Un joli pastiche de Maurits Van Overbeke publié sur Facebook pour ce premier avril. Oui, il n’y a ni honneur ni honte à naître au mois d’avril.
C’est un mois qui commence par un sac à malices, où chacun peut puiser selon son âge et son humeur. Il est étiqueté « poissons d’avril » en capitales d’imprimerie. L’employé de bureau y cherche un gros cabillaud en papier bristol, qu’il accrochera au veston du directeur. Lequel fera semblant de ne pas avoir remarqué la distinction taquine. Il circulera même plus que d’habitude dans les couloirs et les étages, où il ne rencontrera qu’amusement et euphorie. Même le trésorier et la caissière, d’ordinaire si réservés, ne pourront réprimer un sourire, quand il aura le dos tourné.Et que fait la presse ? Comme chaque année, elle s’ingénie à inventer quelque fausse nouvelle. Laquelle doit tout de même rester assez vraisemblable pour que l’abonné crédule morde à l’hameçon. Rien ne servirait d’exagérer le bobard improbable, qui serait tout de suite pris pour ce qu’il est. C’est ainsi qu’on écrirait en vain que le gouvernement va supprimer le contrôle fiscal, que telle vedette de l’écran ne boira plus que de l’eau claire, voire que le pape s’est marié en grandes pompes. Voilà en effet des dépêches teintées par trop de vraisemblance contrariée. (Notons que certains journaux à gros tirage n’attendent pas le premier avril pour publier ce genre de bobards.) En revanche, qu’on rédige un entrefilet sur le prix de l’essence qui baissera de vingt centimes, un autre sur le cannabis qui sera bientôt en vente libre ou un troisième sur la Marseillaise, qu’on ne chantera plus en souhaitant « qu’un sang impur abreuve nos sillons », et voilà le lecteur plongé dans les abysses du doute.
C’est sur ces farces et attrapes bon enfant que démarre le quatrième mois de l’année. Le soleil n’arrête plus de darder. Il flotte dans l’air une odeur de prairie humide, de terre labourée, de fringale et de pénitence. Les jardins se parent des taches jaunes dues aux genêts, forsythias, jonquilles et narcisses. Bientôt aussi aux mimosas, millepertuis et pissenlits. Dans les branches prêtes à la feuillaison, moineaux, mésanges charbonnières et rouges-gorges se hâtent de construire leurs nids. Résumons-nous : on a beau faire, le printemps sonne aux portes. Il est temps de lui ouvrir.Si tous ces phénomènes arrivent à point nommé, il n’en va pas de même pour Pâques, qui est fête variable. Depuis le Concile de Nicée (325), elle doit tomber le dimanche qui suit la première pleine lune du printemps. Mais comme la lune est notoirement fantasque, il peut se passer plus de quatre semaines entre la Pâques la plus précoce (le 22 mars) et la plus tardive (le 25 avril). Si bien que le jardinier perplexe se met à douter des dictons les mieux établis. Car si on est au balcon à Noël (fête fixe), comment être sûr qu’on sera aux tisons à Pâques (fête mobile) ? De même, comment suivre sans scrupule le conseil « après le carême, bois ton vin sans baptême », si l’année dernière, à la même date, on n’était encore qu’à Laetare ? Et si le dimanche des rameaux tombe tantôt en mars, tantôt en avril, comment en conclure que le vent ne changera pas de sitôt ? Malgré ces décalages, l’homme profitera des rameaux pour faire bénir sa branche de buis. Il en plantera de petites tiges aux quatre coins de son champ d’orge, qui va de ce fait prospérer à vue d’œil. Il en accrochera aussi au crucifix de la salle à manger et au portrait de l’oncle Jules, tombé au Chemin des Dames en 1917.Or, avril est aussi voué au Bélier et au Taureau, deux signes qui favorisent à la fois les heureux événements et les catastrophes. Parmi ces dernières, rappelons que c’est un 14 avril que le Titanic heurta un iceberg et fut envoyé par le fond emportant quelque mille cinq-cents passagers. Sachons aussi qu’Abraham Lincoln fut assassiné un 15 avril. Et qu’un 16 avril, dans la fosse 9 d’Hersin-Coupigny (Pas- de-Calais) un coup de grisou tua quarante-deux mineurs. Enfin et surtout, que c’est depuis le 26 avril 1986 que l’homme sait situer Tchernobyl sur la mappemonde. Quant aux heureux événements, parmi lesquels en compte souvent les naissances, on fêtera volontiers celle de Mahomet (le 22) ou de François d’Assise (le 29), mais on hésitera d’en faire autant pour Hitler (le 20) ou pour Lénine (le 22). Comme l’Évangile le fait dire à Jésus parlant de Judas : « Il eût mieux valu pour lui qu’il ne fût pas né ! » Encore qu’appliqué à nos deux Attila modernes, il faudrait nuancer ce propos. Ce n’est pas tant pour eux qu’il eût mieux valu ne pas naître, mais pour leurs innombrables victimes.Notons d’ailleurs qu’il n’y a ni honneur ni honte à naître au mois d’avril. Car c’est un berceau où on trouve de tout. Et à toutes les époques. Il y a du Marc-Aurèle et du Charlemagne, du Léonard de Vinci et du Kant, du saint Vincent de Paul et du Landru. Mais le dessus du panier, c’est tout de même l’infatigable traceur du profil de l’homme, j’ai nommé Alexandre Vialatte, qui naquit le 22 avril 1901 à Magnac-Laval (Haute-Vienne).