Présenté dans la section Un certain regard du festival de Cannes 2024, le très beau The Village next to Paradise (Le Village près du paradis) se déroule en Somalie. Il était intéressant de rencontrer son réalisateur, Mo Harawe, pour mieux comprendre ce qui fait la force du film. L’entretien est publié en anglais sur le site Afrimages. Hicham Rami a mixé quelques passages de l’entretien avec des extraits du film : voir sur Instagram
Je suis impressionné par les dialogues dans votre film. L’humour semble pour vous le moyen d’éviter tout sentimentalisme ou pathos. Comme avez-vous développé cette écriture ?
Au fond je ne sais pas. Je suppose que cela vient de la façon de raconter des histoires en Somalie, subtile, indirecte, parfois avec des poèmes. L’humour y est présent. Vous n’avez pas besoin de tout dire : vous pouvez laisser des éléments de côté. Je crois que l’impact est plus fort lorsque les spectateurs doivent trouver eux-mêmes ce qui manque ou qui se situe entre les lignes. L’humour est comme des épices, c’est très humain et cela permet de parler de choses sérieuses sans lourdeur.
Vous avez participé à des laboratoires de développement du scénario. Comment avez-vous préservé la spécificité de votre écriture ?
Je me demandais toujours si, au fond, j’étais d’accord ou non avec ce qui était proposé, sans toutefois renoncer à me mettre en cause. J’écris intuitivement et fais confiance à mes sentiments. Jusqu’ici, ça a marché. Cela restera toujours la question : est-ce que c’est ce que je ressens et veux dire ?
Diriez-vous la même chose pour les images ? Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur égyptien Mostafa El Kashef?
Je l’ai connu en Egypte et je voulais travailler avec lui sur mon dernier court métrage, Mes parents vont-ils venir me voir ? (Will My Parents Come to See Me?), mais cela ne fut pas possible car il ne pouvait venir en Somalie. Nous nous sommes dit que nous ferions mon prochain film ensemble. Il a amené son équipe d’Egypte et est resté engagé dans le projet durant quatre mois en Somalie. Sans lui, je ne crois pas que nous aurions pu faire le film.
Pourquoi le tournage a-t-il pris tant de temps ?
Nous avons travaillé avec une équipe technique réduite et nombre de gens n’avaient pas d’expérience d’un plateau de tournage. Je savais donc que nous aurions besoin de temps et c’était ma condition pour faire le film. Heureusement, mes producteurs m’ont vraiment soutenu à ce niveau.
Abordons la bande-son. Comment avez vous géré ce vent omniprésent qui apporte vraiment beaucoup à l’ambiance du film ?
Le vent était pour moi un personnage du film. Je voulais tourner durant la période où ce vent souffle, entre juillet et septembre. C’était un défi pour tous : beaucoup de poussière, la définition des pigments, même un jour la caméra ne fonctionnait plus ! C’était également un défi pour le son. Les ingénieurs du son ont fait un travail magnifique. C’était un défi mais cela en valait la peine.
L’enfant, Cigaal, rêve et dessine beaucoup, mais ne se souvient plus de ses rêves lorsqu’il est en ville. Que vouliez-vous dire avec ça ?
Quelque chose de très pratique. Chez lui, il était à l’aise avec son père, Mamargade. En ce sens, il était libre. Mais quand il va au pensionnat, l’ambiance est militaire. Il y perd quelque chose : il n’est plus aussi libre qu’avant.
Je me demandais s’il fallait lier cela à votre situation en Somalie.
Cela n’a rien à voir avec moi en tant que personne, mais je connais ce sentiment. Je comprends la position de Mamargade autant que celle de Cigaal. Mamargade essaye de faire au mieux pour son enfant. L’autre enfant, à qui Cigaal racontait ses rêves, dût probablement rester. Il est entouré d’eau, qui agit comme une frontière. Cigaal a toute la terre derrière lui. On peut ainsi comprendre qui nous sommes et ce qu’on devient. Quelqu’un décide pour nous et il en va ainsi aussi de la situation sociale.
Araweelo, la soeur de Mamargade, devient peu à peu le principal personnage du film, une femme positive. C’est un choix important !
Oui, je voulais que l’on voie d’abord Mamargade comme le personnage central, mais d’une certaine manière, tout tourne autour d’elle. Araweelo a de la resilience et essaye toujours d’arriver à ses fins. Elle obtient ce qu’elle veut. Elle ne comprenait pas qu’elle avait déjà une famille. Son dernier sourire représente ce qu’était sa quête.
En somme, une façon de faire en sorte que sa vie soit proche du paradis…
Oui.
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