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Le Quatrième

Publié le 02 juin 2024 par Anargala
Sarasvatî, comme exotérique de Parâ et de Gâyatrî, Déesse-soleil qui n'est autre que KâlîElle tient la vînâ qui fait résonner les douze notes de la gamme, comme les douze soleils de l'année, comme les douze Kâlîs de la conscience

Le Mantra le plus célèbre, après OM est sans doute la Gâyatrî, la Chanteuse ou "celle qui fait chanter".

En védique mais sans les accents :

Om bhūr bhuvaḥ svaḥ / 

tat savitur vareṇyaṃ / 

bhargo devasya dhīmahi / 

dhíyo yo naḥ pracodayāt

Om terre, ciel, espace !

Cette splendeur du Soleil,

ce rayon de Dieu, nous le concemplons.

Puisse-t-il faire croître notre intelligence !

_______

Après la première ligne, les trois vers du Mantra à proprement parler, commencent. Trois vers de vingt-quatre pieds chacun. Chaque vers est appelé un "pied", pada, mot qui signifie aussi "état" de conscience ou plan ou niveau.

Il correspondent à 

1) la Terre - le monde matériel

2) le Ciel - le monde de l'âme

3) l'Espace - le monde spirituel

Ces trois vers ou "pieds" font écho à la triple exclamation initiale : "Terre, ciel, espace !" L'attention parcourt ainsi la totalité de l'être - matériel, psychique, spirituel, ou corps, âme et esprit. La tradition fait correspondre cette triade, ce trépied, à bien d'autre triades, à commencer par celle du monde physique, du monde de l'énergie vitale et du plan spirituel. 

Chacune des trois lignes est elle-même divisée en trois :

Le plan matériel est Terre, Ciel et Espace.

Le plan vital, du souffle, est Inspir, Expir et Souffle spatial

Le plan spirituel est la Triple Science, les trois Savoirs, Veda : parole, rituel et chant.

Mais l'important est ailleurs : au-delà de ces trois fois trois plans ou étapes, habite l'Incréé, le Non-né "a un seul pied" (aja-eka-pada), sans pieds, c'est-à-dire qui n'est ni ceci ni cela, aussi nommé le Quatrième.

Selon le Vedânta de Shankara, les trois pieds (pada) sont les trois états (aussi pada) de veille, rêve ou sommeil profond. A noter que la tradition Kaula offre un enseignement très détaillé sur ces trois états, enseignement transmis pas Abhinavagupta. 

Le "Quatrième" est, selon Shankara, l'état sans état, le non-état, arrière-plan des trois états : la pure et simple conscience en tant que spectatrice. La Gâyatrî serait alors la Parole sacrée qui nous emporte vers l'intuition, à la fois primordiale et ultime, de cette conscience, qui est le Soi de tous les êtres.

Cependant, l'interprétation védique donnée par le Vedânta (=les dix Upanishads, à distinguer du Vedânta de Shankara) était la suivante : les trois lignes nous font réaliser le corps, l'âme et l'esprit, jusqu'au coeur, qui est le Soi. En parallèle et à l'échelle de l'univers, ces mêmes trois lignes nous font réaliser les trois plans du monde matériel Terre, Ciel et Espace, jusqu'au Soleil.

Or, l'enseignement de l'union du Coeur et du Soleil, ou plutôt la reconnaissance de l'un en l'autre, est le véritable sens et la vraie efficience du Mantra. Le soleil dans le coeur. Le divin en soi. Je suis cela. Cela qui est l'essence de tout, cela est aussi mon essence. Source de tout, essence et vie du tout, au-delà de tout. 

La lumière du soleil est la lumière que je suis. La lumière qui éclaire ce monde est "la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde". Identité de la lumière extérieure et de la lumière intérieure.

Et le pont entre les deux ? - le Feu, divinité adorée en premier et en dernier. Le Feu est en effet adorée dans le premier Mantra du Veda de la Parole, et aussi dans son dernier Mantra. Le Feu est l'intermédiaire entre les pôles, entre l'humain et le divin, entre le corps et l'esprit, entre le conscient et l'inconscient. 

Or, dans l'enseignement atemporel transmis par Platon dans le Banquet, c'est Eros qui tient ce rôle de messager. Or, Eros, c'est le Désir. Il est l'élan infini vers l'infini.

Donc, le Feu symbolise le Désir, le mouvement qui vient du divin et qui va vers le divin, en une vaste boucle qui embrasse toutes choses. 

Or, le Feu est le symbole de l'énergie ascendante (udâna) selon le Tantra. Le Tantra qui reprend à son compte la Gâyatrî, en héritier qu'il est assurément du Veda, du Savoir atemporel. 

Mais dans le Tantra et, en particulier, dans son ésotérisme Kaula, on met l'accent sur trois "moments" plutôt que sur trois états, bien que l'enseignement sur les états soient aussi transmis, quoiqu'avec des nuances. Les trois moments sont donc : création, subsistance et destruction. Ou émanation, existence et résorption. 

Le Quatrième devient féminin : LA Quatrième. Le Quatrième moment est en effet la Déesse, la conscience. Elle ne se contente pas, toutefois, d'éclairer chacun des moments qui se succèdent : ils sont sa manifestation. Elle est à la fois "affamée" ou "vide" (krishâ) car elle les transcende, en même temps qu'elle est "comblée" ou "pleine" (pûrnâ) car elle est l'âme et comme la substance de ces moments.

Le symbolisme du soleil est aussi présent : la Déesse est le soleil, le soleil intérieur, le soleil dans lequel se résorbent les douze soleils des douze mois. Douze : trois fois quatre. 

Comme nous voyons, les structures symboliques évoluent, mais perdurent. Les schémas 3+1 et 3x4 se développent de façon organique. Apparaît ainsi la majestueuse unité de l'organisme vivant qu'est le Veda-Tantra, Savoir et Trame dont toutes choses ne sont que l'expansion, car tout cela est la Parole. Tout cela est l'Absolu-au-corps-de-parole, shabda-brahman. 

Notons aussi que la Gâyatrî a évolué en tant que Mantra même. Chaque divinité a sa Gâyatrî, car chaque parole est enfant de la Parole. Qu'il me soit seulement permis de dire ici qu'il existe des sâdhanâ entièrement dédiée à la Gâyatrî. Et je mentionnerai le nom de l'un de mes maîtres, Radheshyâma Chaturvedî (le bien nommé !) qui avait consacré toute sa vie à l'adoration de la Gâyatrî.

A l'image du OM ou de n'importe quel Mantra "germe" qui nous emporte vers le haut en nous faisant traverser tous les plans de l'être (qui sont aussi, selon la tradition, au nombre de douze), la Gâyatrî est le guide, la divinité en forme de parole qui nous ravit jusqu'en son sein. 

Ainsi, en peu de mots, ce Mantra contient tout.


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