Harold Colbert a choisi de nous raconter le XX° siècle à travers le destin tragique de deux frères désunis par une vision politique différente, le premier libéral et le second révolutionnaire, mais liés par l’amour d’une femme.
Russie, 1914. Tout oppose soudain Alexeï et Ivan Narychkine, deux frères issus de l’aristocratie. Alexeï, l’aîné, a hérité de leur père son tempérament déterminé et réfléchi. Libéral, il prône la modernisation et la démocratisation de la Russie. Ivan, lui, ressemble à leur mère : d’un naturel tourmenté et exalté, il épouse volontiers les pensées anarchistes et marxistes.Quand, en 1917, la Révolution éclate, tous se déchirent et chacun choisit son camp, au risque de devoir un jour s’affronter…Natalia, leur sœur de lait, fille de leur gouvernante et de l’administrateur des terres familiales choisit d’œuvrer auprès d’Yvan de son propre frère Kolya. Mais oubliera-t-elle les sentiments qu’elle avait (aussi) pour Alexei ?Je ne peux pas davantage résumer près d’un siècle d’histoire. Car nous allons suivre l’évolution de la Russie à travers le parcours de ces trois personnages, ici fictifs, mais bien entendu sur fond historique réel. Je dirais juste pour vous convaincre de le lire que Le Rouge et le Blanc est construit comme une série télévisée, en six parties, de plusieurs chapitres relativement courts, qui se lisent sans aucune lassitude et qui, s'achevant chacun sur une énigme, donnent envie d'en dévorer le suivant, même quand on a parfaitement deviné la réponse (comme par exemple p. 170 où le nom masqué est évident). On a beau connaître l’enchaînement des évènements dans leurs grandes lignes on se prend au jeu de comprendre comment les deux frères ont traversé les années.
Bref, on est dans l'esprit des feuilletonistes du XIX° : Balzac, Maupassant, Dumas … mais il n’est pas nécessaire d’être familier de ces grands auteurs, ni de littérature russe pour apprécier, même si cela peut aider d’avoir lu auparavant les oeuvres de Dostoievski, en particulier son dernier roman, publié d’ailleurs sous forme de feuilleton, Les Frères Karamazov, dont l’un d’entre eux s’appelle justement Yvan. L’analogie s’arrête là avec le fait que l’action se déroule dans le même pays.
Il n’est pas davantage indispensable d’avoir lu L'Archipel du Goulag. 1918-1956, l’essai d'investigation littéraire d'Alexandre Soljenitsyne publié en 1973. Mais ce sont malgré tout des lectures additionnelles essentielles.La couverture du livre est magnifique. Ce personnage vu de dos, que j’imagine féminin, pourrait être Natalia, face au monument le plus emblématique de la Sainte-Russie dont chaque tour symboliserait l’homme Rouge et l’homme Blanc, à savoir Yvan et Alexei.
Je salue le travail de l’écrivain qui signe ici une oeuvre majeure. J’ai dans les mois qui viennent de s’écouler, fait l’effort de me rendre au musée de la Grande Guerre, à deux reprises car je sais combien il est important de ne pas oublier. La dernière fois j’ai même été surprise de constater les liens très forts entre la Russie et la France avant et pendant le conflit. Je me suis arrêtée devant cette Boite à musique offerte par le tsar aux officiers de haut rang et dignitaires français en bois, métal, biscuit et verre. Cet objet commémore l'alliance franco-russe et la visite du tsar en 1896. Les deux personnages en porcelaine sont Nicolas II et le président français Félix Faure. La boite joue La Marseillaise et l'Hymne des tsars, hymne de la Russie impériale. Et plus loin j’ai remarqué les uniformes des soldats russes.Il m'est très difficile d'admettre que les caractéristiques de ce qu'on appelle "l'âme russe" capable de passer de l'amour à la haine en une fraction de seconde, n'acceptant pas les demi-mesures et vivant d'excès puisse excuser quoi que ce soit mais je pense que la lecture du roman d’Harold Colbert est une nécessité en vertu du conseil de Karl Marx : Celui qui ignore l’histoire est contraint à la revivre.
J’espère que l’avenir sera de nouveau paisible et qu’il sera alors envisageable de parler du roman uniquement d’un point de vue littéraire et le coeur léger. Ce n‘est pas le cas aujourd'hui et encore une fois cela n’a rien à voir avec le résultat dont je sais qu’il est le fruit d’une quinzaine d’années de recherches.
Harold Cobert, docteur ès lettres, est l’auteur de plusieurs romans, dont Un hiver avec Baudelaire (Héloïse d'Ormeson, 2009 ; Le Livre de Poche, 2011), Lignes brisées (Héloise d'Ormesson, 2015), La Mésange et l’Ogresse (Plon, 2016 ; Points, 2017), Belle-amie (Les Escales, 2019 ; Pocket, 2020) et Périandre (Robert Laffont, 2022).
Je l’avais rencontré au Salon du Livre, en mars 2019 (ci-dessous avec Catherine Bardon et Brice Homs) et j’avais bien compris que les défis d’écriture le stimulaient. Je ne suis pas étonnée qu’il nous ait offert une oeuvre d’une telle prouesse littéraire que ce dernier roman.