Pourtant la charpente était en feu et le désastre fut de grande ampleur. Il fallut une quinzaine d'heures aux pompiers pour calmer les ardeurs des flammes au prix d'un dévouement exceptionnel.
Pas une minute ne fut perdue pour décrocher et mettre à l'abri 22 tableaux dont 13 Mays (j’expliquerai plus bas ce qu’il en est) dont aucun n’a été touché directement par l’incendie. Il se serait cependant pas imaginable de les ré-accrocher sans leur apporter la restauration dont ils avaient besoin. Le tapis de choeur, rangé dans des caisses de bois, n'aura souffert que d’avoir reçu des tonnes d’eau. Mais il aura fallu tout de même aussi qu’on lui apporte des soins.
Ce travail est aujourd'hui achevé et les Grands décors restaurés de Notre-Dame seront dévoilés au public à partir du 24 avril 2024 au Mobilier national où j'avais été séduite par leur exposition intitulée Les aliénés en novembre dernier. Ils seront ensuite replacés dans l’édifice religieux pour le 8 décembre 2024.
L’enjeu était de révéler les grands maitres qui ont été accrochés dans Notre-Dame, de présenter des éléments de son histoire récente du XVII° comme les Mays et le Grand tapis de Savonnerie. L'exposition donne aussi l'occasion de révéler les premières maquettes du nouveau mobilier liturgique. Enfin elle s'enrichit de l'accrochage de la tenture de la vie de la Vierge, composée d'un ensemble de 14 tapisseries provenant de la Cathédrale de Strasbourg et qui retourneront ensuite en Alsace.
Quelques sculptures ont été ajoutées comme ce moulage de la Vierge du portail du transept nord de la cathédrale en plâtre patiné, datant de 1880 :
En 1630, la confrérie Sainte-Anne des orfèvres parisiens s’engage à offrir à la Vierge, chaque année au premier mai, un tableau commémorant un acte des Apôtres, de grandes dimensions (environ 3,40 m x 2,75 m), destiné à être accroché sur les piliers de la nef. La confrérie des orfèvres était dirigée par quatre maîtres, renouvelables tous les deux ans. Ce sont les deux derniers élus qui sont chargés de la commande et en partagent la charge financière. L’esquisse de l’artiste leur est soumise ainsi qu’au chapitre de la cathédrale qui peut demander des modifications. L’artiste doit aussi fournir à chacun des commanditaires une réplique réduite.
Les guerres de religion viennent de s’achever. Le thème doit respecter un des actes des apôtres de manière à convaincre les protestants de l’héritage de catholicisme de l’église primitive, s’affirmer par rapport à Rome et avoir une vertu catéchitique des martyrs de la Foi, par les conversions.
Au XVII° les murs sont blanchis. Les vitraux colorés ont été remplacés par des grisailles pour laisser pénétrer la lumière naturelle afin que les fidèles puissent lire leurs livres de messe. Les couleurs des toiles apparaissent alors comme des taches. Puisqu’ils étaient conçus pour être suspendus, l’artiste a placé la scène principale dans la partie basse. Il est exceptionnel de pouvoir les contempler d’aussi près. Et de profiter de banquettes propices à la contemplation pour qui voudra perdre son regard quelques minutes entre les personnages.
On notera qu’au fil du temps la taille des Mays va croître jusqu’à dépasser plus de 4 mètres de hauteur. coût important. La coutume se poursuit néanmoins jusqu’en 1707 et s’arrête. La guerre de succession d’Espagne a épuisé les réserves. Non seulement il n’y a plus d’argent, mais la place manque pour de nouveaux accrochages. La coutume aura suscité la création d’une série de soixante-seize grands tableaux religieux, dus aux meilleurs peintres français, qui couvrent peu à peu les murs de l’édifice.
A partir de 1731, la collection des Mays est, comme on peut en avoir une idée sur le tableau ci-dessus, désormais suspendue entre les arcades de la nef, et non plus au-dessus des chapiteaux des piliers et selon une logique de mise en ordre. Les scènes d'Evangile furent rangées sur la gauche et celles des Actes sur la droite.
Admirée et commentée tout au long du XVIII° siècle, la collection est saisie et dispersée à la Révolution. Cinquante-deux d’entre eux sont aujourd’hui localisés, répartis entre des églises et des musées, notamment le Louvre et le musée des Beaux-Arts d’Arras. Sur cet ensemble, treize se trouvaient à Notre-Dame avant l’incendie ; exposés ici côte-à-côte, dans une disposition qui évoque leur accrochage originel, ils seront remis en place dans quelques mois.Les œuvres peintes conservées dans la cathédrale, heureusement épargnées par l’incendie ont été décrochées et mises en sécurité. Mais il fut nécessaire de prendre la décision de procéder à une restauration fondamentale de vingt-deux d’entre elles, parmi lesquelles les treize grands Mays. Au centre de la galerie, une oeuvre associée est placée en contrepoint du May et l’accent est mis sur la restauration par l’intermédiaire d’un avant-après sur écran d’IPad. En voici un exemple avec le May peint en 1637 par Laurent de la Hyre (1606-1656), un ami de Charles Le Brun.
