Fin des vacances de Pâques. Sylvie a tenu sa promesse, elle est restée à Gérardmer. Mais elle n’a consulté ni médecin, ni psychanalyste, c’était un prétexte bien sûr pour rester seule. En revanche, elle a fait le ménage de fond en comble en s’attardant particulièrement sur l’ordinateur de Paul, bien rangé dans un placard.
Et elle a facilement découvert ce qu’elle cherchait: La correspondance entre Paul et Virginie. Ses soupçons étaient fondés, Paul lui a menti, ce n’est pas pour la " Diagonale des Fous " qu’il se rend à La Réunion. Sylvie est soulagée, elle se sent beaucoup plus légère maintenant, presque libérée.
Trois mails seulement et très courtois, elle s’attendait à pire .
Paul rentre demain, elle ne lui dira rien, évidemment.
Plus Virginie y pense, plus elle est rassérénée.
"Cette fille aux deux prénoms, qui avait traumatisé son début de carrière et qui revenait hanter ses nuits maintenant qu’il était à la retraite et que le naufrage s’approchait à grande vitesse, il m’en avait parlé, même si cela avait été très difficile. Il m’a aussi averti longtemps à l’avance de son projet de voyage à La Réunion en prétextant un motif farfelu que je n’ai jamais cru, bien sûr.
Enfin, cette correspondance par mail n’a pas été préméditée, elle a été largement improvisée et il n’avait probablement pas l’intention de me la cacher définitivement, preuve en est qu’il n’a même pas pris la peine de verrouiller son Mac avec un mot de passe. Pour moi l’énigme est résolue et je n’ai pas été trompée, ou si peu … Le pigeon, le cocu magnifique, ce n’est pas moi, c’est lui ! « Pigeon », c’est ça, je vais essayer de l’appeler « Pigeon » de temps à autre. Il a déjà eu droit à « Poussin bleu » , « Lapin » , « Pigeon » sera sa nouvelle fine appellation."
Retour de Paul.
Sylvie est gaie, enjouée, Paul est éreinté .
"Tu as bien fait de ne pas venir Sylvie, les trois premiers jours, les sentiers étaient très glissants, verglacés, et à 2700m d’altitude, il fait froid; de plus, les gîtes étaient mal chauffés. Tu ne vas pas me croire, la première nuit, j’ai rêvé que je faisais partie des troupes napoléoniennes lors de la Retraite de Russie. Et toi ? Ton analyse semble t’avoir particulièrement réussi, tu es rayonnante.
-Oh, je n’ai eu droit qu’à une séance écourtée, moins de cinq minutes, formalités comprises . Je te résume les questions:
"Comment s’est passée votre enfance au sein de votre famille ?"
J’ai répondu :" Très bien, aucun souci."
-Avez-vous déjà songé à vous auto-mutiler ? À mettre fin à vos jours ?
-Jamais.
-À quel point vous sentez-vous lié à votre entourage ?
-J’ai deux enfants adorables qui ont un travail et un époux que j’aime.
Il m’a répondu: « Je ne peux rien pour vous, n’oubliez pas de passer voir ma secrétaire avant de partir »
Les semaines passent, Sylvie a retrouvé sa sérénité et semble heureuse.
Paul est maintenant beaucoup moins certain de sa fidélité. Son épouse s’absente en effet toutes les fins de semaine pour aller, selon ses dires, travailler bénévolement à Épinal dans une association qui a pour but l’accompagnement et la défense des agriculteurs en situation de détresse .
« La femme n’est pas encore capable d’amitié: elle ne connaît que l’amour.”
Paul ne parvient pas à évacuer cette affirmation de Nietzsche qui revient de façon récurrente dans ses pensées. Mais il ne souhaite pas dépenser son énergie à enquêter.
Quand il a eu l’audace, une seule fois, de demander des précisions à Sylvie, il a eu droit à une violente leçon de morale:
“Comment, les guignols censés diriger l’Union européenne assassinent nos agriculteurs pour permettre, entre autres, de financer la guerre en Ukraine et toi, tu t’en laves les mains!
Tu es complice, Paul ! Sors de ta léthargie ! Moi, j’ai une morale, je ne peux rester les bras croisés, tu ne vas quand même pas me le reprocher?"
Paul a répliqué fermement :
“ Permets-moi de te dire, Sylvie, que j’ai autant conscience que toi que le monde entier va très mal. Toutes les guerres sont absurdes bien sûr, mais celle-ci me semble battre tous les records et les responsabilités des corrompus qui, depuis cinquante ans, nous rebattent les oreilles avec leur Europe qui devait nous apporter paix et richesse, sont énormes…
J’ai consacré trente cinq ans de ma vie à instruire des adolescents. Inlassablement, je me suis battu sans ménager ma peine, corps et âme, pour essayer de faire reculer les frontières de l’ignorance.
