Le Couteau, de Salman Rushdie

Publié le 07 mai 2024 par Francisrichard @francisrichard

Je suis devenu un drôle d'oiseau, célèbre non pas tant par mes livres que pour les tribulations de mon existence.

À la suite de la parution en 1988 de son roman Les versets sataniques, Salman Rushdie a fait l'objet d'une fatwa, en date du 14 février 1989, de la part de l'ayatollah Rouhollah Khomeinei, dans laquelle celui-ci informait de sa condamnation à mort pour s'être opposé à l'Islam, au prophète et au Coran.

Il devenait dès lors une cible puisqu'il était demandé dans cette fatwa aux musulmans zélés d'exécuter cette sentence. Citoyen britannique, vivant à Londres, il était mis, pendant des années, sous protection policière, tout en poursuivant une carrière de nouvelliste, d'essayiste et de romancier à succès1.

En 2000, il partait pour New-York et, en 2016, devenait citoyen américain. En 2022, il pouvait croire que la fatwa, lancée contre lui trente-trois ans plus tôt, était de l'histoire ancienne. Or le 12 août, alors qu'il doit intervenir à Chautauqua2, il est victime d'un attentat manqué par un jeune islamiste. 

Dans Le Couteau ce livre de réflexions suite à une tentative d'assassinat, qu'il a écrit pour [se] sentir mieux et pour reprendre le contrôle sur l'événement:

  • Il reconstitue ce qui s'est passé ce jour-là où, sans chercher à fuir, il a reçu quinze coups de couteau, dans la gorge, le torse, la main gauche, le visage, l'oeil droit:

Pour moi [la pire chose au monde], cela a toujours été et est toujours la cécité.

  • Il parle de sa dernière épouse Eliza avec laquelle il file le parfait amour depuis le 1er mai 2017 et sa violente rencontre avec [une] porte en verre coulissante, et se pose la question pendant la pandémie de Covid-19:

Était-il possible, était-il même convenable ou moral de parler de bonheur alors que sévissait la pandémie ?

  • Il raconte son séjour de dix-huit jours à l'hôpital Hamot à Erié, où, donné pour mort, il survit miraculeusement, lui qui ne croit pas aux miracles:

J'ai beaucoup appris au cours de ces journées sur l'étonnante capacité du corps humain à se réparer tout seul.

  • Il relate sa rééducation au centre de réhabilitation de Rusk où, pendant ses nuits d'insomnie, il pense au Couteau comme idée:

- Un couteau n'était pas une arme à feu (laquelle n'a qu'un seul usage)

- Le langage aussi était un couteau, capable d'ouvrir le monde, d'en révéler le sens, les mécanismes internes, les secrets, les vérités.

  • Il fait sien le propos de Naguib Mahfouz, qui avait lui aussi survécu à un attentat islamiste au couteau:

On ne peut s'opposer à une idée que par d'autres idées.

  • Il défend l'amour contre la haine, l'art contre les idées reçues:

L'art n'est pas un luxe. C'est l'essence même de notre humanité et il n'exige aucune protection particulière si ce n'est le droit d'exister.

Un tel ouvrage, singulier, donne matière à réflexions à partir de celles de l'auteur, dont le lecteur n'est pas obligé de partager l'athéisme ni les convictions politiques mais dont il peut confronter l'expérience à la sienne, même bien moins grave, s'il a, comme lui, fréquenté hôpital et centre de rééducation.

Le lecteur peut aussi se dire que Salman Rushdie n'est pas l'homme d'un seul livre, celui qui lui a valu une fatwa, qu'il faut lire ses autres livres, ignorés jusque-là, ne serait-ce que pour vérifier qu'il est bien, ce que d'aucuns disent et que d'autres lui reprochent, une vraie icône de la liberté d'expression.  

Francis Richard

1 - Il a publié vingt-deux livres à ce jour, y compris celui-ci.

2 - Chautauqua se trouve au bord du lac éponyme dans l'État de New-York.

PS

Hier, 6 mai 2024, Salman Rushdie s'est vu décerner le Prix Constantinople, qui a pour vocation de rapprocher les deux rives du Bosphore et qui lui a été remis au Ritz, par Metin Arditi.

Le Couteau, Salman Rushdie, 272 pages, Gallimard (traduit de l'anglais par Gérard Meudal)

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

Reproduit par l'IREF le 10 mai 2024.