Paul et Vanessa : Chapitre 1. Vanessa/Virginie. Le rendez-vous.

Publié le 01 avril 2024 par Guy Marion

Vous êtes professeur, vous vous dirigez vers votre véhicule à la sortie des cours et vous découvrez sous l’essuie-glace un billet qui ne ressemble pas à une contravention. Et en effet, il s’agit d’une déclaration d’amour d’une de vos élèves avec rendez- vous pour le soir même. («Je t'aime, Paul, et toi ? Réponds-moi, je t'en supplie! Je serai ce soir sur le vieux port, pas loin du bar de la marine, tu me reconnaîtras facilement, je porterai une robe blanche »)

Vous rentrez chez vous et vous vous précipitez sur les fiches d’identité de vos élèves. Il s’agit bien de Vanessa. Elle a 14 ans et onze mois et le physique de Monica Bellucci.

Que faites-vous ?

Après avoir rangé soigneusement ses fiches d’identité, le professeur, torturé comme il ne l’a jamais été, se remémore le déroulé jour après jour de cette torride année scolaire. Il avait, en effet, fait exceptionnellement chaud cette année-là à Curepipe, ville pourtant réputée pour son climat idéal en été.

Vanessa était une élève sérieuse, jamais vraiment souriante, tout en retenue, très attentive en classe et qui obtenait pourtant des résultats très médiocres dans la discipline du professeur.

Cet après midi fut insoutenable et interminable. D’ordinaire, après sa petite sieste tropicale, le professeur se réveille frais comme un gardon et une nouvelle demi-journée commence, sans aucun souvenir de la matinée de cours qui précède (dans son établissement, on ne faisait cours que le matin de 7h à 13h)

Il se souvint tout à coup que la mère de Vanessa était venue spécialement de Madagascar, où elle résidait, pour la réunion parents-prof du premier trimestre et qu’elle avait demandé très courtoisement au professeur de bien vouloir donner des petits cours particuliers à sa fille qui était prête à se déplacer à mobylette jusqu’au domicile du professeur, le « chef » d’établissement refusant que des cours particuliers se tiennent au lycée La Bourdonnais.

Fidèle à son habitude, le professeur avait refusé : Pas de cours particuliers, quand bien-même la demande émanait de la fille de l’ambassadeur, c’était un principe intangible pour lui…

En ce début de soirée de l’hiver austral dans cette île magnifique de l’océan indien, le cerveau de Paul bouillonnait de culpabilité et de remords.

Pourquoi n’avait-il pas répondu favorablement à cette demande de cours particuliers, qui de toute évidence, n’était pas une demande ordinaire ?

Fallait-il être aveugle aussi pour ne pas avoir observé le repliement sur soi de Vanessa tout au long de l’année .

Mais Paul était un professeur sérieux et consciencieux totalement absorbé par la préparation de ses cours et la correction de ses copies.

"Je suis un salaud", se répétait-il en boucle ….

Dix-neuf heures sonnent à l’horloge. Il est encore temps d’enfourcher sa moto pour rejoindre Port-Louis.

Paul habite à mi-chemin entre Port-Louis et Curepipe, il lui faut à peine dix minutes pour rejoindre le port.

Que faire?

"Si je vais au rendez-vous, aurais-je la force mentale de résister à sa sensualité exacerbée ?

Cela n’est pas absolument certain et dans ce cas je suis un double salaud", conclut Paul.

"Si je n’y vais pas, j’abandonne une jeune adolescente en situation de détresse car sa déclaration ressemblait vraiment à un cri. En me défilant, je suis donc encore un double salaud"

Elle se faisait appeler Vanessa mais en réalité, son premier prénom était Virginie, Vanessa n’était que le second.

Paul l’a découvert en lisant et relisant sa fiche d’identité qu’il n’avait jamais lue auparavant.

(certains professeurs ne lisent jamais ces petites fiches de rentrée )

Il est vingt heures et Paul est toujours incapable de s’extraire de son dilemme cornélien.

Il a encore quelques dizaines de minutes devant lui mais pas plus, il sait que Vanessa n’attendra pas toute la nuit.

La moto est sortie, le moteur tourne au ralenti depuis bientôt un quart d’heure mais Paul reste prostré sur son canapé, effondré, le regard vide.

