Les vacances sont terminées. Le premier ministre a fait sa rentrée devant le Président, en cette 68ème de Sarkofrance. Le contraste entre les deux hommes est frappant : devant une actualité internationale toujours chargée, Nicolas Sarkozy reste chaud, voire agité. En France, Fillon affiche calme, voire indifférence, face à la récession qui s'annonce.
Sarkozy a toujours le sang chaud à l'étranger
Cette semaine, la presse s'interrogeait (enfin ?) sur les limites de l'action diplomatique de Nicolas Sarkozy. La Russie n'a pas cessé de renforcer sa position militaire dans la zone, jusqu'à installer des missiles en Ossétie du Sud et déloger les populations géorgiennes. Curieuse force de maintien de la paix. Le président géorgien n'est pas exempt de reproches, tant son attaque de l'Ossétie le 7 août a déclenché sans raison une crise diplomatique et humanitaire de grande ampleur.
Samedi dernier, Bush a à nouveau tapé du poing sur la table, histoire de soutenir davantage l'imprudent président géorgien. Dimanche, l'Elysée a dû rendre public le courrier du 14 août, que Nicolas Sarkozy avait adressé au président géorgien. Il lui expliquait qu'il était bien prévu dans l'accord qu'il avait conclu avec les dirigeants Poutine et Medvedev que les forces russes occupent la Géorgie au-delà des frontières ossètes. On comprend mieux la pagaille.
Puis Sarkozy a tenté de se justifier, dans une tribune publiée à la fois par le Figaro et le Washington Post. Son titre était trompeur: "La Russie doit se retirer.", Sarkozy avait conclu autre chose avec les Russes, et , surtout, son article est avant tout une défense "pro domo" de la stratégie française: "j'ai eu raison" nous dit Sarkozy, alors que le monde s'interroge depuis quelques jours sur la persistance des tensions géorgiennes. Mercredi, Sarkozy publiait enfin un nouveau communiqué "conjoint" avec le président russe qui pouvait inquiéter davantage que rassurer: le retrait russe sera partiel; et Russes et Français ne sont pas d'accord sur le nombre d'observateurs de l'OFCE qui pourront être déployés en Ossétie du Sud. Qui dit mieux ?
Lundi et mardi, la France a perdu une dizaine de soldats au combat. Nous avons critiqué de la décision unilatérale de Sarkozy de renforcer le contingent français en Afghanistan. Nous aurions dû débattre de cette intervention: a-t-elle encore un sens, six ans après la décision initiale, de Chirac et Jospin, de participer à cette intervention de l'OTAN ? Quels sont les paramètres qui nous feront rester ou partir ? En Afghanistan, si on ne sait pas davantage qu'en Irak pour quoi on se bat, on sait au moins contre qui nous combattons: les talibans. Mais c'est une raison insuffisante pour tout justifier.
Nicolas Sarkozy s'est rendu sur place mardi soir. A-t-il eu raison ? Ses malentendus avec l'armée, depuis la démission du chef d'état major de l'armée de terre le 1er juillet dernier, étaient trop nombreux (*). Témoigner d'un vrai soutien moral auprès des soldats était peut-être nécessaire. Mais n'est-ce pas également faire monter les enchères sur le dos de notre armée ? N'est-ce pas légitimer l'importance des talibans ? La question est posée. En se déplaçant "à chaud", Sarkozy affiche un soutien, mais enterre toute possibilité de critique, et valorise l'ennemi. C'est la question que pose légitimement Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération, sur son blog Secret Défense. Vendredi, pressé par la droite, comme par la gauche, Fillon a annoncé un débat suivi d'un vote parlementaires pour l'automne, stricte application de la récente réforme des institutions.
Le malaise était encore davantage perceptible, jeudi 21 août, lors des funérailles des 10 soldats tués. Nicolas Sarkozy a fini par rater son hommage en y consacrant une bonne partie de son discours à une justification de l'intervention française et, pire, à y glisser un peu d'auto-compassion: «Jamais à un tel point je n’ai mesuré ce que peut être la solitude d’un chef de l’Etat face aux décisions qu’il doit assumer».
