Furtivement, comme aurait dit feu Michel de Poncins, on instille aujourd'hui une idéologie liberticide via films et séries:
L'idéologie impose un cadre que l'imagination ne dépasse plus.
Quelle idéologie? Le wokisme, qui n'existerait pas...
La définition la plus succincte et la plus complète, me semble-t-il, qu'indirectement, Samuel Fitoussi donne de cette idéologie, se trouve dans une note, au bas d'une page, où il en énumère les thèmes privilégiés:
Privilège blanc, racisme systémique, intersectionnalité, continuum de violences, suprématie blanche, masculinité toxique, domination patriarcale, hétéronormativité, non-binarité, transidentité, décolonialisme, culture du viol, certitude que le wokisme n'existe pas, recontextualisation des classiques, combat contre le mâle blanc de plus de 50 ans...
Cette idéologie, comme toute singerie de religion, veut non pas observer le réel, mais imposer sa version du réel et un nouvel ordre moral: il y a ce qu'il est devenu interdit d'écrire et ce qu'il est devenu obligatoire d'écrire.
S'opposer à cette idéologie requiert du courage pour tous les producteurs, réalisateurs, acteurs, techniciens. Si on veut faire carrière dans l'audiovisuel, il faut en effet afficher son adhésion à l'idéologie woke.
Les libertés de créer, de tourner, de choisir et de jouer un rôle, etc. n'existent plus. Il faut se soumettre aux diktats des puissants promoteurs du secteur, tels que Apple TV, Disney, Marvel, Netflix ou Prime Video:
Une oeuvre n'est plus jugée pour elle-même (comme le préconisait Marcel Proust en littérature) mais pour ses effets potentiels.
Comme toutes les idéologies, qui singent la civilisation judéo-chrétienne, le wokisme a ses commandements, qu'il convient de respecter si l'on ne veut pas être exclu du milieu audiovisuel et encourir la mort sociale...
Contrairement aux juifs et aux chrétiens, qui doivent en observer dix, l'auteur n'a discerné que huit commandements, en dehors de l'observation desquels il n'y a plus de salut aujourd'hui dans le monde de l'audiovisuel.
1 - Tous les héros seront vertueux
On retrouve avec ce commandement les deux visions du monde: la vision tragique de la nature imparfaite de l'homme et la vision candide de sa bonté naturelle, qui serait pervertie par la société, par les institutions.
Pour rééduquer l'homme, la fiction doit le montrer non pas tel qu'il est individuellement, en proie au conflit intérieur entre le bien et le mal, mais tel que les militants wokes décident qu'il devrait être en société.
2 - Tes minorités seront discriminées
Il faut prendre conscience que l'homophobie, le racisme et la misogynie ne sont pas l'exception mais la norme dans la société occidentale. Aussi le rôle de la fiction est-il d'instruire le procès de celle-ci et de rééduquer.
3 - Tu effectueras un découpage identitaire de la société et tu la "représenteras"
Les oeuvres de fiction sont donc sommées de "représenter" la société, c'est-à-dire d'inclure des acteurs ou personnages issus de tous les "groupes" qui la composent.
Les groupes? Femmes, groupes ethniques, particulièrement s'ils sont sous-représentés, LGBTQ+, personnes souffrant de handicaps cognitifs ou physiques, sourdes ou malentendantes.
Représentés? Comme dit plus haut ces groupes doivent l'être aussi bien chez les acteurs et personnages que chez les directions et équipes de projet, chez les accès et opportunités dans l'industrie du cinéma, chez les équipes de développement de l'audience.
4 - Tu ne pratiqueras pas l'appropriation culturelle
Qu'est-ce que l'appropriation culturelle? L'utilisation d'éléments perçus comme appartenant à une culture par les membres d'une autre culture.
Ce sera le cas si des dominants incarnent des dominés, alors que des dominés jouant des dominants ne posent pas de problème...
Les dominants? Homme, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide, indice de masse corporelle inférieur à 27, chrétien.
5 - Tu ne proposeras pas de stéréotypes de genre
Selon la théorie queer, les hommes et les femmes seraient identiques. Le genre serait une construction sociale.
