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Un refrain que l'on entend souvent, dans les débats sur le thème des différentes versions de la Bible, est que certains mots ou certains passages seraient malicieusement " enlevés ", " retirés " ou " supprimés " dans les traductions du Nouveau Testament qui ne sont pas basés sur le texte reçu (TR) grec.
Dans l'Anglosphère, certains militants évangéliques fondamentalistes érigent carrément de cette idée de " passages manquants " en cheval de bataille dans leurs parutions. Ainsi, les Chick Publications (l'éditeur des Chick Tracts populaires dans les décennies 1970 à 1990) vendent un livre intitulé et deux DVDs intitulés Is Your Bible Missing Something? ( ; ). Semblablement, le pasteur baptiste américain Scott Ingram vulgarise son mécontentement en ces termes : " Les érudits modernes pensent que nous avons perdu quelque chose que Dieu a dit que nous ne perdrions jamais [ sic] et ils essayent de reconstruire un texte qui n'a jamais existé [ sic] en supprimant l'équivalent de 1 & 2 Pierre de nos Nouveaux Testaments. "
En Francophonie, plusieurs tiennent ce même discours. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée ( BLR) - traduite par Timothy Ross, Philippe Lacombe et Marcel Longchamps et éditée par la Société Biblique Trinitaire (SBT) en 2022 - énonce : " Certaines traductions modernes omettent des versets entiers en suivant cette méthode [c-à-d en n'utilisant pas le TR comme texte de base]. Tout au long du Nouveau Testament, dans les traductions qui ont adopté cette méthode naturaliste [ sic], il manque des mots et des parties de versets. " (p. IV).
Dans le manifeste officieux de cette SBT, on peut également lire ceci :
" Après avoir examiné Aleph [c-à-d le Codex Sinaïticus ( ℵ01)], le Pr. F.H.A. Scrivener l'a déclaré ‹ mal écrit › et ‹ bourré de grossières erreurs de transcription ›, au point ‹ d'omettre des lignes entières de l'original ›. [...] Il s'avère que beaucoup de passages manquent dans B[03] ( Vaticanus) [...] Force est de conclure que c'est le texte alexandrin qui est défectueux. On peut l'accuser d'avoir raccourci le texte byzantin. " (Malcom Watts, La Parole que donna le Seigneur, SBT, 2012, p. 28 et 30).
La Préface de la King James Française ( KJF) traduite par Nadine Stratford et éditée par la First Bible Church de Staten Island (dans l'État de New York) en 2022 se fait l'écho de ces récriminations en se plaignant que " toutes les versions modernes anglaises " de la Bible contiennent de " nombreuses omissions et incohérences ", et que " toutes les versions françaises " modernes de la Bible sont coupables de " ces mêmes omissions, outranciers changements et contradictions " (p. II).
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Tel que nous l'avons déjà constaté dans la présente série d'articles sur la critique textuelle du N.T., un bon nombre des variantes textuelles caractéristiques du texte reçu sont des ajouts non-authentiques illégitimes qui viennent tout droit de la Vulgate latine du Moyen Âge tardif. Pire, certaines variantes du TR furent carrément inventées par les créateurs du TR, comme la leçon " et qui seras " en Ap 16:5 in fine qui fut fabriquée de toutes pièces par Théodore de Bèze en 1588-1589.
Il n'y a pas de formule magique ou d'argument massue que l'on puisse invoquer pour résoudre d'un seul coup la totalité des problèmes textuels. Chaque cas est unique et requière sa propre analyse à tête reposée à la lumière du maximum de sources disponibles. Je ne prétendrai donc pas que c'est toujours le plus long texte qui soit le bon. Cependant, cela semble être la pensée des partisans du TR cités ci-dessus. Et cette pensée est très paradoxale, parce que le TR - ou plus généralement le texte-type byzantin - n'a pas toujours le plus long texte !
