Aucun doute que cette Pamela est le sosie de Kamas : (…) elle écrira une autre lettre avec un ou deux mots … d'amour, peut-être …J'aime les longues introductions, les finales qui prennent leur temps avant de se taire. Chaque chanson est soignée, tant du côté des textes, et il ne fait aucun doute que l'auteure sait choisir ses mots pour les assembler en bouquets, que du côté des musiques et des orchestrations.Et puis, elle a le sens du swing. Ecoutez donc l'intro de L'inconnue de la Seine (piste 3) qui installe le suspens et qui tangue comme la barque qui oscille sur l'onde claire, légère tu files au fil de l'eau, ton plus beau sourire aux lèvres, une barque légère, ton teint de porcelaine, délicate passagère, ta longue robe en corolle est un liseron d'eau que visitent geais, fauvettes, mésanges, sitelles et pinsons.
On devrait savoir combien Kamas aime les oiseaux qui le lui rendent bien. C'est La Tangente du Corbeau qui produit l'album. Elle connait aussi les poissons, brèmes, chevesnes, gardons et ombles de fontaine qui se faufilent sous la robe d'Ophélie, la belle endormie. Pour quel amour, quel chagrin le bonheur a-t-il les yeux clos ?
La mélodie est romantique à souhait et pourtant l'issue est fatale, comme dans plusieurs de ses chansons. Pour celle-ci, le titre L'inconnue de la Seinefait référence à un fait divers qui n'a jamais été élucidé et qui a été traité en littérature comme au cinéma.
Le changement de rythme est brutal avec les suivantes (Les majorettes - pistes 4 et 5) qui démarrent tambour battant, et à grand renfort de cuivre, avec une voix rapide et scandée qui s'efface à la fin sur l'arrivée de la musique qu'on a l'habitude d'entendre jouer par les fanfares villageoises : où sont passées les majorettes qui longeaient le tour de ville alignées comme des sucettes (…) les mollets serrés, les belles épaulettes dorés, jolis petits poissons panés.
Elle évoque dans la seconde partie la joyeuse fête de la Saint-Jean, au rythme d'une marche ralentie, affirmant en écho et en canon, moi aussi un jour je serai majorette. Je tiens à la rassurer, les majorettes n'ont pas disparu de nos paysages. Je les ai vues défiler pour la fête du mimosa sur Oléron il y a quelques jours.
On retrouve avec l'allusion piscicole aux poissons panés l'humour acide (mais si juste) dont Kamas est capable. Elle nous montrera tout ce dont elle est capable dans 6V d'amour (piste 6) : J’ai pas dit oui, J’ai pas dit non, Re-précise moi ton prénom, Si oui c’est oui, Si non c’est non. Furax pas de pax aeterna… Cette chanson est une ode à l'amour fou, dévorateur, et elle y déploie une folie germanique tout en creusant le sillon du consentement qui est tant d'actualité.
On croit qu'elle confirme sa vision négative de l'amour avec Noir c'est noir (piste 7) que l'on connait par coeur. La batterie se déchaine, elle aussi et presque mutine, elle n'a qu'à atténuer certaines notes pour qu'on imagine qu'elle puisse garder l'espoir de sauver cet amour … avec fantaisie. C'était une bonne idée de nous offrir cette reprise, même si je crois qu'elle aurait bien aimé une chanson moins connue, Sur la place, de Jacques Brel, mais la Sacem lui a sans doute refusé les droits. Ce sera pour une prochaine fois.
La suivante commence avec des claquements de langue et des bruits de bouche. Elle s'achèvera par un sifflement. Les paroles évoquent encore le monde aviaire : Il lui a donné tous les noms d'oiseaux de la terre. Elle en a fait des colis-fichets, des bijoux, il a pris ses beaux yeux pour les faire valser. Le ton n'est pas joyeux et l'histoire va (encore) se terminer mal mais que c'est beau : sur son lit posé façon cimetière, avale un dernier mot, lui chante un requiem (…) elle a fait pan pan avec ses deux doigts tendus, et pan pan voilà son sourire par terre. La chanteuse ajoure des mots en anglais où j'ai cru entendre She's like Macbeth.
Elle a bien du culot de reprendre en une demi-minute la question lancinante Do You Love Me que chantait The contours en 1987 dans le film Dirty Dancing (Do U ? - piste 9). L'alternance entre morceaux longs et brefs procure d'heureux effets.
Elle m'a mordue, elle m'a croquée, (…) mon âme cuit au court-bouillon … décidément le lexique de la cuisine est autant présent que celui de la nature puisqu'après les oiseaux et les poissons, voici une redoutable tueuse, une araignée-loup du nom de tarentelle (piste 10). C'est aussi le nom d'une danse traditionnelle, justifiant que Kamas ait choisi le yukulélé et interroge à quoi bon danser le tango, danser jusqu'à la saint-Glinglin une funeste farandole …
Avec la dernière (Des hivers et des printemps - piste 11) on bascule dans un côté baroque, où les battements de tambour ont toute leur place. Il se dégage quelque chose qui nous relie au monde ancien des troubadours. Le travail de la voix est très élégant, et se développe sur une orchestration fournie.
J'ai attendu des hivers et des printemps les yeux plus loin que l'horizon, j'ai décousu ma raison, (…) La folie est douce mais définitive : chagrin mortel, coeur tombé dans le sel …
Ce troisième album marque le talent d'une grande dame qui maitrise si bien notre langue. Ça fait grandement du bien d'entendre un rock qui laisse la place à l'humour, à la tendresse et à tous les demi-tons possibles. Ceux qu'elle a plus que croisés comme Nino Ferrer ou Meredith Monk peuvent être fiers d'elle. On pourrait aussi citer des affinités avec les univers de Barbara, Catherine Ringer ou Brigitte Fontaine, alors que dans son adolescence c'étaient Véronique Sanson et Brigitte Bardot que la jeune Camille imitait dans la cour de son lycée.
Sait-elle que le Kama est une faucille, utilisée par paire (donc le pluriel s'impose), qui servait à couper les tiges des céréales et du riz ? C'est devenue une arme pratiquée dans certains arts martiaux chinois. C'est un bon patronyme pour une compositrice-interprète comme elle.
Et on continue d'espérer que le Grand Jacques fera ce qu'il faut de là haut pour qu'elle puisse glisser (au moins) un titre de lui dans son prochain album.
Désaxée de Kamas, dans les bacs le 29 mars 2024Kamas, chant / Benjamin Blackstone, guitare / Gabriel Levasseur, claviers / Antoine Rault, basse / Aide Tafial, batterie / Julien Pouletaud, réalisation et arrangements / distribution Kuroneko