Pénélope Zang Mba
Aya Nakamura, l'interprète Malienne, depuis peu Française, du tube Djadja, est pressentie pour interpréter du Piaf lors des prochains Jeux Olympiques. Le célèbre événement sportif réclame, de la part des pays organisateurs, que ceux-ci puissent choisir des représentants, porte-flambeaux de leur culture. Le problème liminaire, souligné à ce stade ? La représentativité. La plupart des gens hostiles à notre chanteuse répliquent que cette dernière ne peut dignement chanter Piaf, lors d'un tel rassemblement, censé magnifier la France.
Si la concernée vient de faire une chanson du sursaut de haine rencontrée
https://youtu.be/fEq-hg2vc9k?feature=shared, même aux plus hautes sphères de la politique (même si, disons-le, des dirigeants de la majorité lui ont apporté leur soutien), le rejet à l'annonce supposée de son intervention a créé un vrai tollé.Mais qu'en est-il vraiment de la chanteuse et de sa valeur artistique ? Peut-on, au nom de la bien-pensance, faire un tri définitif des artistes?
Pour tenter de présenter l'artiste, et de redorer son blason auprès des sceptiques, nous dirons qu'elle bénéficie tout d'abord d'une incroyable visibilité. Les vues de ses chansons tout comme le nombre de ses abonnés sur les réseaux sociaux témoignent de son influence. Aya, récemment naturalisée, n'a pas attendu cet honneur pour briller. Elle était déjà elle, artiste bien établie et respectée dans sa profession, pour son travail remarqué.
Après les vues, baromètre ô combien estimable de notre temps, reportant qu'Aya est aussi une transgresseuse de la langue. En découvrant Djadja, son tube au 957 millions de vues, l'enseignante de français que je suis avait vite saisi la force transgressive de son texte. Aya peut parler un français "correct", mais elle choisit de ne pas le faire, pour donner une couleur raciale et nakamuréenne à ses mots. Bien entendu rien n'est inventé, le jeune de la cité comprend ce que la chanteuse chante. Le décodeur est plutôt à livrer chez le français bon chic bon genre qui n'a jamais eu à échanger avec d'autres éléments de sa classe sociale.
Rappelons-nous du supposé "la meuf, elle est dead", attribué à Sibeth Ndiaye, qui avait déclenché une crise éruptive dans la classe politique. Mais que les bobos le sachent, le franglais est très parlé par des peuples issus de l'immigration, par des peuples d'Afrique même, et même par certains occidentaux aimant ce mélange linguistique. Aya, disais-je, aime ce travestissement de la langue, et c'est cela qui a charmé ses auditeurs : Aya chante comme on parle. La chanteuse dit avec un incroyable sens du rythme et de l'opportunisme, les situations merdiques de l'existence. Le "pu.....n" qui claque dans son refrain résonne étonnamment plus comme une frustration perçue par tous que comme une injure pure et vulgaire. De même, dans sa chanson Doggy, Aya reprend le même procédé de travestissement de la langue.
Ce langage nakamuréen est une forme de sociolinguisme, il dérange mais il fonctionne. Aya profite de son métissage culturel pour ne pas choisir. Elle est elle. Point. Que l'on se mette à la place d'un créateur, forcé d'appartenir à une culture mainstream, et que l'on puisse imaginer le soulagement que la libération de certaines attentes peut engendrer. Cette langue débridée c'est sa liberté. Son réel aussi. Et si cela lui vaut de la reconnaissance c'est peut-être parce que ça parle à d'autres aussi. Les streamings et autres vues YouTube ne se font pas tout seul.
Je termine en évoquant la revanche identitaire. Aya n'appartient pas à l'idée de la cool black, sans aucune injure ni dépréciation à son encontre. Elle est trop grande, trop ronde, trop noire, trop africaine, trop aguicheuse, pour certains, apparemment. Aya, c'est la noire qui se fiche des moules car elle... pète le moule. Et c'est surtout ça qui dérange, au fond, dans cette histoire. On a une magnifique femme noire qui agit selon son propre timing et ses propres codes. Elle n'a pas eu à tricher, à se mentir, pour être là. Et juste pour ça, je l'admire.
Pénélope Zang Mba