Le titre est trompeur car Sophie Tellier est loin d’être opaque. Son talent est tout à fait
perceptible. Il est sans nul doute le fruit d'un immense travail. En toute logique car elle est danseuse et ne doit pas connaitre beaucoup de repos.Je l'avais appréciée dans Belles de scène, mis en scène par Stéphane Cottin aux Gémeaux pendant le festival d'Avignon en juillet 2022.
Ici elle est (presque) seule en scène pour nous faire vivre le destin de Liane de Pougy (1869/1950), danseuse, courtisane, femme d'affaires et écrivaine qui a fasciné son époque par son tempérament et sa vie de "scandaleuse". C’était une femme en avance sur son temps parce qu’elle est parvenue à gagner sa liberté de femme dans une société entièrement corsetée par les hommes.Je ne suis pas étonnée que Sophie Tellier ait relevé ce défi dont elle nous dit dans une note d’intention que sa rencontre avec ce personnage a été une évidence. Sous l’extravagance et l’apparente légèreté de son destin, m’est apparu une vie avec ses joies, ses désillusions, ses peines. Et une certaine résilience. Si bien que cette histoire est peut-être d’une certaine manière un peu la sienne. En tout cas elle y met beaucoup d’elle-même. On le sent et on l’apprécie.Le décor est d’une simplicité extrême avec un brin de sophistication par la découpe d’une méridienne qui trône devant un panneau que j’ai d’abord pris pour un tableau gigantesque en y découvrant deux profils de visages. C’est un peu dommage qu’ensuite il ne soit utilisé que comme paravent pour cacher à demi les mannequins qui évoqueront les hommes importants de la vie de l’héroïne, mais réduits à l’état de pantins, ce qui fit dire à Jean Cocteau : Chère Liane, vous marchez au milieu des hommes avec l’indifférence des astres. Hormis ce regret les lumières sont belles et construisent d’intéressants volumes.Il a fallu du courage pour lancer une procédure de divorce alors qu’elle s’accompagne de la déchéance de ses droits maternels. Du cran pour pour se montrer nue, ce qui était alors un geste politique. Et de l’humilité pour implorer de mourir meilleure et pardonnée.Suscitant la fascination ou le mépris, Liane mènera sa carrière galante en véritable femme d’affaires, et croisera les grandes figures de la Belle Époque. Nulle autre ne pouvait conjuguer aussi élégamment volupté, cérébralité et bisexualité, fut-elle tapageuse. Sophie est sans doute la seule à avoir le tempérament pour la faire revivre sous nos yeux. Elle en a la beauté, un corps sublime et joue à merveille. Et plus encore puisqu’elle esquisse quelques pas de danse et qu’elle chante divinement.Il faut bien entendu dire quelques mots du pianiste qui l’accompagne. Le soir de ma venue c’était Luc-Emmanuel Betton qui est aussi comédien. Il lui donne la réplique avec naturel. Sans doute parce qu’il s’est déjà produit à l’opéra, au théâtre, dans les registres baroque, classique, contemporain et collabore avec des metteurs en scène tels que Philippe Calvario, Jean-François Sivadier, Jean-Luc Paliès, Joe O’Curneen...C’est Jean-Luc Revol qui signe la mise en scène. Il a prouvé combien il pouvait monter une pièce du répertoire classique (Marivaux, Labiche, Goldoni...) que contemporain (Botho Strauss, Stoppard, Ridley, Minyana...) et qu’il était aussi à l’aise dans le musical (La Cage aux Folles, Rendez-vous... ).Chère insaisissable, en se situant en lisière de tous les genres, ne pouvait que le motiver. Et diriger Sophie Tellier était probablement une évidence.Ils se connaissent. Il l’avait mise en scène en 2022 dans Le chevalier et la dame de Carlo Goldoni dont nous avons vu quelques costumes il y a quelques jours, à l’occasion de la 35ème cérémonie des Molières qui rendait hommage à l’immense costumière que fut Pascale Bordier.Sophie Tellier a travaillé avec les plus célèbres et sur d’immenses scènes. Elle démontre ici qu’elle peut tout autant nous émouvoir dans une pièce qui touche à l’intime. C’est le propre des grands (es).Chère insaisissable de et avec Sophie TellierMise en scène et scénographie : Jean-Luc Revol
Au piano: Luc-Emmanuel Betton ou Djahîz Gil
Lumière Anne Gaya Costumes Jef Castaing
Du 1er mai au 23 juin 2024
Au Lucernaire -53 rue Notre-Dame-des-Champs – Paris
Du mardi au samedi à 21h00 Dimanche 17h30