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2 tortues qui s'enlacent

Publié le 07 avril 2024 par Desfraises
tortues s'enlacent
tortues s'enlacent

Tandis que j'assemble ici les mots les uns après les autres dans une suite compréhensible par la plupart, je songe à ma mère qui part à la dérive sans que l'on puisse établir un diagnostic définitif et donc un traitement adapté et efficace. Je m'en suis déjà ouvert ici. Son état s'était miraculeusement amélioré. Puis de nouveau la dégringolade, patatras les projets alternatifs, envolées les perspectives de vie à peu près normale, tranquille, apaisée. C'est au jour le jour que nous vivons le drame alors qu'il y a une année et demi de cela, elle jardinait, cuisinait, conduisait, rendait visite à ses sœurs en Dordogne, à ses amies, téléphonait, savait se servir d'une bêche, d'un motoculteur, d'une télécommande. Aujourd'hui, rien de tout cela n'est possible. Les mots se font des crocs-en-jambes, les idées et les actes semblent dictés par un conducteur de bus qui roulerait allègrement sur la voie de gauche, sur la voie de droite par de courts moments de lucidité, sur le trottoir et même dans le fossé, défonçant ensuite à contrecœur les pelouses entretenues des maisons en bord de route. 

Lové dans le cocon de ma petite vie marseillaise ou tapi dans ma grotte et affranchi d'interactions sociales, je lis un roman, j'écris, j'observe l'avancée de mes semis, je joue avec le chien. Je ris aussi quand mon mec m'avoue, honteux, que ses pensées sont prises en otage par la Barbichette song d'Afida Turner. Je lui propose de s'en débarrasser en la remplaçant par Juanita Banana d'Henri Salvador. 

De retour en visio, j'offre à ma mère un tour du propriétaire des plantes qui peuplent l'appartement, je lui montre les iris exfiltrés de la maison qu'elle a vendue l'an dernier et qui s'apprêtent à fleurir. Elle s'émeut devant une photo d'elle et mon père que j'ai encadrée, s'attendrit face au chien vautré dans le canapé, dit bonjour à mon mec. Le lendemain pourtant, elle me confie :

— Je t'ai trouvé un copain.

— Je suis marié, rappelle-toi, j'ai trouvé le bon et je le garde.

Comme piégée par un canular que lui aurait fait à son insu son cerveau, elle sourit de bon cœur et répond correctement à ma question quand je lui demande ce qui est gravé à l'intérieur de mon alliance. 

Lorsque ses symptômes lui accordent de minuscules répits aussi aléatoires qu'espacés, je lui raconte notre promenade, lui montre les carrés de mosaïque représentant deux tortues s'enlaçant au 28 du boulevard H à Marseille, lui annonce pour la énième fois que je viens en Charente pour son anniversaire, dans deux semaines.

Huit petits jours de congés, bientôt, une heure ou deux par jour avec elle. C'est dérisoire. Être là, à ses côtés, lui parler, la prendre dans mes bras chaque fois qu'une crise d'angoisse la terrasse, lui masser les mains, absorber avec elle le soleil, peigner de mes doigts une mèche récalcitrante de ses beaux cheveux blancs, contempler le rouge-gorge qui vient picorer les graines qu'elle et ma sœur ont versées dans la maisonnette en bois suspendue à l'arbre face à sa chambre. Et me dire, l'espace d'un court instant, que la vie n'est pas une garce. 

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Les trois billets racontant les débuts de ce voyage chaotique et involontaire :

👉 Ma mère en robe des champs

👉 Une courge dans le placard

👉 Des nouvelles du front


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