Fillon a le sang-froid face à la récession
En métropole, l'INSEE a pourri les derniers jours de vacances du gouvernement : l'institut avait confirmé que le PIB a baissé au second trimestre. Cette semaine, on a appris que les créations d'emplois salariés en France ont également baissé au deuxième trimestre 2008. C'est la première fois depuis 5 ans. Comme le notait un analyste, cette fois-ci, tous les indicateurs sont mauvais: production industrielle, inflation, créations d'emplois, croissance.
Lundi, le gouvernement a répliqué avec "sang-froid." Il préfère les "réformes de structure". Est-ce un autre terme pour désigner un futur plan de rigueur ? Fillon a refusé toute relance. C'est normal. "Il n'y a plus d'argent dans les caisses." Mais qui va trinquer ? Le gouvernement est coincé.
Le "paquet fiscal" de l'été 2007 n'a pas permis d'éviter la récession; il n'a pas soutenu la consommation; et il a creusé le déficit public (comptes sociaux inclus), en supprimant des ressources fiscales et sociales sur des revenus (les heures supplémentaires, les intérêts d'emprunt immobilier, le déblocage anticipé de la participation, etc), sans fournir d'alternative de financement. Christine Lagarde affirme le contraire : sans aucune preuve, "le gouvernement estime que l'impact de la loi sur l'ensemble de l'économie française, c'est environ 0,3% (de croissance supplémentaire) en 2008 et en 2009". Et Mme Lagarde chiffre elle-même le coût fiscal de sa loi: "Pour l'année 2008, nous considérons que cette loi va apporter aux Français 7,7 milliards d'euros de pouvoir d'achat supplémentaire", a-t-elle déclaré. Avec la loi de modernisation de l'économie qui vient tout juste d'être votée (le 23 juillet), le gouvernement n'a aujourd'hui aucun plan de relance à lancer, ni plus aucune marge de manoeuvre. Sarkozy l'annonçait lui-même en janvier dernier : "les caisses sont vides."
En fait, les estimations s'affrontent : la défiscalisation des heures supplémentaires a d'abord créé un effet d'aubaine (des heures sup non déclarées le deviennent puisque l'Etat paye l'essentiel du surcoût !). Pire, les ménages français n'ont ressenti aucune amélioration de leur pouvoir d'achat puisqu'on leur reprenait d'une main ce qu'on leur donnait de l'autre : les prix de l'énergie, qu'elle soit publique (EDF) ou récemment privatisée (Gaz de France), qu'elle soit nucléaire ou gazière, augmentent trop fortement et trop fréquemment; le coût de la santé à charge des assurés ne cessent de progresser (avec les nouvelles franchises médicales depuis janvier; le déremboursement des frais d'optique; et la taxation des mutuelles pour financer le trou de la Sécu). On polémique sur le coût de la rentrée scolaire et la nouvelle modulation de l'allocation aux familles. Le panier de fruits et légumes devient un luxe en Sarkofrance. Même le crédit à la consommation a amorcé une nouvelle hausse au second trimestre.
Autant rester stoïque. Face à la crise, les seules mesures qui ont transpiré ici ou là étaient donc de vieilles annonces des mois précédents, plutôt immédiatement favorables aux entreprises qu'aux ménages: suppression de l'imposition forfaitaire annuelle (coût pour l'Etat : 1,6 milliards d'euros), réforme de la taxe professionnelle, création d'une contribution transport, extension du malus écologique. Pour le reste, il faut faire le dos rond, et attendre que l'orage de la récession passe... Le gouvernement allume déjà ses contre-feux pour une rentrée chargée : Nadine Morano et Rama Yade ont lancé la réforme de l'adoption (qui sera contre ?), avec la création d'une autorité centrale et un assouplissement des procédures; Valérie Pécresse étend les aides sociales universitaires à 50.000 nouveaux bénéficiaires (c'est déjà ça), et Luc Chatel nous a expliqué jeudi que la relance a déjà eu lieu ... il y a un an.
Pourquoi s'inquiéter ?
Post-Scriptum à l'attention de mes critiques : je ne suis pas journaliste, mais simple blogueur.
(*) Hasard du calendrier, Michèle Alliot-Marie a présenté ce jeudi le rattachement de la Gendarmerie au Ministère de l'Intérieur.