Synopsis officiel: Été 1900, dans une vallée du sud de la Suisse. Élisabeth a dix-sept ans et s'apprête à faire ses vœux quand le décès brutal de sa sœur aînée l'oblige à retrouver sa famille et la vie de labeur qu'elle avait quitté cinq ans plus tôt pour entrer au couvent. Élisabeth n'est plus une enfant et les mystères entourant la mort de sa sœur vont la pousser à lutter pour son droit à l'expérience.
En salle à Montréal le 31 mai 2024
Marquée par un fait divers tragique (deux adolescents d'une banlieue de Berlin qui s'immolent par le feu), Carmen Jaquier a tenu pour son premier long métrage en solo à s'interroger sur les émotions qui traversent l'adolescence, ses injustices, ses rejets et ses désirs. Parallèlement, en feuilletant des carnets de notes ayant appartenu à son arrière grand-mère, elle a découvert comment son aïeule - campagnarde rustre et simple - avait réussi à se créer, en secret, un espace de connexion avec Dieu.
Partant de ces deux pôles d'attraction forts - l'adolescence et la foi -, la réalisatrice suisse a tissé une histoire d'une belle profondeur qui se distingue aisément des passages à l'âge adulte et des récits estivaux que l'on a l'habitude de voir. Foudre, à la sensualité omniprésente, se nourrit d'ombres et de lumières, rendues à part égale dans l'histoire de l'apprentissage douloureux vécu par la protagoniste, parfaitement campée par la Française Lilith Grasmug.
Après avoir embrassé les vertus divines procurées par l'enseignement catholique qu'elle reçoit au couvent, Élisabeth découvre dans le journal intime de sa soeur disparue que les premiers tressaillements amoureux peuvent aussi être manifestation divine. Cet émoi, son épanouissement spirituel et charnel et cette sexualité qu'elle relient directement à la présence concrète de Dieu sur Terre, rentrent en conflit avec les valeurs morales strictes imposées par l'Église et ses parents.
J'ai trouvé que la dualité entre forces libératrices et dogmes obscurantistes était parfois un peu trop manichéenne (les parents, la mère en particulier, semblent à mille lieux des émotions de leur fille, comme celle-ci n'était qu'une étrangère). Toutefois, Foudre repose sur une mise en scène d'une grande délicatesse (la scène dans le champs d'orties est mémorable), des comédiens parfaitement justes et une direction photo immersive qui parvient à sublimer autant le caractère émancipatoire de l'acte d'amour que les recoins les plus sombres de l'âme humaine.
Au niveau de ses thèmes, Foudre, c'est avant tout l'histoire de l'émancipation de femmes qui, historiquement, n'ont pas eu le droit ou la possibilité de penser à elles, à leur corps, à leurs plaisirs ou à leurs émotions. L'opposition entre l'incandescence d'un apprentissage qui, par définition, est unique et irremplaçable, et la noirceur d'un héritage qui rend obscur tout ce qui n'est pas travail et abnégation, prend racine au sein d'une nature sauvage, aussi accueillante que terrifiante. Mais, par le biais du choc que vit sa protagoniste, et bien qu'elle ait campé son récit au début du XXe siècle dans une communauté alpestre recluse, Jaquier aborde des thèmes universels et tout à fait actuels, tels la lutte contre le fanatisme religieux ou la transmission des valeurs, des savoirs ou autre croyances.
En somme, avec ce premier long métrage prometteur, Carmen Jaquier signe une oeuvre forte, délicate et émouvante, qui avait d'ailleurs été inscrite par la Suisse pour dans la catégorie " Meilleur long métrage international " aux Oscars cette année.