Bien entendu il conviendrait de s’arrêter aussi devant les tableaux des chapelles aux XVII° et XVIII° et de scruter le travail de restauration, systématiquement présenté sur IPad en juxtaposant en bas l’avant et en haut l’après. Par exemple, devant ce tableau de Lubin Baugin (1610-1663) dont huit toiles ornaient les autels des chapelles, et onze compositions dans des espaces annexes de l’édifice bien qu’il ne reçu jamais de commande de May.
Ce tableau est revenu à Notre-Dame dans les années 1960. La toile représente le Christ descendu de la croix qui repose sur le genoux de sa mère éplorée. Cette oeuvre caractéristique de la période de la maturité du peintre exprime avec retenue la douleur et la compassion de la Vierge ainsi que la tristesse de deux angelots dont l’un montre la plaie du Christ. La disproportion et l’allongement des corps, l’improbable position de la Vierge, conjugués au cambrement du torse du Christ, accentué par sa tête rejetée en arrière, renforcent la tension dramatique.
Restaurée à plusieurs reprises, ce tableau était composé de deux pièces de toile cousues ensemble. Lors d’une ancienne intervention, la couture a été supprimée, ce qui a créé un espace entre les deux éléments devenus indépendants. La présente restauration a permis de les rapprocher au maximum et de rendre ainsi une meilleure proportion aux personnages.
Un autre des tableaux présentés est particulièrement remarquable et considéré comme le chef d’œuvre de la peinture religieuse des frères Le Nain. Ils y représentent la nativité de la Vierge tandis que Sainte Anne accouche à l’arrière-plan. C’est une des oeuvres qui fut dispersées à la Révolution et qui revint en 1964 à Notre-Dame. La scène est tout autant pittoresque que d’une grande spiritualité avec les anges peints sur le vif comme des poulbots parisiens.
Le retrait des anciens vernis jaunis a révélé la luminosité et les couleurs, notamment l’éclat des blancs que l’on ne soupçonnait plus. le crâne de l’enfant était très usé, des retouches légères ont permis de lui rendre tout son volume.
Traversons toute cette première galerie pour monter à l’étage. Mais auparavant, admirons un instant les têtes de bélier qui ornent l'escalier.
Le projet fut interrompu en 1640 après la livraison des deux premières pièces, reprit en 1650 et s’échelonna sur vingt ans. Les cartons devant servir de base pour le tissage des ouvrages furent exécutés successivement par trois peintres renommés : Philippe de Champaigne (1602-1674) pour les deux premiers cartons et la tapisserie fut tissée à Bruxelles, Jacques Stella (1596-1657) et Charles Poerson (1609-1667). Les dix derniers sont sortis des ateliers du faubourg Saint Marcel que vingt ans plus tard Colbert va fonctionnariser en créant Les Gobelins.
Les tapisseries représentent les scènes de la vie de la Vierge selon les Évangiles canoniques et apocryphes. La bordure unificatrice de l’ensemble, décorée d’angelots et de guirlandes de fruits, porte le chiffre de Richelieu et les armes des commanditaires. Le cartouche central donne la légende de la scène, et la date qui figure en bas, 1739, a été retissée pour marquer la nouvelle propriété de la tenture et le changement de propriétaire.
La pièce qui se trouve en haut de l’escalier, est consacrée à des toiles qui sont entrées au XIX° siècle dans la cathédrale après la Révolution. En effet le culte est rétabli en 1802 mais Notre-Dame est délabrée et sans décoration. On fait venir des tapisseries et des tableaux italiens ramenés par Napoléon (donc fruits de pillage enfant la campagne d’Italie) et jusque là au Louvre.
Celle-ci a été saisie lors de la première campagne d’Italie et finit par arriver à Notre-Dame en 1802. Assis sur un trône, en haut à droite, Job accueille de la part de sa famille et de ses connaissances toutes sortes d’offrandes qui le rétablissent dans ses richesses. Il est ainsi récompensé d’avoir conservé sa foi au milieu des épreuves infligées par Dieu.
Il fut restauré en Italie en 1988 à la faveur d’une exposition à Bologne; il reçut alors un nouveau châssis dit auto-tenseur. En parfait état, il ne fut que révisé et nettoyé.
Celle-ci est arrivée à Notre-Dame au XIX° en provenance de l’église des Cordeliers. Elle avait été commandée pour le maître-autel de cette église en l’honneur de Christophe de Thou (Premier président au Parlement de Paris) par son fils. C’est un rare témoin de la peinture religieuse parisienne de la fin du XVI°. Elle a été peinte dans le goût vénitien. Au premier plan, agenouillé en donateur, Christophe de Thou est vêtu du manteau rouge propre à sa charge, avec à ses pieds le mortier, sorte de toque de velours bordée d’or. Les personnages de la crèche emplissent l’espace et s’empressent autour du nouveau-né dévoilé par sa mère. Parmi eux se trouvent plusieurs membres de la famille de Thou. On remarque aussi le portrait de l’artiste dans la figure du berger de gauche tourné vers le spectateur. De style maniériste, la peinture narrative et réaliste montre un profond humanisme.
