Le retour du cornichon masqué

Par Estelle Schnellmann
Depuis quelques semaines, une histoire de cornichon, à ne pas prendre avec des pincettes, défraye la chronique et défrise quelques lecteurs naïfs comme moi.
Résumons : « Des cornichons au chocolat » est un roman d’apprentissage écrit en 1983 par une adolescente du nom de Stéphanie. Elle y raconte mieux qu’un Florian Zeller, la difficulté d’être quand on a 13 ans, les parents en désaccords, les fugues, le collège, la solitude…
Stéphanie est rapidement devenue un modèle pour les fillettes comme moi qui aujourd’hui on la trentaine. On se sentait comprise, sœurs de sang (celui aussi des premières règles et de ce que cela implique de devenir femme quand on vit encore son corps d’enfant).
Stéphanie était devenue une pote, une bonne copine, l’amie que l’on aurait toutes souhaité avoir.
A l’époque, dans la préface du roman, un certain Philippe Labro applaudissait à tout rompre le talent et l’ingénuité de cette petite, saluant ce qui allait devenir selon lui un futur grand écrivain.
Lorsque j’ai appris par voie de presse il y a quelques jours que Stéphanie n’était autre que Philippe Labro lui-même, j’ai reçu en plein cœur une flèche de haute trahison.
Stéphanie, ma Stéphanie, notre Stéphanie non seulement n’existait pas et n’avait jamais existé mais en plus elle était un homme !
Imposture littéraire mais au niveau le plus vil qui soit !
On ne touche pas si facilement aux héros de notre enfance…
Gary, dix ans plus tôt publiait sous le pseudonyme d’Ajar « La vie devant soi », roman là aussi initiatique. Jusqu’à sa mort en 1980 il nia en être l’auteur ; tête sur le billot il renia ce qui fut sans doute l’un de ses plus beaux écrits.
Noblesse oblige il n’en tira pas orgueil public.
Labro fait aujourd’hui commerce frais de son roman dont les cornichons sont devenus aigres à ceux qui n’aiment pas être pris pour des andouilles, même au chocolat.
Je rejoins ainsi les propos d’Anne-Sophie sur son blog La Lettrine où elle dit que Labro s’est pour le coup pris pour Laclos.
Je pense qu’il aurait eu à gagner de garder pour lui ce secret littéraire plutôt que de réchauffer plus de vingt ans après une histoire aujourd’hui fanée.
Bien entendu, je ne m’attaque pas à la liberté de l’écrivain, d’autres avant Labro se sont essayer avec succès au pseudonyme, à l’usurpation d’identité mais il y a quelque chose qui coince par deux fois à mes yeux.
Petit un, un homme qui prend la voix d’une jeune fille pour s’adresser à un public féminin et jouer la carte de la confidence cela me fait penser à un vieux satire (mais c’est sans doute moi qui voit le mal partout) ; petit deux, le plus grave est que Labro ait fait preuve dans la préface du livre de 1983 de la plus complète autosatisfaction qui soit et qu’il réédite ce roman en espérant toucher à nouveau les royalties de son incommensurable talent.
Attention à vous Monsieur Labro, à vouloir prendre vos lecteurs pour des cornichons on peut bien finir par être chocolat !