L'indifférenciation sexuelle est un déni de la science. Entre les hommes et les femmes, il y a une asymétrie physique, psychique, comportementale:
Puisque les hommes et les femmes n'ont en réalité pas exactement les mêmes aspirations et les mêmes centres d'intérêts, la suppression de toute forme d'asymétrie entre les sexes n'est pas conciliable avec le respect des volontés individuelles.
Cela correspond à un refus de voir devant soi des individus plutôt que des représentants interchangeables de différents groupes. Toujours ce découpage en groupes...
Le langage inclusif en est l'illustration: Lorsqu'on s'adresse à tous et à toutes, on s'adresse à des femmes et à des hommes [on les découpe]. Lorsqu'on s'adresse à tous, on s'adresse à un ensemble d'individus indifférenciés (il se trouve que certains d'entre eux sont des femmes, d'autres des hommes, comme il se trouve que certains d'entre eux sont blonds, d'autres bruns).
6 - Tes personnages non blancs seront gentils, tes personnages blancs, méchants
Pourquoi ce commandement? Parce que, selon le narratif du militant woke, le Blanc est oppresseur et le non-Blanc, victime. Le corollaire est que le Blanc est intrinsèquement raciste et ne peut pas être, lui, victime, a fortiori de racisme.
7 - Tu haïras les hommes
Chez les wokes, la critique d'une femme est souvent assimilée à du sexisme tandis que la mise en accusation du sexe masculin dans son ensemble est encouragée.
Les hommes sont considérés en bloc. Qu'est-ce que le patriarcat, sinon l'entreprise collective des hommes reconnue pour accabler les femmes?
Dans l'esprit woke, ne pas être misandre, c'est être misogyne. La fiction d'aujourd'hui observe ou doit observer ce précepte et être envahie par la misandrie woke.
8 - Tu déconstruiras les normes: hétérosexualité, minceur, identité de genre, blanchité
Comme vu ci-dessus le genre serait une construction sociale. Il en serait de même des autres normes. Or, que doit-on faire d'une construction sociale? La déconstruire.
Pourquoi? Parce que sinon le monde ne serait pas tel que l'on voudrait qu'il soit et parce que l'on considère que ceux qui dévient d'une norme statistique sont automatiquement des opprimés.
Alors, dans la fiction doivent être déconstruites, par exemple:
- l'institution du couple: il existe d'autres modèles, le trouple ou le polyamour;
- l'identité: on peut être né dans le mauvais corps, c'est la transidentité.
Le cas Bac Nord
Après avoir fait le tour des huit commandements wokes, l'auteur examine le cas Bac Nord, un film fustigé par les militants wokes qui trouvent inadmissible de présenter la police positivement.
Car le wokisme est une condamnation de nos institutions dans leur ensemble, lesquelles sont à l'origine de tous nos maux. La criminalité serait une de leurs conséquences. Pour y remédier, il suffirait de supprimer la police et les prisons, et de recourir au social et à l'éducation: toujours la vision candide...
Conclusion
Il ne faut pas être dupe. Le wokisme se déguise en causes irréfutables, avec lesquelles il est impossible d'être en désaccord: "diversité", "inclusion", "justice sociale", "féminisme", "antiracisme", "combat pour les droits LGBT".
Mais le wokisme ne les entend pas dans le sens commun et censure ce qui lui déplaît. Il politise la culture1, ce qui conduit à son abêtissement:
La fiction - autrefois antidote à l'archipélisation de nos sociétés -est devenue elle-même archipélisée, elle-même source de division et de polarisation.
Francis Richard
1 - Le langage politique, écrivait George Orwell, est conçu pour donner à des mensonges l'apparence de la vérité et au meurtre des airs de respectabilité.
Woke fiction, Samuel Fitoussi, 384 pages, Le Cherche Midi
NB
À l'appui de ses dires, l'auteur donne de nombreux exemples de films et séries sortis ces dernières années: édifiant.
Sur le wokisme:
Comprendre la révolution woke, Pierre Valentin, Gallimard
Sur la victimisation:
Je souffre, donc je suis, Pascal Bruckner, Grasset
Publication commune avec LesObservateurs.ch.