C’est l’unique témoignage daté et signé de l’activité de Francken à Paris et un des rares exemples subsistant de la production des artistes flamands dans la capitale à la fin du XVI°. Le tableau a été restauré en 1982 suite à un incendie ayant affecté sa partie basse. Les retouches, souvent débordantes, ont été ôtées, ce qui a permis de retrouver des détails comme la tête de chien visible derrière le genou du berger. Par contre, ce sont des tons bruns qui ont été employés pour restituer les motifs sans les dénaturer lorsqu’il y avait des espaces vides. Par ailleurs la réflexologie infra-rouge a révélé de nombreux repentirs du peintre.
Des écrans video, installés dans cette salle et au rez-de-chaussée dévoilent chacun un des aspects de ce long processus. Comme le nettoyage de la couche picturale pour retirer le vernis et les anciens repeints. Souvent on remplaça le support arrière.
Commandé par Charles X dès 1825, le dessin en fut confié à Jacques-Louis de La Hamayde de Saint-Ange, dessinateur du Garde-meuble de la Couronne. Celui-ci imagine une composition ressemblant à un vitrail gothique contenant une grande croix dans sa partie supérieure et une chasse reliquaire dans sa partie inférieure, le tout parsemé de symboles chrétiens et monarchiques. Transposé en grand par le peintre cartonnier Charles-Adrien Devertu, le tissage est rapidement lancé à la Savonnerie, alors encore située au pied de la colline de Chaillot, où Louis XIII permit de développer la manufacture en l’installant dans une ancienne fabrique de savon - d’où le nom de Savonnerie pour désigner aussi les tapis réalisé par la technique du point noué, dit aussi point de Turquie.
Le déménagement de la manufacture aux Gobelins en 1826 et le changement de régime provoqué par la Révolution de 1830 retardent l’achèvement et le tapis ne sera finalement offert à la cathédrale qu’en 1841 par le roi Louis-Philippe. Il fallut apporter des modifications au projet initial comme le montre la juxtaposition des deux photos ci-dessous.
Utilisé pour les célébrations les plus importantes et pour quelques évènements marquants, comme le mariage de Napoléon III et baptême du prince impérial en 1853 et 1856, la visite du tsar Nicolas II en 1896, la venue du pape Jean-Paul II en 1980, et plus récemment pour la dernière fois en 2013 pour le 850° anniversaire de Notre-Dame, le tapis conserve une fraîcheur tout à fait exceptionnelle. Son poids important (près d’une tonne) rend néanmoins sa manipulation risquée, causant des cassures et des déchirures, et son stockage à l’abri des regards dans un bas-côté de la cathédrale permit aux mites de s’y installer à plusieurs reprises.
Après un dépoussiérage, une étude préalable menée conjointement avec le laboratoire de recherche des Monuments historiques et un nettoyage, la restauration a pu démarrer, pour la partie supérieure, à l’été 2022. Elle s’est achevée fin 2023 pour laisser la place à la partie inférieure du tapis, actuellement en cours. Cette restauration consiste principalement en la réparation des cassures, déchirures et dégâts causés par les mites et en la mise en place d’un galon pour protéger la lisière originale du tapis.
Les cathédrales appartenant à l’Etat il fallut mener des discussions entre ministère de la culture et diocèse avant de lancer un concours ouvert à différents designers. Il est apparu que cette exposition offrait un cadre approprié pour présenter, en accord avec le diocèse de Paris, les maquettes du futur mobilier liturgique actuellement en cours de réalisation.
Destiné à tracer un trait d’union entre le passé et l’avenir, ce mobilier de bronze patiné et de pierre s’intègre dans l’histoire et l’architecture du monument. La simplicité des volumes et la noblesse des matériaux contrastent et résonnent avec la grandeur de la cathédrale, tout en inscrivant fermement dans l’espace les signes permanents des sacrements qui y sont célébrés – en particulier le baptême et l’eucharistie.
Ce fut émouvant d'effectuer ce matin la découverte de l'exposition en compagnie de l’équipe qui a effectué cinq années de travail acharné comptant plus de 20 000 heures de travail par 78 restaurateurs intégrant des apprentis dans un atelier presque secret de plus de 700 mètres carrés, soit l’équivalent d’une piscine olympique, alors d’habitude ce type d’opération est programmé dans les ateliers de Versailles ou du Louvre. La catastrophe aura tout de même fait avancer les recherches et contribué à accroître la connaissance scientifique des oeuvres dont la restauration a été financée en grande partie par la collecte nationale.