Certains sujets méritent l'exploration écrite, lente, patiente. Tant au niveau de la production que de la consommation. Dans cet article, je fais un point sur le marché des guides touristiques et je livre une chronique sur un ouvrage drôlatique.
Le marche des guides touristiques
Le marché de l'édition de guides touristiques est un indicateur concret des choix des destinations par les Français. A moins qu'une partie d'entre eux n'achètent des guides que pour rêver sans partir. Après le temps des propos convaincus concernant le localisme, la fin du voyage lointain et l'envie (voire l'injonction) de séjourner dans le voisinage régional, voici venu le temps de la nuance apporté par les chiffres. Livres Hebdo, le magazine des professionnels du livre vient de publier son numéro spécial tourisme (mars). Il pointe l'état des nouvelles publications de guides touristiques. Il s'appuie pour cela sur une étude conduite par l'institut GFK. Et là, quelques surprises de taille surgissent :
- En 2023, le marché des guides remonte la pente même si le chemin est encore long : 1478 nouveautés pour 1810 en 2019 avant la crise sanitaire
- La croissance a été moins soutenue qu'en 2022, vraie année de relance touristique après le covid, mais elle a atteint un taux de +8,8%
- Premier segment en valeur, les destinations européennes ont augmenté de +11,5% et les destinations monde de +25,9%, l'Asie captant beaucoup l'intérêt et en particulier le Japon
- Revers de la médaille, les destinations France et la randonnée en France décrochent après avoir été la bouée de salut pour la plupart des Français après le covid
L'article souligne que 2023 a été une année de recomposition chez les éditeurs, soit par des fermetures de titres, soit par des créations nouvelles, souvent en refondant les catalogues. Les GeoGuide Coups de Cœur ou les Soul of de l'éditeur Jonglez invitent à un resserrement de la focale sur des morceaux choisis. L'injonction ancienne qui invitait les voyageurs à tout voir dans une destination semble s'effacer. Autre tendance, le recours à des chartes graphiques épurées, avec des couvertures imprimées en mat.
Les éditeurs tournés vers le lointain ont gagné des parts de marché, comme Hachette Tourisme, Lonely Planet et le Petit Futé. En revanche, les éditeurs et les collections orientés sur le marché domestique enregistrent un recul. En 2022, les ventes concernant la France occupaient 23% de parts de marché des nouveautés, ce n'est plus que 20,07% en 2023.
DE L'ART D'ENNUYER EN RACONTANT SES VOYAGES
Ce récit a été écrit par Matthias Debureaux. Il a été publié chez Allary Editions. Le ton est donné dès la première page : " Chiant qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage ". L'auteur a rédigé un opus très agréable à lire. Il procure du sourire de la première à la dernière page. De rappeler combien de tous temps, Sarrasins et Vikings ont rapporté leurs exploits de voyages. Que les précédents récits oraux et néanmoins consignés des explorateurs ont été colportés et ressassés. " On ne soupçonne pas le cauchemar vécu par les épouses des marins engagés aux côtés de Christophe Colomb. Au XIXème siècle, le récit oral se gâte encore avec l'essor du voyage d'agrément et la naissance du tourisme. On ne voyage plus pour découvrir mais pour visiter ".
Si voyager n'est plus un acte héroïque ou un privilège, il y a toujours au fond de nous ce besoin de faire savoir, de partager, de capter l'attention d'autrui avec les mille aventures rencontrées lors d'un voyage. C'est d'ailleurs un point de différenciation important au sein du tourisme entre les vacances, reposantes et sûres, et le voyage qui frôle avec l'aventure, ou ce qu'il en reste comme possibilité. Son ouvrage est composé sur le mode du conseil au voyageur : le recours à l'impératif s'impose pour raconter son périple et lasser en toute conscience son auditoire. " Dénigrez les touristes. Clamez votre soif de l'autre. Précisez que vous voyagez comme les locaux. Réhabilitez le mythe du bon sauvage. Insistez sur l'hospitalité légendaire de la population locale ".
Un festival de Venise est énoncé après l'accroche suivante : " festoyez de comparaisons ". Ainsi nous constatons le mimétisme qui habite élus et acteurs institutionnels du tourisme, la planète comptant en effet dix Venise d'Afrique, neuf Venise de l'Amérique, huit Venise du Nord, huit Venise de l'Orient, trois Venise de l'Inde, deux Venise du Canada, deux d'Allemagne, deux du Japon, une du Golfe (Dubaï) et... une cinquantaine de Venise en France (Brantôme, la Venise du Périgord ou Montargis, la Venise du Gâtinais). On n'ose citer l'exemple de la Toscane que d'aucuns auraient voulu décliner à l'envie.
L'humour par la mise en avant des postures péremptoires des voyageurs de retour, qui veulent un auditoire acquis à leurs pérégrinations est inépuisable. Il est ici bien amené dans cet ouvrage dont on découvre dans la Postface qu'il est d'abord l'œuvre de la romancière Cécile David-Weill, grâce à l'entremise de la comédienne Valérie Lemercier publié dans une collection de pamphlets des éditions Cavatines. La moquerie à l'égard des barbants du voyage, des rasoirs de l'exploration, risque désormais d'appartenir au passé. Le monde connu est immense, les dictatures poussent comme des champignons en automne, freinant ainsi les voyages et voyager tend désormais à être perçu comme nocif. Il est donc possible que cet opus, qui salue avec une saine méchanceté le manque de désinvolture de certains passe à la trappe de l'univers du tourisme. Cela serait dommage.