Richard Oswald, 1929 (France, Allemagne)
Le film original faisait 2850 m. La version retrouvée et restaurée par la Cinémathèque française n'en fait plus que 1414 m, soit un peu moins d'une heure. On ne peut donc plus voir aujourd'hui que la moitié du film. " Longtemps considéré comme perdu, Cagliostro a été retrouvé par la Cinémathèque française et reconstitué à partir de la version courte correspondant au matériel diffusé par Pathé-Baby, allongée de quelques plans. Le raccourcissement de cette version a amené la suppression de plusieurs personnages et de quelques transformations dramatiques. De nouveaux intertitres résument les scènes perdues. " (C'est l'explication que l'on trouve dans le Catalogue des restaurations et tirages de la Cinémathèque française)
La production internationale est une adaptation du roman d'Alexandre Dumas, Le collier de la reine (1849-1850), tout comme le sera vingt ans plus tard le Cagliostro (Black Magic) de Gregory Ratoff avec Orson Welles. Les moyens sont importants : le film était long dans sa version d'origine, les décors imposants (vaste pièce, grandes colonnes, palais, geôles...) , les vedettes de l'époque nombreuses (l'Allemand Hans Stüwe dans le rôle de Cagliostro, la Française Renée Héribel pour jouer l'Italienne Lorenza, la Russo-Française Illa Meery est la belle héritière Jeanne de la Motte, cet autre acteur allemand Alfred Abel en prince de Rohan, ou encore Suzanne Bianchetti et Edmond Van Daële pour incarner le couple souverain). Pourtant, même avec un magicien hypnotiseur comme personnage principal, l'Autrichien Richard Oswald n'est pas parvenu à captiver les foules quand le film sort en 1929. Ce que l'on trouve encore sur le site de la Cinémathèque, le public a boudé le film pour lui préférer les premiers parlants qui sortaient alors.
Alors que reste-t-il aujourd'hui de cette version restaurée mais amputée ? Présenté comme un aventurier nécromant, Cagliostro accomplit d'abord une brève démonstration de ses talents et de sa générosité de philanthrope (il soigne une pauvresse et refuse d'être payé pour cela). Puis, à la cour d'Angleterre, toujours derrière une table sur laquelle différents appareils sont disposés, Cagliostro prouve par la pratique la possibilité de la transmutation métallique. Voici l'expérience détaillée : le mage commence par concilier les esprits (cette première phase ressemble à de l'hypnose), puis met à chauffer du plomb dans une poêle. Il mélange deux ou trois potions et jette la mixture sur le métal en pleine cuisson. Un nuage de fumée couvre la scène et l'alchimiste s'exclame avec emphase : " De l'or ! ". Guérisseur et alchimiste, Cagliostro se forge une réputation qui lui ouvre les portes des plus grandes cours d'Europe. Mais lors d'une représentation à Versailles devant le roi et la reine, il manque de divertir son audience et ajoute une prédiction qui n'est pas du goût de tous : Marie-Antoinette montera sur l'échafaud. C'est le vrai point de départ des mésaventures de Cagliostro. La suite ne se rapporte plus ensuite qu'à la célèbre " affaire du collier ", aux amours contrariés des uns et des autres et à quelques coups bas que le héros mystérieux devra surmonter.
Il est difficile de se faire une idée réelle de ce que pouvait être Cagliostro dans sa version d'origine, mais le film d'aventure ne se réveille que dans une toute dernière partie. Avant cela, les rares moments d'action sont elliptiques, comme le sacrifice du valet devant les lances de l'Inquisition. Richard Oswald ne tourne aucun combat. Pourtant, l'escamotage du couple Cagliostro et Lorenza depuis le palais romain est, avec la fin, assez réussi. L'ensemble pourra alors manquer de mouvement et paraître se limiter à une succession de décors, parfois impressionnants. Mais, en ne se fiant qu'à cette version raccourcie, le film ressemble assez au Cagliostro figé de Gregory Ratoff. Si l'on poursuit la comparaison, il se démarque toutefois par un aspect qui en 1929 n'a pas craint la censure. Le Cagliostro d'Oswald est libertin, faisant du personnage de Jeanne de la Motte une aristocrate non seulement avide, mais absolument hédoniste et lascive. Un décolleté trop plongeant, un collier exposé sur une poitrine plusieurs fois dénudée, la même parure contre laquelle la comtesse de La Motte-Valois est prête à offrir son corps... Allant même jusqu'à une perversion à peine contenue, le film évoque le viol de Lorenza par le comte de Breteuil devant l'époux ligoté. Cela dure un bref instant car l'agression est interrompue par Cagliostro qui défait ses liens et tue le comte. Mais pas de fausse idée. Rien de vraiment licencieux ici, puisque, au final, certainement fidèle en cela à Dumas, Cagliostro abandonne son personnage de mage alchimiste pour en quelque sorte " redevenir lui-même " au bras de Lorenza, un pauvre diable.