Il en résulte une adaptation très sensible, équilibrant comédie et tragédie en un thriller psychologique dans lequel chaque comédien a une vraie partition à interpréter. Ils sont dirigés avec précision par Thierry Harcourt qui démontre qu’il est autant efficace sur un grand plateau que sur une scène plus modeste (en terme de superficie). Sur le plan théâtral, c’est du vrai travail de troupe.
Toine est bossu et souffre de son handicap bien qu’il semble l’assumer, depuis qu’il sait que le Duc de Lauzun était affligé du même maux, ce qui ne l'empêcha pas d'épouser la Grande Mademoiselle, soeur du roi et de compter plus de 500 maitresses. Toine est amoureux de Naïs, fille d’un paysan violent. La jeune fille l'aime amitié et il devra s'en contenter. C'est de Frédéric, un jeune homme issu d’une famille bourgeoise, qu'elle est tombée en amour.On voit la mer, la montagne, on entend les cigales, on sent le parfum des fleurs, on se promène sous les étoiles, … on est bercé par l’accent du sud. Toute la Provence est sous nos yeux sans le moindre décor.C'est une très bonne idée d'installer les personnages en les présentant sans qu'aucun ne croise le regard d'un autre. Et tout autant d'avoir prévu de jolis moments chorégraphiés. Très régulièrement les dialogues se font sans que les yeux ne se croisent, ce qui a pour effet de renforcer les paroles. C'est assez symptomatique de Pagnol de parler par allusion.Nous traversons des moments de tendresse : les petits bossus sont de petits anges qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. La pièce est un drame et pourtant nous rions.Alors on applaudit longuement Marie Wauquier (Naïs amoureuse déterminée mais soucieuse de tous), Lydie Tison (Madame Rostaing, sévère bourgeoise qui saura évoluer), Choch Kevin Coquard (Frédéric Rostaing, jeune premier dont on s’interroge à propos de ses sentiments), Patrick Zard, (Micoulin, le père de Naïs, un rôle tout en nuances admirablement endossé en quelques répétitions) et Clément Pellerin (qui saute d’un costume à un autre avec agilité) et bien entendu Arthur Cachia dans la peau si complexe d’un bossu qui pourrait être le cousin de Cyrano. sans oublier Tazio Caputo qui signe la musique.Si je dis que j'ai découvert aujourd'hui le spectacle c'est parce que je ne suis pas allée en juillet 2023 au festival d'Avignon, sinon, pour sûr que je les aurais tous applaudi. Ils y retourneront bientôt, toujours à la Condition des soies, du 2 au 21 juillet 2024 à 13h40, où il est évident pour moi que ce sera un succès, comme ce le fut les deux dernières années. Et c'est une belle façon de célébrer le cinquantenaire de la disparition de Marcel Pagnol.Pour le moment et jusqu'au 30 juin ils sont installés au Lucernaire - 53 rue Notre Dame des Champs 75006 Paris, 'du mercredi au samedi à 18 h 30, dimanche à 15 h, jusqu’au 30 juin.Naïs de Marcel PagnolMise en scène Thierry HarcourtAvec Arthur Cachia, Kevin Coquard, Clément Pellerin ou Simon Gabillet, Lydie Tison, Marie Wauquier et Patrick Zard'Musique Tazio CaputoLumières Thierry HarcourtCostumes Françoise Berger et Yamna Tison*
L’été arrive et les jeunes amoureux se laissent aller à des plaisirs que leur condition sociale ne leur permet sans doute pas…
* *Je recommande à cet égard de lire la nouvelle d'Emile Zola, disponible dans un petit recueil paru en Livre de Poche, en compagnie de trois autres, de Flaubert, Maupassant et Balzac. Naïs est la première (j’avais envie de voir quel chemin Arthur Cachia avait effectué pour donner à Toine l’ampleur qu’il prend dans la pièce où il l’incarne au Lucernaire). Le style de Zola est purement magnifique. Jugez plutôt sur cette phrase décrivant l'état d'esprit de la jeune femme : une rancune sombre la tenait muette à rouler des vengeances (p. 20).La seconde est tout autant intéressantes puisque c'est Un coeur simple de Gustave Flaubert, agréable à relire en pensant cette fois à Isabelle Andreani qui en a fait une brillante adaptation et qui l'interprète au Théâtre du Poche Montparnasse depuis plusieurs années, et qui reprendra sans doute bientôt ce rôle.La troisième, Le papa de Simon, très courte, ne pourrait plus être écrite de la sorte aujourd’hui. Toutes quatre dépeignent la famille au XIX°. Ça me change des premiers romans du XXI° dans lesquels les préoccupations sont tellement différentes.