Après avoir parcouru l'Atelier rouge, je vous conseille de poursuivre avec Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 qui est à l'affiche dans le cadre de "Ellsworth Kelly at 100", célébrant le centenaire de la naissance de l’artiste à travers une exposition itinérante organisée par le Glenstone Museum (Potomac, Maryland) où elle se tient jusqu’au 17 mars 2024.
L'artiste a développé à Paris certaines de ses idées les plus radicales en tant que jeune artiste. L’étape française a donc été adaptée au regard de l’intervention d’Ellsworth Kelly pour l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton.
C'est la première exposition en France à aborder de manière aussi large l’oeuvre de ce créateur essentiel de la seconde moitié du XX° siècle, tant par sa chronologie que par les techniques qu’elle réunit. Elle regroupe plus d’une centaine de pièces, peintures, sculptures mais aussi dessins, photographies et collages et bénéficie de prêts d’institutions internationales et de collections privées.
Ce n'est pas ce qui apparait sur l'immense cliché en noir et blanc (intitulé Kelly avec Yellow with red triangle -1973- et Blue with Black Triangle - 1973- dans son atelier de Cady's Hall à New-York en 73) qui prépare le visiteur à découvrir l'oeuvre de l'artiste américain. En effet, si la photo avait été en couleurs, on remarquerait, de gauche à droite, le jaune, le rouge et le bleu. Mais dès qu'on a franchi l'entrée de la galerie, les couleurs -saturées- vont éclater, et vous remarquerez qu'elles se reflètent dans le sol et sur les murs.Le parcours commence et se clôt avec un Spectrum (ci-dessus, composé de 12 panneaux joints peint à l'acrylique sur toile, et qui ne sont pas dans l'ordre de l'arc-en-ciel) qui est sans doute une des oeuvres de sa série la plus connue, commencée en 1953. Ellsworth Kelly est considéré comme l’un des plus importants peintres et sculpteurs abstraits américains. S’étendant sur sept décennies, sa carrière est marquée par l’indépendance de son art par rapport à toute école ou mouvement artistique et par sa contribution novatrice à la peinture et à la sculpture du XX° siècle. Il s’est inspiré de la nature et du monde qui l’entourait pour créer son style singulier qui a renouvelé l’abstraction aux XX° et XXI° siècles.Dix ans après sa disparition, ses oeuvres exercent toujours la même fascination, bien au-delà des frontières habituelles de la peinture. La Fondation Louis Vuitton a la chance d’en témoigner quotidiennement : son Auditorium abrite la dernière commande réalisée par l’artiste de son vivant en 2014. Pensée en dialogue avec les volumes de l’architecture de Frank Gehry, elle se déploie du rideau de scène (Spectrum VIII, 635 x 584,2 cm) aux murs de la salle de concert comme relevés et animés par une suite de cinq panneaux monochromes épurés et vibrants rouge, jaune, bleu, vert et violet.Ce travail monumental - cette fois pérenne- est intégrée dans l’accrochage, et introduite par une salle documentaire revenant sur ce projet et son inscription dans l’oeuvre de l’artiste.
L’exposition retrace l’exploration par l’artiste de la relation entre forme, couleur, ligne et espace à travers des oeuvres-clés issues de périodes charnières de sa carrière. La diversité des oeuvres, présentées sur deux étages du bâtiment et près de 1500 m2, appelle à se déjouer de la trompeuse simplicité du vocabulaire d’Ellsworth Kelly et à apprécier une oeuvre à la vitalité et la richesse surprenantes.
Souvent monochromes, d’apparence stricte dans leurs lignes, ses travaux ne découlent pas d’un système ou de l’application d’une règle. Ils résultent d’une quête visuelle où formes et couleurs s’accordent avec hédonisme.Parmi les oeuvres marquantes de l’exposition, citons Yellow Curve (1990), première de la série de peintures au sol à grande échelle d’Ellsworth Kelly, exposée dans un espace conçu sur mesure. L’installation, qui s’étend sur plus de 60 m2, est la première présentation de Yellow Curve en Europe depuis sa création en 1990 pour une exposition à Portikus, Francfort-sur-le-Main, intentionnellement pour être posée sur le sol.