Hélas, l’obscurantisme, les croyances, la folie des hommes, la férocité du capitalisme «prédateur» et catalyseur de l’extrémisme religieux ont gagné la partie.
Aujourd’hui, je ne souhaite plus me battre."
Paul ne posera plus jamais une seule question sur les absences de Sylvie.
Paul est sombre. En semaine, Sylvie n'a rien à dire ou presque. Le vendredi soir, elle déserte le domicile, elle disparaît et revient le dimanche le sourire aux lèvres.
Paul se souvient du discours rhétorique qu'il avait tenu pour faire accepter sa très légère "escapade" à La Réunion :
"Aimer l'autre, cela devrait vouloir dire que l'on admet qu'il puisse penser, agir de façon non conforme à nos désirs " (pensée qu'il avait d'ailleurs empruntée à un auteur sans le citer, bien sûr )
Sylvie a bien retenu la leçon, elle me retourne l'argument, elle me teste sans doute...
Je tiendrai, il le faut.
Pour les grandes vacances, pas question de retourner à Saint-Malo évidemment, ce serait l'échec assuré, la magie de l'hôtel du Nouveau Monde ne peut opérer qu'une seule fois.
Il faut rompre complètement avec la Bretagne.
Pour commencer, Paul a pensé à un petit séjour dans les musées en Suisse, Sylvie s'est toujours intéressée à l'art et particulièrement à l'architecture et au design.
Campus Vitra, près de Bâle puis Fondation Beyeler toute proche, où sont exposées des œuvres de Monet, Cézanne, Van Gogh, Picasso, etc. Enfin Kunstmuseum de Bâle, l'un des musées d’art les plus renommés au monde.
Rien qu'à Bâle et ses environs, Sylvie a de quoi se régaler pendant plusieurs jours. Je suis certain que ma proposition va lui plaire.
Ce vendredi, Sylvie annonce à Paul qu’elle ne se rendra pas à Épinal pendant un mois au moins, un autre bénévole prend le relais.
“C’est une bonne nouvelle, je n’en pouvais plus que tu m’abandonnes ainsi, mais si cela doit recommencer dans un mois, ce n’est pas tenable, il faut qu’on se parle.
Et Paul se décide enfin – il s’était promis qu’il le ferait un jour mais ne parvenait pas à se décider, à révéler à Sylvie le véritable motif de son échappée à La Réunion.
A cette annonce, Sylvie ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire narquois.
"Polo– elle l’appelle ainsi quand elle désire passer en mode caustique, tu ne m’apprends rien, j’en sais même plus que toi.
-Comment ça, comment ça ?
– Par un heureux hasard, j’ai lu tes mails et j’ai voulu en savoir plus, j’ai donc enquêté. Virginie a épousé une des plus grosses fortunes de l’île, tu le savais ?
– Je me fiche complètement de sa fortune et je ne veux même pas savoir avec qui elle vit, j’ai simplement besoin de parler un peu avec elle, il reste trop de mystère dans ces années mauriciennes et cela me pèse encore aujourd’hui, je t’en ai déjà parlé longuement, tu ne veux pas compatir, je ne te le reproche pas.
-Mais si, je te comprends, mon pigeon.
-C’est ça, je suis un pigeon et toi, tu es quoi ? Une poule qui mue, une poule qui rêve d’être palmée, une poule qui vit au champ ?
Sylvie, très atteinte, humiliée, sonnée par la violence des trois contrepèteries contenues dans la dernière réplique de Paul, caqueta toute la journée comme un gallinacé excité par la présence d’un renard.
Paul, le goupil, partit marcher calmement pour mieux se préparer mentalement à une nuit qu’il soupçonnait d’être particulièrement physique.
Et elle le fut.
Paul mit toute son énergie pour combler Sylvie.
Conscient que sa verge parabolique ne suffisait plus à la satisfaire, il consentit à revenir à des pratiques inhabituelles pour lui et redécouvrit le parfum et la saveur naturelle des chairs de sa compagne, qu’il n’avait plus humées ou goûtées depuis… un certain temps.
Et Sylvie en redemanda encore et encore.
Paul, qui, il y a quelques semaines, avait enduré et surmonté les difficultés du sentier enneigé du GR 52 dans la grande traversée du Mercantour, crut cette fois mourir d’épuisement.
Sylvie, apaisée, a maintenant complètement accepté que Paul se rende à La Réunion pour quelques jours; son comportement s'est normalisé. Paul, de son côté, s'est résigné à ce que sa compagne s'absente régulièrement en fin de semaine.
# abcmaths @ 08:00