Dans n'importe quelle entreprise possédant un minimum d'historique, le RPA agit comme une drogue. La première expérimentation révèle instantanément tous ses bénéfices : accélération des traitements et, donc, meilleure réactivité, notamment vis-à-vis de clients, renforcement de la fiabilité, réduction, voire élimination, des coûteuses interventions humaines… Dès lors, la tentation est irrésistible d'en généraliser le recours (en dépit des prix souvent exorbitants pratiqués par les fournisseurs).
KeyBank se trouve ainsi dans le cas où son addiction s'aggrave. Non contente de la première génération de solutions, qui lui a tout de même permis d'engranger des résultats substantiels, elle est passée à un stade supérieur avec ce qui est maintenant qualifié d'hyper-automatisation (entre autres par son partenaire OutSystems) et applique ses méthodes de rationalisation à des centaines de processus dans tous ses métiers, vantant les gains immenses qu'elle en tire pour son efficacité opérationnelle.
Je propose cependant d'aborder la démarche sous une autre perspective. Chaque instance de robot correspond en réalité à un fonctionnement défaillant dans l'organisation, qu'elle pallie, certes, mais, hélas, ne résout pas fondamentalement. Ce sont ainsi des myriades de problèmes qui sont identifiés – dont le responsable de la transformation de KeyBank attribue d'emblée la faute à des systèmes informatiques vieillissants – et en quelque sorte couverts d'un sparadrap pour en limiter l'impact.
Plus raisonnablement, la technologie n'est pas la seule en cause. Les processus orchestrés « autour » des outils mis en place au fil du temps sont eux-mêmes victimes d'obsolescence, en particulier lorsque les logiciels sont venus successivement en automatiser telle ou telle tâche ou séquence, en support ou en substitution à une activité humaine, sans préoccupation pour la cohérence du parcours global. Dans ces conditions, le RPA permet tout au plus de « recoller les morceaux » au mieux.
Un peu comme si, à la naissance de l'automobile, les utilisateurs s'étaient contentés de charger leur carriole à cheval sur une voiture afin d'aller plus vite, ces robots autorisent une accélération (et quelques autres avantages) mais ne devraient jamais dispenser d'une réflexion stratégique sur tout ce que le concept de « digitalisation » recouvre d'autre. Or, quand 300 processus sont déjà passés à la moulinette et procurent une illusion de progrès, le risque est grand d'oublier l'indispensable chantier de fond.