En effet, le texte-type occidental porte souvent un texte plus élaboré que le TR / texte byzantin. Les illustrations potentielles de ce phénomène abondent. Prenons, par exemple, Matthieu 25:1, qui se lit comme suit dans la Bible d'Ostervald : " Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent au-devant de l'époux. " (Mission baptiste Maranatha, 1996.) Mais dans le texte grec occidental, ce verset se lit plutôt comme suit : " Alors on comparera le Royaume des cieux à dix vierges qui, prenant leurs lampes, sortent à la rencontre de l'époux et de l'épouse. " (C.-B. Amphoux, L'Évangile selon Matthieu : Codex de Bèze, Éditions Le Bois d'Orion, 1996, p. 203.) Alors, qui est-ce qui supprime des parties de versets, maintenant ?!
Et il y a plus. En Matthieu 20:28, le texte reçu / byzantin se lit comme suit (Ostervald) : " Comme le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs. " Toutefois, dans le texte occidental, ce verset contient trois phrases omises dans le texte byzantin : " Comme le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Vous, vous cherchez à augmenter ce qui était petit et à diminuer ce qui était grand. Si vous entrez et êtes invités à dîner, n'occupez pas les places d'honneur, de peur qu'un autre plus digne que toi ne survienne et que le maître de table s'approchant ne te dise : "Mets-toi un peu plus bas", et que tu en aies honte. Si tu occupes une place plus modeste et que survienne un autre plus modeste que toi, le maître de table te dira : "Place-toi un peu plus haut", et cela te sera favorable. " (C.-B. Amphoux, op. cit., p. 169 et 254.) Si nous devions adopter le même genre de réaction impulsive que celui des activistes pro-TR à ce lieu-variant, nous pourrions nous exclamer : Ah ! Horreur et damnation ! Le texte reçu a retranché 61 mots grecs dans un seul verset de la Très-Sainte Parole de Dieu ! Quelle scandaleuse impiété !
Et il y a encore plus. *Beaucoup* plus. Voici ci-dessous quatre documents où l'on peut prendre connaissance de nombreux mots et passages présents dans les manuscrits du texte-type occidental mais absents des manuscrits du texte-type byzantin. (Pour la plupart de ces occurrences, les clauses concernées sont aussi absentes des manuscrits du texte-type dit alexandrin, mais ceci n'est pas problématique pour les adhérents du texte alexandrin puisqu'ils n'emploient pas les mêmes critères que les adhérents du texte reçu / byzantin pour évaluer les variantes.)
On m'excusera d'avoir utilisé des textes anglais pour la confection de la majeure partie de ces documents. Cela s'explique par le fait de larges pans du texte occidental sont aisément disponibles en ligne en traduction anglaise gratuite, tandis que le matériel équivalent est assez dispendieux en traduction française. Certes, les notes infrapaginales de la Bible d'étude NBS des Éditions Bibli'O fournissent maintes traductions des leçons occidentales, mais je ne l'ai réalisé qu'après avoir déjà complété le gros du travail (et de toutes façons ces notes n'identifient pas explicitement les témoins textuels cités, ce qui est plutôt malcommode).
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Titulature christique dans le Livre des Actes des Apôtres - Les lacunes du "texte reçu" :
Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.
Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 1 à 13 et 16 à 22) :
Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.
Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 14 et 15) :
Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.
Passages du texte-type occidental manquants dans le texte-type byzantin (Actes 23 à 28) :
Fichier aussi accessible en téléchargement direct ici.
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Explications sur le texte-type occidental
Feu Neville Birdsall (1928-2005), qui fut un prédicateur baptiste britannique, un chargé de cours à l'Université de Leeds puis un professeur à l'Université de Birmingham pendant 25 ans où il occupa la chaire de critique textuelle du N.T., explique que " [d]ans les Actes, des modifications ont sans doute été faites pour des motifs littéraires ou par désir de vulgarisation. [...] Le matériau que l'on appelait [...] ‹ texte occidental › témoigne de la coexistence, dans des traditions spécifiques, de leçons anciennes avec des éléments de toute évidence secondaires. " ( Grand Dictionnaire de la Bible, "Textes et versions", Éditions Excelsis, 2010, p. 1663).
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Les citations suivantes, traduites (par moi-même) du Textual Commentary on the Greek New Testament de Bruce Metzger (Alliance Biblique Universelle, 1971, ci-après " TCGNT "), fournissent davantage de repères permettant de bien saisir la nature du texte-type occidental dans le Livre des Actes des Apôtres.
