Alexandre Bento, technicien de maintenance, mort au travail dans une blanchisserie industrielle

Publié le 19 mai 2024 par Lepinematthieu @MatthieuLepine
Avril 2020. Alors que la population française est confinée, Alexandre est de ces travailleurs en première ligne. technicien de maintenance dans une blanchisserie industrielle, il multiplie les interventions pour garantir le bon fonctionnement des machines qui lavent le linge venu des hôpitaux de l'Est parisien. C'est dans ce contexte, que le 3 avril l'essonnien est victime d'un tragique accident du travail alors qu'il répare un sèche-linge. Quatre ans après sa disparition, sa femme Johana continue de se battre pour obtenir vérité et justice pour Alexandre, mais aussi pour elle et leurs deux enfants.

Alexandre Bento est né le 24 juin 1983 à Athis-Mons (91). De parents portugais, il grandit en Essonne. Ce n'est pas à l'école qu'il s'épanouit le plus mais c'est là qu'il rencontre Guillaume, son meilleur ami, son frère de cœur. Alors qu'il souhaite stopper sa scolarité en fin de collège, sa mère l'encourage à ne pas lâcher. Il parvient finalement à obtenir quelques années plus tard un Bac Pro puis même un BTS en maintenance industrielle. Mais à la sortie de ses études, Alexandre décide finalement de tout plaquer pour s'engager dans l'armée. L'expérience sera de courte durée. Le jeune homme commence dès lors à enchainer les contrats d'intérim et les CDD.

A la recherche de l'épanouissement professionnel

En 2012, il rencontre Johana qui deviendra quelques années plus tard sa femme et la mère de leurs deux enfants. Le couple emménage dans l'Essonne. Johana est à l'époque cheffe de réception dans un hôtel situé dans le 14ème arrondissement de Paris. Alexandre lui se cherche encore professionnellement. Il effectue plusieurs missions dans des établissements industriels en tant que technicien d'atelier ou technicien SAV (service après-vente). Mais sans réelle évolution professionnelle, l'essonnien décide finalement de reprendre ses études à l'IUT de Cachan. " Il avait obtenu un stage chez LH Aviation. Cette expérience l'avait remotivé et reconcilié avec le monde du travail " se souvient Johana. Titulaire d'une licence Pro Gestion de la production industrielle, Alexandre passe cependant les mois qui suivent au chômage. " Il avait du mal à trouver un emploi qui soit directement en lien avec sa licence ".

Si Alexandre ne semble pas pleinement épanoui sur le plan professionnel, il l'est cependant davantage sur le plan personnel et familial. En 2015, le couple qu'il forme avec Johana devient une famille avec la naissance de Lucas. Ivy viendra par la suite faire à son tour le bonheur de ses parents. Alexandre donne aussi de son temps à ses passions. " C'était un vrai passionné de moto. Il partageait cela avec Guillaume son meilleur ami. J'ai d'ailleurs fait faire une reproduction de sa moto sur sa tombe " raconte Johana. " Il aimait aussi faire de la guitare. Mais son hobby favori c'étaient les jeux vidéo. Alex était un vrai geek " se remémore-t-elle avec le sourire.

Un poste de technicien de maintenance en CDI

Le jeune père de famille finit par obtenir un poste dans une laverie industrielle. L'usine appartient au groupe Kalhyge et se situe à Brie-Comte-Robert, en Seine-et-Marne. " C'était un CDI et la rémunération était plutôt bonne " explique Johana. Alexandre s'occupe avec plusieurs collègues de la maintenance des machines au sein de la blanchisserie. Un rôle clé dans une telle usine pour garantir le bon fonctionnement des équipements et donc le maintien de l'activité. Mais en contrepartie la pression est grande pour les techniciens. Il faut intervenir rapidement et faire preuve d'efficacité. Les horaires sont aussi contraignants et les heures supplémentaires ne manquent pas. " Il rentrait parfois très tard car il fallait attendre la fermeture de l'usine pour intervenir sur certaines machines ".

