En 1895 paraissait X... Roman impromptu, écrit par cinq amis : G. Auriol, Tristan Bernard, G. Courteline, Jules Renard, Pierre Veber et illustré par Jean Veber. La même année les frères Veber, Pierre l'écrivain et Jean l'illustrateur, faisaient paraître Les Veber's, un très bel album, dont l'absence dans ma bibliothèque explique la pauvreté iconographique de ce billet. L'annonce de la sortie de ce volume dans le Mercure de France revenait à l'ami Jules Renard, ce qui nous permet de publier une nouvelle chronique Mercurielle, la cinquième, qui semble bien être restée inédite en volume. Pour compléter le dossier « Veber / Renard » on trouvera à la suite du compte-rendu de Jules, un portrait champêtre de Renard par Pierre Veber, parut en février 1894 dans le même Mercure de France.
Les Veber's (E. Testard). - Que vais-je écrire de votre livre, mes chers amis ? Il fait si chaud qu'on ne serait bien que dans une poire. J'ai envie de remettre ça à l'hiver prochain. Jamais les Veber's ne trouveront qu'il est trop tard pour parler encore d'eux.Mercure de France, « Les Livres », octobre 1895
Vous avez traduit le titre du volume dans toutes les langues pour qu'il ne reste plus aux traducteurs qu'à continuer.
Afin de ne pas dérouter le public, les masques sur vos visages sont plus ressemblants que nature.
Je compte vos portraits. Ceux que j'oublie ne sont pas les meilleurs.
Il y en a cinquante et un de Jean, et il y en a cinquante et un de Pierre. Voilà deux frères qui s'aiment.
Il n'y en a qu'un de Jules Renard.
On ne sait lequel de vous deux a le plus d'esprit, dit Jules Lemaître qui donne sa langue au chat et retourne à Lamartine.
Dirais-je qu'on ne sait pas d'avantage lequel en a le moins ?
C'est le moment de citer quelques traits qui servent de rallonge à ma feuille de papier. Mais ils sont trop.
Oh ! Vous arriverez ! Vous arriverez par train spécial, et il sera malaisé de vous faire descendre de voiture.
Je plaisante : si vous avez l'air d'aimer trop le bruit, au fond vous vous moquez même de la gloire.
Souffrez, mes chères amis, que je termine là « cet article d'ami », et plaignons les pauvres femmes obligées, par ces chaleurs, de porter leurs seins sur elles.
Pour moi, j'ai l'âme trempée jusqu'aux os. - 9 septembre 1895. - Jules Renard.
Mercure de France, février 1894.JULES RENARD
Un gros champignon poussa ce matin au fin fond de la plaine, sur le bord du ruisseau que jalonnent les goupillons des saules.
C'est un pêcheur à la ligne. Coiffé d'une ombelle de paille, il s 'est assis, dès l'aube, dos tourné à la plaine, et, penché sur l'eau où flageolent les reflets des hêtres, attentivement, il pêche ces reflets.
Vers patron-minette, sont arrivés des moissonneurs pour couper l'herbe sous les pieds des épis. Après eux, des vaches, égrenant le choc clair de leurs clarines, traînaient à la remorque leurs pâtres.
Midi ; des troupes défilèrent. Puis des sages, marchant à pas comptés, ont, avec leurs cannes, tracé des figures dans le sable de la route.
Peu avant l'Angelus, le soleil a lancé jusqu'au bout de l'horizon l'ombre unique des couples. Et tant d'autres, chacun chantant sa complainte chacunière.
A regret, la nuit. Le pêcheur ne bouge pas, épie toujours les faucheux qui patinent sur l'eau. Il ne prend rien et ne se lasse pas de ne rien prendre. Soit, cet homme est un sot, il importe que je lui fasse remarquer : « Champignon insolite, champignon mesquin, vous avez perdu votre journée : tandis que vous tachiez à saisir quelques goujons, vous renonciez au diorama de cette plaine, à la pantomime du Passant en 36 tableaux : couples, pâtres, troupes et sages paisibles. Pauvre sot, que ne vous retourniez-vous ? »
L'homme ne daigne point relever la tête :
« Tout cela dit-il, et bien des choses qui vous ont échappé, je le guettai dans ce miroir où, solitaire, je pêche des reflets. »
Mais chut ! Ça mord... Voici la lune qui rôde autour de l'hameçon.Pierre Veber.
Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892)
La Force des chosespar Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892)
Jules Renard sur Livrenblog :
Portrait par Pierre Veber, Sous-Bois, Les Lutteurs.