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Folio (initialement : Gallimard)
Première date de parution : 1953 (en Amérique), 1963 en France.
Traduit de l’anglais (américain) par Henri Morisset
Nombre de pages : 277
Note succincte sur l’écrivaine
Flannery O’Connor (1925-1964) est une romancière, nouvelliste et essayiste américaine. Autrice de deux romans, de trente-deux nouvelles et de nombreux textes courts. Son style, qualifié de Southern Gothic est intimement lié à sa région, le Sud des États-Unis, et à ses personnages grotesques. Les écrits d’O’Connor reflètent sa foi catholique et ses interrogations morales. Elle est morte à l’âge de trente-neuf ans.
(Source : Wikipedia)
Quatrième de Couverture
Dix nouvelles de la grande romancière américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s’impose à nous : tueurs évadés du bagne, un général de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains accule à une mort affreuse, et, grouillant à l’arrière-plan, les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds. Les braves gens ne courent pas les rues, telle est la morale assez pessimiste qui se dégage de ces récits. Flannery O’Connor possède, comme Dickens, le don de la caricature mais aussi un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l’horreur.
Mon Avis
J’ai été assez saisie par la plupart de ces nouvelles, qui sont vraiment cruelles, et dont les personnages ne sont pas décrits à leur avantage : égoïstes, lâches, malfaisants, mesquins, calculateurs, idiots, animés par l’esprit de vengeance, etc. Heureusement, il y a une certaine dose d’humour dans ces portraits peu flatteurs et ce sont les nouvelles qui explorent le plus cette veine comique que j’ai justement préférées, même si cet humour débouche en fin de compte sur une grimace, dans la plupart des cas, et tout cela nous parait bien aigre et bien acide, une fois la nouvelle terminée.
Il faut noter la présence assez fréquente d’enfants, d’adolescents ou de personnages handicapés (une sourde-muette, une unijambiste, un centenaire amnésique et gâteux), mais l’écrivaine ne nous les présente pas comme beaucoup plus innocents, purs ou sympathiques que les autres, c’est le moins qu’on puisse dire ! Par contre, s’ils ne sont pas meilleurs que les autres, leur crédulité et une certaine dose de naïveté peuvent leur jouer de très mauvais tours et en faire des victimes toutes désignées, aux yeux de leur entourage.
La présence de certains personnages religieux ou proches de la religion (un prédicateur dans la 2e nouvelle, un prêtre catholique dans la dernière, un vendeur de bibles dans l’avant-dernière) est également intéressante : ils sont présentés de manière très ambiguë et peu flatteuse. Le curé est à la fois idiot et calculateur, le prédicateur a l’air d’un fanatique à moitié fou, le vendeur de bibles est un pervers nihiliste. On se dit que la religion n’est qu’un masque commode pour commettre des vilénies. J’étais étonnée, ensuite, de voir sur Wikipédia que Flannery O’Connor était une écrivaine chrétienne et même férue de théologie – la noirceur du monde qu’elle nous dépeint et son grand pessimisme me semblent pourtant très éloignés des notions de grâce ou de salut mais il est vrai que je n’y connais pas grand-chose ! Une vision de l’humanité qui est en tout cas marquée par l’omniprésence du mal et du péché et au bout de laquelle on cherche en vain l’espérance.
Les nouvelles que j’ai préférées sont justement celles où la religion est présente – car elles ont une puissance étonnante ! – comme La Personne déplacée ou Le Fleuve mais aussi celles dans la veine comique et grinçante comme Tardive rencontre avec l’ennemi ou Braves gens de la campagne.
Un très beau recueil de nouvelles ! L’exact contraire du feel-good ou des histoires gentillettes et faciles ! De la très grande littérature !
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Un Extrait page 125
(de la nouvelle « Le nègre factice« )
Ils continuèrent à marcher, traversèrent cinq carrefours, mais soudain le dôme de la gare disparut. Mr. Head tourna à gauche. Nelson serait resté planté une heure devant chaque vitrine, si la suivante n’avait été encore plus passionnante. Tout à coup, il s’écria : « Je suis né ici ! » Mr. Head se retourna et le regarda, horrifié. Le visage de l’enfant, quoique couvert de sueur, resplendissait : « C’est de là que je viens », dit-il.
Mr. Head était épouvanté. Il vit que le moment était venu de passer énergiquement à l’action. « Il faut que j’te montre quelque chose que t’as pas encore vu », dit-il, et il le guida vers le coin du trottoir où se trouvait une bouche d’égout. « Accroupis-toi, dit-il, et colle ta tête là-dedans », et il retint le garçon par sa veste, tandis qu’il se baissait et passait la tête dans la bouche d’égout. Il l’en sortit bien vite en entendant un gargouillement dans les profondeurs, sous le trottoir. Alors Mr. Head lui expliqua ce qu’était un réseau d’égouts : ils sillonnaient tout le sous-sol de la ville, ils étaient pleins de détritus, de rats ; si un homme y glissait, il était entraîné dans un dédale de tunnels noirs comme de la poix. A tout instant, n’importe quel habitant de la ville pouvait être aspiré par l’égout et disparaître à tout jamais.
(…)
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Un Extrait page 169
(de la nouvelle « tardive rencontre avec l’ennemi« )
Le général Sash avait cent quatre ans. Il vivait avec sa petite-fille, Sally Poker Sash, qui en avait soixante-deux ; tous les soirs, elle s’agenouillait et demandait au Ciel qu’Il prête vie au général jusqu’au jour où elle recevrait son diplôme de fin d’études à l’Université. Le général se moquait du diplôme comme de sa première chemise ; par contre, il était absolument certain de tenir jusqu’à la cérémonie. Au fil des ans, vivre était devenu une telle habitude que tout autre état lui semblait inconcevable. Une remise de diplôme n’offrait rien, à ses yeux, de particulièrement réjouissant, même si, comme le prétendait Sally, on devait l’inviter à prendre place en uniforme sur l’estrade officielle. Il y aurait, disait-elle, un grand défilé de professeurs et d’étudiantes en toge, mais le clou de la cérémonie ce serait LUI, en uniforme de général. Point n’était besoin de le lui dire : il en était suffisamment convaincu ; quant à ce fichu défilé, il pouvait bien descendre aux enfers et en remonter, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Ce qu’il aimait, c’était des cortèges avec des chars remplis de Miss America, de Miss Daytona plage, de reines des produits de coton.