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Holocaustes, de Gilles Kepel

Publié le 31 mai 2024 par Francisrichard @francisrichard
Holocaustes, de Gilles Kepel

La chaire Moyen-Orient Méditerranée de Gilles Kepel à l'École Nationale Supérieure de Paris, ENS, a été supprimée à la fin de l'an passé, une raison de plus de lire son dernier livre Holocaustes sur Israël, Gaza et la guerre contre l'Occident.

Ce qui a déplu à la direction de la grande école, c'est que le digne professeur privilégie la connaissance à l'idéologie, envers et contre tout. En l'occurrence, être de gauche ne suffit pas pour recevoir l'agrément des soi-disant éveillés d'aujourd'hui.

POURQUOI HOLOCAUSTES AU PLURIEL ?

Au sens premier, holocauste désigne un sacrifice religieux au cours duquel la victime est entièrement consumée par le feu. Par extension, il signifie tout sacrifice, puis figure la victime elle-même.

Au sens moderne, depuis la Seconde Guerre mondiale, holocauste veut dire anéantissement. C'est exactement ce que signifie Shoah en hébreu, le terme de génocide ayant potentiellement un spectre universel. Dans le présent livre, holocaustes désigne:

  • la razzia pogromiste du Hamas, le 7 octobre, où ont été massacrés, violés, mutilés 1 140 Israéliennes et Israéliens, des nourrissons aux vieillards
  • l'hécatombe de Gaza, provoquée par les bombardements et les opérations au sol de l'armée de l'État juif, où ont péri près de 25 0001 Palestiniens, pendant les cent premiers jours de l'offensive

Pourquoi razzia ? Le terme de razzia fait écho à celle que le prophète de l'islam mena contre les Juifs vivant dans l'oasis de Khaïbar, en l'an 7 de l'hégire (628). Les arabes eux-mêmes emploient pour le massacre du 7 octobre un autre terme, qui leur parle davantage: Déluge d'al-Aqsa.

LE CHEF DU HAMAS

L'itinéraire de l'actuel homme fort de Gaza, Yahya Sinwar, 61 ans, est édifiant. Il a passé vingt-deux ans dans les geôles d'Israël et a été libéré en 2011. Il avait joué un rôle majeur dans la fondation du Hamas en 1987 en en créant le service de renseignement:

Sa principale activité consistait à débusquer et exécuter les informateurs palestiniens d'Israël. Elle lui valut le surnom de "boucher de Khan Younès".

Après sa libération, face aux civils palestiniens et, au détriment de son bureau politique, il a fait de la branche armée du Hamas, acronyme de Mouvement de la résistance islamique, son instrument de conquête du pouvoir et de prise de contrôle de l'enclave de Gaza en 2017. 

Les amitiés de Yahya Sinwar sont sélectives: il brocarde les gouvernements arabes qui pactisent avec l'État hébreu et réserve ses éloges à la République islamique d'Iran, particulièrement remerciée pour son soutien financier et opérationnel sans faille.

NETANYAHOU JOUE ET PERD

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou l'était au moment de la libération de Yahya Sinwar et de 1026 autres prisonniers palestiniens en 2011. Il s'agissait d'affaiblir par contrecoup l'Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas à Ramallah.

En 2012, dans le même but, il avait vu avec faveur le financement de Gaza par le Qatar, pensant que, dans ces conditions, le Hamas n'aurait aucun intérêt à s'attaquer à l'État hébreu et que les outrances belliqueuses de son chef n'étaient que rhétorique.

Aujourd'hui il ne doit d'être encore Premier ministre qu'au soutien des députés des partis Force juive et Mafdal que l'auteur classe à l'extrême-droite de l'échiquier israélien. À ce soutien, il y avait une contrepartie: l'appui de Tsahal aux colons de Cisjordanie, avec pour conséquence de dégarnir les frontières d'Israël avec Gaza.

LE PIÈGE

Benjamin Netanyhou ne pouvait que lancer une offensive pour riposter au pogrom du 7 octobre avec pour but la destruction des infrastructures du Hamas et la liquidation physique de ses dirigeants. D'un côté, aux yeux de son opinion, il compensait ainsi l'effroi résultant de ce massacre atroce et délibéré auquel il n'avait pas vouloir croire, mais, de l'autre, en faisant des milliers de victimes palestiniennes, il s'aliénait ses appuis internationaux.

Le Hamas a certainement tendu ce piège, qui se referme sur les autorités israéliennes, militaires et civils, qui, pourtant, l'auteur ne le dit pas, s'efforcent de limiter les pertes parmi les civils palestiniens dont le Hamas se sert comme boucliers humains et dont la propagande grossit sans doute le nombre de victimes2.

L'auteur ne parle qu'à la fin des otages, qui entrent pourtant dans l'équation et qui sont une ignominie de plus à mettre au passif du Hamas, son chef sachant très bien que les Israéliens seraient divisés sur la conduite à avoir pour obtenir leur libération.


LA QUALIFICATION DE GÉNOCIDE

La qualification de génocide appliquée aux victimes palestiniennes est bien évidemment indue. Car l'intention n'est pas de la part des Israéliens de détruire les Palestiniens en tant que tels, en tout ou partie, mais de traquer les terroristes du Hamas qui se cachent au milieu d'eux.

L'auteur dit bien que cette qualification, destinée à l'imaginaire politique occidental, assimile le peuple victime de la Shoah aux atrocités commises contre lui par son bourreau et révoque ainsi la logique onusienne qui fonde Israël en 1947 comme État-refuge pour les Juifs.

L'AFFRONTEMENT NORD - SUD GLOBAL

Le massacre du 7 octobre, très bien préparé, a eu pour effet de redistribuer les cartes dans la région et dans le monde avec pour aboutissement que les pays du Sud Global considèrent la tuerie de Gaza par Israël comme perpétrée par un intrus occidental au Proche-Orient:

[Cette tuerie] est donc spécifiquement blâmable parce qu'inscrite dans la lignée des crimes de la colonisation et de l'impérialisme.

Que faut-il entendre par Sud Global? Principalement les BRICS+, c'est-à-dire le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, auxquels il faut ajouter notamment l'Iran, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Le problème est que l'Europe est en train de vivre des mutations géographiques majeures, du fait de l'implantation sur son sol de populations originaires du sud et de l'est de la Méditerranée, qui compensent son déficit démographique, populations rejointes, depuis les crises consécutives aux "Printemps arabes" de la décennie écoulée, par des millions d'immigrants illégaux en provenance du "Sud Global" dont les dirigeants et porte-parole vouent aux gémonies le "Nord"...

ÉPILOGUE

Sur le rôle que devrait jouer l'Europe, l'auteur exprime un regret, qui résonne singulièrement à dix jours des élections européennes:

Alors que l'Europe aurait vocation à démontrer, par sa capacité intégratrice, l'inanité du clivage existentiel entre le "Sud Global" - dont nombre d'habitants aspirent à la rejoindre par n'importe quels moyens - et le "Nord" occidental, et à faire entendre une voix puissante, celle-ci est devenue presque inaudible.

En fait l'Europe n'administre plus la preuve de sa capacité intégratrice depuis des décennies... grâce, en particulier, à tous ceux qui flattent le communautarisme.

Francis Richard

1 - L'auteur reprend les chiffres du Hamas, pourtant sujets à caution, que les médias internationaux ont fait leurs.

2 - Il est d'ailleurs vraisemblable que le Hamas additionne pertes civiles et pertes terroristes, omettant d'en donner les proportions, qui pourraient bien être de une pour une...

Holocaustes, Gilles Kepel, 216 pages, Plon


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