Savoir que c’était le réalisateur de La fille au bracelet me suffisait et je faisais complètement confiance à Stéphane Demoustier. En sortant de la salle je savais que j’avais amplement raison.
Annoncé comme une fiction inspirée de faits réels, le réalisateur a prévenu que son film ne saurait cependant représenter la réalité.
La première séquence est une scène de crime qui nous est donnée à voir sans commentaire. Evidemment aucun des personnages ne nous est encore connu et on pense légitimement que c’est une scène d’actualité ou voulue comme telle.
Tout de suite après, on passe sans transition dans l’univers de la prison et on pense que les coupables s’y trouvent, ce qui légitimait la première scène en tant que règlement de comptes et qui nous laisse penser que malgré tout les protagonistes y coulent des jours heureux.Je ne suis pas très loin du compte parce que cet univers carcéral est très particulier, unique en France, puisque les cellules y sont portes ouvertes, avec (bien entendu) un grand drapeau corse en guise de décoration sur un mur. Impossible d’imaginer qu’un prisonnier continental (non corse) y soit incarcéré.Bien qu’étant très masculin on y voit quelques femmes, en particulier Mélissa (Hafsia Herzi, que nous sommes nombreux à avoir trouvé exceptionnelle dans Le ravissement, et que j'avais déjà remarqué en temps que réalisatrice dans son premier film Tu mérites un amour) qui y exerce le métier de matonne. La seconde particularité de l’endroit est d’y pratiquer "la paix des braves". Tous ceux qui y vivent ont laissé à la porte l’appartenance à leur clan et approuvé implicitement un pacte de non agression. Du moins c’est ce qui est proclamé mais on constatera que ce n’est peut-être qu’une façade en entendant la mise en garde qui est sans doute aussi une menace : Nous (les corses) on n’oublie personne et personne ne nous oublie.Stéphane Demoustier procède un peu comme pour son précédent film en alternant les flash-backs pour faire progresser la révolution de l’énigme, laquelle donne bien du fil à retordre aux policiers et le commissaire (Michel Fau, si différent de ce que à quoi il nous a habitué) est à deux doigts de lâcher l’affaire.On revient à la scène de crime dont on avait peut-être sous-estimé l’importance. Les aller-retour seront fréquents jusqu’à ce qu’on comprenne sa légitimité et cela participe largement à l’originalité du traitement cinématographique. La construction est remarquable.Le réalisateur a encore une fois construit son film autour d’une forte personnalité féminine. Il nous offre un beau portrait de femme évoluant dans un milieu d’hommes, dans un cadre dont elle connaît partiellement les règles et où elle n’a aucune racine. Elle ne bénéficie d’aucun soutien, ni de sa hiérarchie, ni au sein de son couple. Elle croit connaître les règles. Elle a une certaine déontologie mais son humanité lui fait sous-estimer les risques.Mélissa a fait le choix, qu’elle pense raisonnable, de venir s’installer sur l’île de beauté avec son mari et ses deux jeunes enfants pour prendre ensemble un nouveau départ. Le moins qu’on puisse dire est que leur arrivée n’est pas vraiment saluée avec enthousiasme par les locaux. Les conflits de voisinage se multiplient, avec une violence qui monte crescendo. Question d’appréciation des problématiques confluera la directrice de l’établissement pénitentiaire (Florence Loiret Caille).Paradoxalement, la bienveillance qui est devenue vitale à la matonne lui sera prodiguée par un jeune détenu qu’elle a connu dans un poste précédent, à Fleury-Mérogis, Saveriu (Louis Memmi), qui semble influent et la place sous sa protection. La trentenaire est rigoureuse et semble aguerrie mais elle n’est pas dénuée d’empathie et ils vont être nombreux à en profiter. Jusqu’à ce que la machine se grippe. Confiance mal placée ? Engrenage ? Manque de prudence malgré la mise en garde qui lui est faite : Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens.Je ne peux pas en dire plus mais Ibiza, car tel est le surnom qu’elle a accepté, va se retrouver d’un instant à l’autre dans une situation qui semble inextricable et dont on pressent que l’issue sera forcément fatale. On en a oublié que nous sommes au cinéma et pas devant un documentaire.
Borgo, film de Stéphane DemoustierAvec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, Pablo Pauly, Florence Loiret CailleEn salles depuis le 17 avril 2024