" Des érudits expliquent la forme distinctive du texte occidental [du Livre des Actes] comme étant due à de l'interpolation. Ils maintiennent que dans les âges primitifs de l'Église, le texte du Nouveau Testament [ou plus spécifiquement d'Actes, voir l'observation de F.F. Bruce ci-dessous] n'était pas [encore] vu comme étant sacré [c-à-d divinement inspiré], et donc les scribes estimaient avoir la liberté d'en modifier la forme ainsi que d'y incorporer toutes sortes de détails additionnels venant de la tradition orale. Ainsi, le texte occidental, selon cette explication, représente la croissance libre et incontrôlée du texte pendant les Ier et IIème siècles. " - Metzger, TCGNT, p. 264
" Il y a des variantes d'une autre sorte, qui est particulière au texte occidental d'Actes. Celles-ci incluent maintes additions, longues et courtes, dont la nature et la substance révèlent la main d'un réviseur. [...] Le réviseur - qui était évidemment un érudit méticuleux et bien informé - élimina des manques de transitions [littéraires] et des écarts [narratifs] puis ajouta des détails historiques, biographiques et géographiques. Apparemment, le réviseur fit son travail à une date précoce ["vraisemblablement entre 120 et 150 ap. J.-C." dixit R.P.C. Hanson, p. 266], avant que le texte d'Actes n'en soit venu à être regardé comme un texte sacré devant être préservé de manière inviolable. " - Metzger, TCGNT, p. 270
" Le point de vue qu'en général, le texte alexandrin préserve plus fidèlement l'œuvre de l'auteur original et que le texte occidental reflète l'œuvre d'un réviseur fut mis de l'avant avec beaucoup d'érudition par James Hardy Ropes, [lequel explique :] ‹ L'objectif du réviseur "occidental", tel que montré par son œuvre, était l'amélioration littéraire et l'élaboration en accord avec son propre goût, qui était quelque peu différent de celui de l'auteur [c-à-d Luc l'Évangéliste]. Il visait à améliorer les connexions, à éliminer les inconsistances superficielles, à combler des petits écarts, et à fournir une narration plus complète et continue. Où cela était possible, il aimait introduire des points venant de passages parallèles ou similaires, ou à compléter les citations venant de l'Ancien Testament. Son style était spécialement caractérisé par l'accentuation littéraire [au moyen d'adjectifs et d'adverbes] et un usage plus abondant de lieux communs religieux. Son effort de fluidité, de complétude et d'emphase [observable] dans son expansion eut usuellement pour résultat un style plus faible, montrant souvent une sorte de super-abondance en énonçant expressément ce que tout lecteur aurait compris sans le supplément diluant du réviseur. › " - Metzger, TCGNT, p. 265
" Dans aucun de ces trois cas [variantes amélioratives non-distinctives, variantes amélioratives caractéristiques du texte-type occidental et variantes amélioratives propres au Codex Bezæ], le texte "occidental" ne conserve pour nous le texte original de ce Livre [des Actes]. [... Cependant,] certaines des informations incorporées dans certaines expansions occidentales peuvent très bien être factuellement exactes [c-à-d historiquement véridiques], quoique ne dérivant pas de l'auteur original d'Actes. " - Metzger, TCGNT, p. 271-272
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Concernant la thèse de la réception comparativement tardive (j'ai bien dit comparativement) des Actes des Apôtres dans l'Église primitive - ou si vous préférez, la compréhension comparativement tardive de sa canonicité - cette observation de Frederick Fyvie Bruce est pertinente pour situer chronologiquement l'origine du texte-type occidental d'Actes :
" Contrairement à la plupart des autres livres du N.T., les deux tomes de l'œuvre de Luc ne semblent pas avoir été écrits en relation étroite avec des Églises : ils n'étaient pas spécialement adressés à une communauté chrétienne et n'ont [initialement] pas circulé parmi les Églises. [... L]'œuvre de Luc fut [au départ] surtout diffusée dans les milieux païens pour lesquels elle avait d'ailleurs été rédigée. Il est donc possible qu'un certain temps se soit écoulé entre la date de sa première publication et son utilisation courante dans les Églises en tant qu'écrit chrétien faisant autorité. " ( Grand Dictionnaire de la Bible, "Actes des Apôtres", loc. cit., p. 20).