Lucien Jaume, Le religieux et le politique dans la révolution française. L'idée de régénération, PUF, 2015, Index des noms, 163 p., 26 €
Qui s'intéresse encore, aujourd'hui, en 2024 à la Révolution française, à cette période qui va de 1789 à Napoléon Bonaparte (inclus ?), soit un quart de siècle ? On peut penser qu'il n'y a plus que quelques "damnés de la thèse" à défricher un bout de ce terrain ; pourtant, des travaux retournent encore telle ou telle question pour rendre compte d'une idée, d'un concept révolutionnaire. Ainsi Lucien Jaume avec "l'idée de régénération".
L'histoire de la révolution française est complexe, indiscutablement : alors, par où la prendre ? L'aborder par ses politiques religieuses peut constituer, semble-t-il, une approche intéressante et féconde. Que peut nous apporter dans ce cas la notion de régénération ? Elle peut remettre en questions la tradition, les héritages divers, "même le calendrier, même le langage (la langue française) ne doivent plus être des héritages et des usages antérieurs au sujet-citoyen qui parle, pense et juge toute chose" (pp. 3-4). Ce que l'auteur, normalien et philosophe (CNRS, CEVIPOF), évoque en citant Gaston Bachelard : "Rien n'est donné, tout est construit".
La régénération est une idée que l'auteur a choisi d'interroger pour mieux comprendre la Révolution ; pour cela il oppose "deux modèles de l'idéologie de la régénération", l'un qui penche vers le constitutionnalisme (Le Chapelier en 1791) l'autre vers la Terreur (Billaud-Varenne en 1792-1793). Et la comparaison des deux visions de la régénération constitue l'essentiel de l'ouvrage. Comparaison fort savante et menée avec talent par l'auteur qui multiplie les références et les utilisations de cette notion, malgré tout, fort ambigüe. Au coeur du débat, bien sûr, Robespierre.
Contre le projet éducatif de Le Pelletier (1793) qui privilégiait les vertus révolutionnaires, plus importantes que le savoir et comptait sur "les fêtes décadaires, les fêtes nationales et locales, les banquets civiques et les théâtres" en fait, sur l'enthousiasme : ce que critique Condorcet qui revendique plutôt un enseignement pour lequel "il n'y a pas de vérités toutes faites, seulement des vérités vérifiées et corrigées dans les progrès de la connaissance". Ce débat est fondamental et on ne cessera de le retrouvera dans les périodes révolutionnaires un tel débat ainsi, par exemple, lors de la Révolution culturelle chinoise.
Batailles de mots ? Sans doute car les révolutionnaires parlaient beaucoup mais bataille fondamentale dont l'enjeu sera décisif pour la suite. Mirabeau, Babeuf, Boissy d'Anglas, Robespierre, Champion de Circé, Sylvain Maréchal ... Combien de définitions du droit naturel sont mobilisées, jusqu'à quel point la morale a-t-elle "envahi le droit et la politique" ? Le livre de Lucien Jaume se termine avec la référence à Ferdinand Buisson, républicain de l'époque de Jules Ferry : il faut, dit-il, que la religion et la politique se séparent.