Après avoir relu Madame Bovary il y a trois jours, je m'étais promis de relire les trois pièces du mauvais procès1 fait à Gustave Flaubert pour son premier roman.
Il était inculpé - on ne disait pas encore mis en examen - pour offenses à la morale publique et à la religion. La lecture, ou relecture, montre qu'il n'en est rien.
Dans son réquisitoire2, l'Avocat impérial, Ernest Pinard, fait un résumé du livre avant de citer les extraits qui prouveraient sa culpabilité, aggravée par son talent.
Il signale notamment que l'oeuvre poursuivie est certes une oeuvre admirable sur le plan du talent, mais une peinture exécrable au point de vue de la morale.
Maître Marie-Antoine Jules Sénard, à qui Gustave Flaubert dédiera l'édition de son roman dans un épigraphe fait à Paris le 12 avril 1857, sera son défenseur.
Dans sa plaidoirie2, cet avocat, qui a lu le livre et n'y a pas vu les offenses qui sont reprochées à l'auteur, remarque à juste titre qu'il ne s'y trouve rien de lascif:
Au lieu de faire comme nos grands auteurs classiques, nos grands maîtres qui, lorsqu'ils ont rencontré des scènes de l'union des sens chez l'homme et la femme, n'ont pas manqué de tout décrire, M. Flaubert se contente d'un mot.
Il confirme que pour les scènes où la pécheresse exprime ses tourments, Flaubert est allé, pour les décrire, puiser à des sources incontestables: Bossuet et Massillon.
Pour ce qui concerne l'extrême-onction administrée à Emma Bovary sur son lit d'agonisante, il confirme que Flaubert s'est strictement conformé au Rituel de l'Église.
Mais, surtout, il reproche à l'Avocat impérial de s'être livré à des découpures dans les textes en contradiction avec ce qui les précède et qui les suit, trahissant ainsi la pensée.
Le regretté journaliste, Jean Ferré, que j'ai eu l'honneur et bonheur d'approcher dans une autre vie, disait d'une manière qui se voulait percutante et est d'une grande justesse:
Un texte hors contexte est un texte con.
La lecture des attendus du jugement3 est déconcertante. Si le lecteur ne va pas jusqu'au bout, il pense que les prévenus ne vont pas s'en tirer à bon compte. Or il n'en est rien:
Dans ces circonstances, attendu qu'il n'est pas suffisamment établi que Pichat4, Gustave Flaubert et Pillet5 se soient rendus coupables des délits qui leur sont imputés;
Le tribunal les acquitte de la prévention portée contre eux et les renvoie sans dépens.
Francis Richard
1 - Devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine.
2 - Le 29 janvier 1857
3 - Le 7 février 1857
4 - Pichat est le directeur de la Revue de Paris dans lequel le roman a paru, avec des coupes, du 1er octobre au 15 décembre 1856.
5 - Pillet est l'imprimeur de la Revue de Paris.
Oeuvres Tome 1, Flaubert, Appendice à Madame Bovary, page 613 à 683, La Pléiade (édition de 1951, établie et annotée par Albert Thibaudet et René Dumesnil)