Au début de l'année 2020, la crise sanitaire vient intensifier l'activité. En effet, le site de Brie-Comte-Robert traite alors du linge issu d'hôpitaux de l'Est de la région parisienne. Draps, serviettes, lavettes ou encore blouses affluent en effet à l'époque dans les blanchisseries de tout le pays. Du linge souvent contaminé qui doit rapidement être lavé pour garantir le bon fonctionnement des établissements de santé. Pas de confinement donc pour Alexandre et ses collègues.

Un tragique accident du travail

C'est dans ce contexte que le 3 avril 2020, l'essonnien prend son service. Ce vendredi, un bourrage est signalé sur une machine. Il s'agit du séchoir numéro 6, un équipement ancien sur lequel un joint défectueux semble favoriser l'engouffrement du linge en dehors du tambour et donc le blocage de la machine. Il est sur les coups de 21h lorsqu'Alexandre débute son intervention pour débourrer le sèche-linge. A cette heure, seuls deux autres employés sont présents avec lui dans l'usine. Tandis que son binôme fait le tour de l'établissement, Alexandre monte sur un escabeau pour atteindre la partie supérieure du séchoir et ainsi retirer le linge.

Mais alors qu'il se trouve au-dessus de la machine le trentenaire perd l'équilibre et tombe dans le tambour. Les marques constatées sur son visage lors de l'autopsie laissent à penser que sa tête a heurté les parois de la cuve lors de la chute. Alexandre est alors seul et inconscient, plongé dans le linge au fond de la machine. Aucun de ses deux collègues n'a été témoin de la scène. Personne ne cherche donc à lui porter assistance. Mais le cauchemar ne s'arrête malheureusement pas là pour l'essonnien. Alors qu'il se trouve encore dans le séchoir, la machine est remise en route. Alexandre meurt asphyxié.

" Je n'ai pas pu revoir Alex "

Le corps sans vie d'Alexandre ne sera pas retrouvé avant 23h soit près de deux heures après sa chute. A leur arrivée, les pompiers ne peuvent rien faire. Johana est prévenu dans la nuit. Alexandre avait 36 ans. Son fils Lucas 4 ans. Sa fille Ivy 4 mois... " A cause de la crise sanitaire et du confinement, l'injection de produit de conservation n'était pas possible. Du coup je n'ai pas pu revoir Alex. Pour les funérailles le nombre de personnes était restreint à une vingtaine. J'ai dû faire le tri entre nos amis. C'était horrible. On ne pouvait même pas apporter de fleurs ", se souvient Johana. Alexandre est enterré au cimetière de Saint-Germain-lès-Arpajon. " Pendant le confinement notre seule sortie c'était pour se rendre sur sa tombe ".

Du côté de l'enquête, l'affaire est dans un premier temps classée sans suites. Le cadenas de sécurité n'ayant pas été installé par Alexandre sur la machine, la qualification d'homicide n'est pas reconnue. La victime est en somme désignée comme responsable de sa propre mort. Les conditions du redémarrage de la machine restent encore floues cependant puisqu'aucun des deux collègues présents ce soir-là n'a reconnu en être responsable.

Pour sa part, l'Inspection du travail, qui s'est rendue à la blanchisserie dès le lundi suivant le drame, a dévoilé les conclusions de son enquête. Des manquements à la sécurité semblent avoir été relevés. C'est ce qui explique qu'un complément d'enquête ait été demandé par le procureur. La procédure a depuis été relancée par 3 fois au grand désarroi de Johana qui, 4 ans après le drame, attend encore de connaitre la vérité. Elle bénéficie aujourd'hui, tout comme ses enfants, d'une rente accordée aux ayants droits d'une victime d'accident du travail. Mais son souhait le plus profond est d'honorer la mémoire d'Alexandre et d'obtenir justice. Elle n'est plus seule dans son combat depuis qu'elle a rejoint il y a un an le Collectif familles Stop à la mort au travail. C'est aux côtés des membres de l'association qu'elle lutte aujourd'hui contre ce fléau qui emporte encore en France plus de 900 personnes par an.