Regarder quelques minutes ce jaune saturé suffit à provoquer l'illusion d'optique et nous la voyons s'incurver.Les oeuvres exposées couvrent le large éventail des supports utilisés par l’artiste - de la peinture à la sculpture en passant par les oeuvres sur papier, le collage et la photographie. Parmi les oeuvres phares de l’exposition figurent des peintures de jeunesse telles que Tableau Vert (1952, collection Art Institute of Chicago) premier monochrome réalisé après la visite d’Ellsworth Kelly à Giverny, où très vite on repère el mouvement des herbes sous l'eau. Painting in Three Panels (1956, collection Glenstone Museum) est un exemple-clé de l’engagement du peintre vis-à-vis de l’architecture. Ces travaux précoces sont exposés en amont de réalisations issues des séries désormais canoniques Chatham et Spectrum.Méditerranée, 1952, conservé à la Tate Modern joue avec le hasard et le relief. On a envie de s'approcher pour vérifier que certains panneaux sont en débordement, quitte à heurter la toile avec sa tête comme on peut le constater sur le huitième rectangle, ce qui apparait plus nettement en gros plan.
A la Fondation un système d'alerte permet aux gardiens d'être prévenus si le visiteur s'approche trop près. Les salles suivantes sont fascinantes :A l'extrême droite, Atlantic, 1956, en deux panneaux joints de 203 x 289 cmA l'extrême droite, Blue Curve, aluminium peint, 2014A l'extrême gauche, Red Curve in relief, huile sur toile, 2009, deux panneaux jointsRed White Blue, 1968. En anglais le terme de Shaped Canvas désigne des peintures réalisées sur des toiles au format spécifiquement conçu pour l'oeuvre. Cette idée est conceptuellement présente dès les premiers travaux de Kelly. A quelques exceptions près il s'est tenu à des formes carrées ou rectangulaires jusqu'en 1968. Les trois couleurs peuvent être identifiées comme celles du drapeau français ou américain mais l'occurrence de cette palette est très fréquente chez l'artiste.Une sélection des dessins de plantes réalisés tout au long de sa carrière occupe une place importante du rez-de-chaussée, de même qu’une sélection de photographies rarement exposées et de collages. Les photos illustrent la manière dont l'artiste voit le monde, sans qu'elles lui aient inspiré des toiles. Ci-dessus l'arche du Pont-Neuf, 1978.Il avait une fascination pour les plantes qu'il a dessinées out au long de sa vie. Ici Apples, 1949, aquarelle et mine de plomb sur papier, et Cyclamen, 2000, mine de plomb sur papier.A partir de son séjour en France et jusqu'en 2005 il réalisera environ 400 cartes postales investies comme support de collages. Il en enverra certaines à des proches. La frontière entre abstraction et figuration y est abolie et l'humour côtoie l'intime.On avait vu à l'étage ce relatif grand cadre intitulé Cut Up Drawing Rearranged by Chance, 1950, encre et collage sur papier, (65 x 50 cm) que par la suite on pourrait avoir envie de placer au regard de ces photos.
La rétrospective de l’oeuvre d’Ellsworth Kelly à la Fondation Vuitton8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 ParisDu 4 mai au 9 septembre 2024 (fermé le mardi) les lundi, mercredi et jeudi de 11 à 20 heuresVendredis de 11 à 21 h (nocturne le premier vendredi du mois jusque 23 h)Samedi et dimanche de 10 à 20 hSont présentées simultanément l’exposition événement L’Atelier rouge d’Henri MatisseEt la sélection d’oeuvres de la Collection Vuitton autour du sport à la Fondation (article à venir)Consulter le site pour connaître les visites et activités jeune public.Pour finir, une photo des impressionnants poissons fétiches de Frank Ghery, suspendus au plafond du restaurant le Frank, dont on ne sait plus très bien s'ils nagent ou s'ils volent au-dessus de nos têtes.