L’intéressant, quand on découvre une culture artistique qu’on connaît peu, est d’y avoir peu de repères, peu de références et de tenter de juger de la qualité des pièces qu’on voit de manière intrinsèque, ainsi de Rubin il y a deux jours, ou de Yitzhak Livneh aujourd’hui. Je n’avais jamais entendu son nom il y a trois jours (eh oui..), je vois un catalogue dans une librairie, et je vais voir son exposition, Astonishment (1985-2008) au Musée de Tel Aviv. On peut toujours approcher un artiste en sachant tout ou presque sur lui, en le reliant à tel courant, à telle histoire, ou bien on peut arriver devant lui nu, inculte, ouvert; la ‘vérité’ est sans doute au milieu, mais parfois on n’a pas le choix.
Livneh (né en 1952) travaille à partir d’images ordinaires, qu’il remet en scène, en question. La série éponyme de l’exposition, Etonnement(2004-2006), reprend un tableau de Charles Le Brun où l’étonnement se traduit par une bouche ouverte, rectangulaire, béante, et il le décline sur des photos de magazine. Ca donne d’abord cette série de 13 petits tableaux de jeunes femmes (est-ce la même avec des perruques différentes ? est-ce un éternel féminin ?). Le même visage, décliné sans fin, sur des aplats de couleur, en plus ou moins gros plan, les yeux perdus, le regard chaviré. Ce pourrait être un cri, un orgasme, c’est une stupeur muette.
La même série se poursuit avec une irruption violente, un crâne jeté de l’extérieur qui fracasse une baie vitrée, la réduit en échardes coupantes, fait basculer l’héroïne, une série de tableaux qui traduisent la violence, l’irruption de la mort symbolique dans un univers paisible (terrorisme ?); la jeune fille va ensuite jouer avec le crâne, faire sa gymnastique avec lui, l’apprivoiser, intégrer le memento mori dans son quotidien, se réconcilier avec cette irruption du réel laid dans sa bulle. Livneh, dont les parents sont des rescapés des camps, croit beaucoup à la post-mémoire, au fait que sont inscrits en nous les souvenirs traumatiques de nos ancêtres.
La série DS (2005-2006) m’a beaucoup impressionné, même si je n’ai guère d’explications. Est-ce le visage du Christ, répété dans des couleurs différentes, déconstruit, décomposé , est-ce une sculpture médiévale, une agonie ? Les formes se recomposent, les couleurs se dégradent.
De même ces deux tableaux jouent avec des couleurs véronésiennes : plus grand chose à voir excepté la couleur pure, Nature morte et Cadre vide avec ombre (1989 et 1990), à côté de deux Véroniques, simples empreintes d’un visage.
A côté d’une Invention de la Peinture où la fille de Butades dessine non son bien-aimé, mais un crâne, ce tableau, Nu au dessus d’un miroir (2000), où le visage n’est visible que par son reflet, où le sexe noir et béant est dédoublé entre les cuisses athlétiques, semble évoquer une femme nouvelle, moderne, libre, émancipée, conquérante, mais aussi séductrice.
Les toiles de Livneh restent dans un registre de peinture assez traditionnel, mais elles ont une puissance évocatrice, une recherche formelle qui, à mes yeux, en font un des peintres les plus intéressants que j’ai découverts ici.
Photos encore volées, donc médiocres.