Reproduit à l’identique dans le film, le tableau avait été spolié au collectionneur juif viennois Karl Grünwald (1899–1964), qui a réussi à fuir hors d’Europe tandis que son épouse, sa fille et toute sa famille ont été assassinées à Auschwitz.
Ce tableau peint en 1914, en écho à ceux de Van Gogh, représente des tournesols morts et rabougris sur un fond argenté. On les perçoit malades, voire vénéneux, et leur silhouette fait penser aux corps déformés attribués au peintre autrichien.
Sans la publication de la photo de cette oeuvre en couverture d’un magazine consacré au peintre, ce tableau serait resté accroché dans l’atmosphère enfumé du poêle à bois qui chauffait la chambre d’un jeune homme, à côté de la cible d'un jeu de fléchettes.
Etant relativement peu connu, le spectateur hésite à croire ce qu’il voit et pense d’abord à une totale fiction. Il avait pourtant été exposé d'octobre 2018 à janvier 2019 à la Fondation Vuitton dans le cadre d’une exposition associant Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat, comme plus tard cet organisme le fit avec Andy Warhol.
Le réalisateur a conservé l’essentiel de la trame historique et a conçu à partir de là une oeuvre qui autopsie le monde du commerce de l’art, donnant lieu à une fresque sans concession de pratiques douteuses, de compétitions fratricides, de jeux de pouvoir et surtout d’un univers où l’argent est plus important que l’art.
Il brosse aussi le portrait de collectionneurs plus ou moins intègres et pour le moins caractériels. La première scène dans laquelle Marisa Borini interprète une femme riche et non voyante accordant une confiance aveugle donne tout à fait le ton. Des personnages aux ordres gravitent autour, richement rémunérés et qui ne trouvent pas nécessairement le bonheur. Il les oppose à des gens simples qui ne veulent surtout pas "avoir de sang sur les mains", entendons par là pour qui l’argent doit être gagné à la sueur de leur front, et ne pas tomber du ciel, surtout s’il y a eu de la malhonnêteté.
Cette alchimie entre vraies inégalités sociales et faux-semblants, dans laquelle il est question d'estime et d'estimation, fonctionne jusqu’au rebondissement final qui rend toute l’histoire crédible en démontrant une fois de plus que les origines resteront toujours trompeuses et qu'il n'est jamais trop tard pour rien co. Et puis c'est l'occasion de nous immerger dans le monde des enchères dont nous découvrons les codes et les usages.C’est enfin l’occasion de découvrir Arcadi Radeff qui se glisse si bien dans la peau de Martin Keller, le jeune ouvrier découvreur du tableau, qu’il avec une justesse émouvante.Le Tableau volé de Pascal BonitzerAvec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Louise Chevillotte, Arcadi Radeff…En salles depuis le 1er mai 2024