Tiffany McDaniel – Du côté sauvage

Par Yvantilleuil

Ayant adoré « Betty » et « L’été où tout a fondu », deux véritables coups de cœur, je n’ai pas hésité à me jeter sur ce nouveau pavé signé Tiffany McDaniel !

L’autrice américaine s’inspire d’un fait divers pour rendre hommage à six femmes oubliées du côté sauvage. Six femmes disparues entre 2014 et 2015 dans la ville de Chillicothe, en Ohio. Des droguées, des prostituées, des créatures dont la société ne se soucie pas trop… dont deux ne furent jamais retrouvées et dont le meurtre des quatre autres n’a jamais été élucidé.

« Du côté sauvage » invite à suivre les destinées d’Arc et de Daffie, des sœurs jumelles qui n’ont plus de père et qui survivent tant bien que mal en compagnie d’une mère et d’une tante constamment défoncées, au sein d’une maison crasseuse où les hommes défilent afin de pouvoir payer leurs doses. Heureusement que Mamie Milkweed s’occupe un peu de ses petites-filles, essayant même de porter leur attention sur la beauté des choses. À l’image de cette couverture qu’elle a crocheté pour elles, dont le côté face s’avère lisse et beau, mais dont le côté pile, débordant de fils qui dépassent, s’avère rugueux et vilain. C’est le côté sauvage, celui qui domine leur vie… et parfois, à l’aide d’une aiguille, on peut faire rentrer les fils disgracieux qui dépassent et tenter d’embellir le côté sauvage… 

« Du côté sauvage » se déroule à Chillicothe, dans l’Ohio, dans une petite ville qui sent mauvais, imprégnée par les odeurs nauséabondes de l’usine de papeterie. Un endroit où il ne fait pas bon vivre, surtout pour les femmes, qui ont tendance à terminer assassinées dans la rivière. Dès le début, les perspectives de bonheur s’avèrent donc très limitées pour les deux petites jumelles qui tentent pourtant désespéramment de s’accrocher à la beauté des choses. Même Mamie Milkweed ne semble pas suffisamment armée pour faire face à cette fatalité…

« Du côté sauvage » est donc un conte noir, foncièrement sombre, baignant dans la misère, la drogue, la prostitution et la violence des hommes. Un récit qui deviendrait vite indigeste sans la plume lumineusement poétique de Tiffany McDaniel. L’autrice américaine démontre une nouvelle fois sa capacité à envelopper toute la laideur et la cruauté du monde d’une prose foncièrement humaine, alliant beauté et onirisme. À l’image de la couverture crochetée par Mamie Milkweed, l’autrice rentre régulièrement quelques fils qui enlaidissent le côté sauvage, afin de le rendre plus beau. Même si le côté face de cette couverture semble demeurer un rêve inaccessible, l’imagination débordante des deux fillettes parvient tout de même à nous y emmener, délivrant ainsi des petites bulles d’air qui permettent de continuer à respirer, tout en demeurant du côté sauvage.  

Si cette histoire, très sombre et non dénuée de quelques longueurs, m’a un peu moins emballé que « Betty » ou « L’été où tout a fondu », elle rend néanmoins un bel hommage aux nombreuses femmes oubliées du côté sauvage, notamment grâce à cette rivière qui se transforme régulièrement en narratrice, complétant à merveille les destinées d’Arc et de Daffie et prenant soin des corps féminins que la société lui balance, les accompagnant avec respect dans leur retour à la nature et leur rendant ainsi un ultime hommage… 

Je reste fan du style de Tiffany McDaniel !

Du côté sauvage, Tiffany McDaniel, Gallmeister, 720 p., 26,90 €

Elles/ils en parlent également: Yvan, Aude, Pamolico, Nadia, Lucette, Rose, Les amis lecteurs, Chloé

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