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Faire revenir les chromes

Publié le 24 mai 2024 par Nicolas Esse @nicolasesse

Il luisait doucement dans la pénombre.
Discret. Rouge fatigué. Le guidon plat et recourbé. Penché sur sa béquille, nonchalant, sans rien dire. Et terni. Terni aussi, blanchi par la poussière du ciel, vieilli, ridé, usé par les années. La toile de ses pneus un peu ébouriffée. Le cadre fin et les haubans légers. La silhouette filigrane, le haut de la fourche chromé, encore brillant après toutes ces années. Né dans les années 70 dans les usines Cilo, comme mon premier vrai vélo. Sans crier gare, ces quatre lettres me transportent sur ce foutu raidillon à cinq heures d’un matin de juillet.

Il fait déjà si chaud et je n’ai pas dormi.
Des nuits blanches de l’adolescence et de leurs lendemains qui déchantent on tire des conclusions douces-amères quand il s’agit d’attaquer cinq kilomètres de plan incliné à la seule force de ses jarrets.
Je voudrais bien m’arrêter là, sur le plat, me coucher entre deux murs de pierres sèches et dormir tranquille jusqu’à la fin de mon échec scolaire. Seulement, il y a maman. Elle va se lever dans un peu plus d’une heure. Faire sa toilette. S’habiller. Prendre son petit-déjeuner. Ne pas me voir sortir de ma chambre alors que le car va bientôt arriver. Elle ouvre la porte de ma chambre. Le lit est vide. Vide.
Vingt minutes plus tard, j’ai franchi le premier palier sans mettre pied à terre et en souplesse, s’il vous plait. Sur le long faux-plat, je m’interroge, comment est-ce possible que j’avance à cette allure, les jambes en manches de veste et des haut-le-cœur plein l’estomac ? Je ne sais pas. Les deux derniers kilomètres d’ascension, je les efface de la même manière, au train, et presque sans transpirer. J’arrive chez moi, je mets pied à terre et range mon vélo sous l’abricotier. Ensuite, je grimpe sur cet arbre commodément situé juste sous ma fenêtre que j’ai pris soin de laisser entrebâillée. D’un bond léger je glisse de la branche vers l’intérieur de ma chambre, stratagème ingénieux qui supprime le passage par la porte d’entrée et le déclic de son loquet bruyant qui ne manque jamais de réveiller maman.
Je rejoins mon lit. Aucun bruit. Tout le monde dort.

Devant moi, le vélo rouge marqué désir. Je le voulais pourtant, commun, ordinaire et si possible un peu fané, juste ce qu’il faut pour ne pas craindre la morsure de la pince monseigneur pendant que papa déambule dans les rayons remplis de légumes ou de chocolat.
Je le voulais aussi invisible que cet adolescent caché au dernier rang.
Je vais le démonter, le nettoyer, le graisser, lui changer les pneus, faire reluire ses jantes et ses garde-boue.
L’oindre des meilleurs produits.

Refaire à neuf mes souvenirs.


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