Vingt heures trente. Paul a éteint le moteur de sa Honda 750 four.

Il pense au suicide. Pas au sien, bien sûr mais à celui de son élève.

Les parents de Vanessa résident à Tananarive, Vanessa, seule à l’ile Maurice, est logée dans un internat ringard à Port-Louis; elle fait l’effort de subir quarante minutes d’autobus matin et soir pour aller au lycée, elle était prête à ajouter deux fois quinze minutes à mobylette pour se rendre au domicile de son professeur de physique et celui-ci ne bouge pas le petit doigt alors qu’elle l’a supplié de lui répondre.

Une adolescente de quinze ans peut-elle supporter cette charge psychique ?

Vingt et une heures.

Paul a pris sa décision.

La fraîcheur de la nuit tombante aidant, Paul s’est ressaisi et a écarté l’hypothèse du suicide.

"Quand on est en situation de détresse, quand on est désespéré, on ne déclare pas sa flamme et on ne fixe pas un rendez-vous."

Paul a rentré sa moto au garage, il n’ira pas au Vieux-Port ce soir.

Il espère revoir Vanessa en classe la semaine prochaine et il lui parlera après les cours.

Pas question évidemment d’avoir recours à un tiers quelconque, l’idée ne lui a même pas traversé l’esprit. D’ailleurs ce serait impossible, le Proviseur et son adjointe sont des nullités au plan humain, la surveillante générale, erreur de casting incroyable dans ce lycée qui scolarise l’élite sociale mauricienne, est une gauchiste aggravée dont les compétences au dialogue sont celles d’une truite pour la bicyclette.

Paul réglera le problème seul, comme il l’a toujours fait.

Le dimanche fut interminable. Certes, Paul était soulagé après  sa prise de décision in extremis samedi soir.

Hélas le répit fut de courte durée; il s’endormit comme une masse mais la nuit fut extrêmement courte.

" Que vais-je lui dire lundi à son retour ? 

Je ne peux pas lui dire qu’elle est trop jeune, je suis certain qu’elle me répondrait qu’elle est prête à attendre."

Quinze hypothèses de dialogue tournèrent en boucle dans son imagination de deux heures du matin jusqu’au petit jour sans qu’il puisse se rendormir.

Et cette humidité anormale pour la saison à Beau Bassin aggravait encore son calvaire.

Paul n’avait pas souhaité résider à Curepipe pour faire la coupure entre domicile et lieu de travail mais il le regrettait pour le climat privilégié de cette ville fondée par les colons français qui fuyaient Port-Louis atteint par la malaria (Curepipe tire son nom de l’activité des soldats napoléoniens, installés dans une garnison au sein de la ville avant la prise de l’île par les Britanniques en décembre 1810, dont l’une des principales occupations consistait à fumer la pipe et à la curer lorsqu’elle était bouchée; aucun rapport avec un quelconque geste érotique)

Dimanche soir, Paul s’interroge encore :

"Et si Vanessa décidait de ne pas revenir en classe lundi ?

Et si elle ne revenait plus du tout ?"

Paul regrette maintenant de ne pas avoir honoré le rendez-vous.

"Au diable la morale ! Dans l’île voisine, au lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis de la Réunion, la majorité des jeunes profs célibataires hétérosexuels ont une liaison avec une élève de seconde, première ou terminale, tout le monde le sait et tout le monde s’en fiche.

Et Baudelaire ?

Dans son recueil le plus célèbre, « Les Fleurs du Mal », près d’un tiers des poèmes sont emplis de son voyage à La Réunion. Alors que Charles Baudelaire ne resta en tout et pour tout que 45 jours sur l’île. Et moi, professeur consciencieux et dévoué depuis bientôt quatre ans au lycée Labourdonnais, je perdrais le sommeil, je ruinerais ma santé pour une simple adolescente, fût-elle fille d’ambassadeur ?

Il faut que je me ressaisisse."

Elle était fille d'ambassadeur et la couleur de sa peau était blanche.

Paul connaissait bien les filles des îles de l'océan indien.

Avant d'obtenir un poste d'expatrié à  Curepipe, il avait travaillé un an comme auxiliaire à  La Réunion après son service militaire comme VAT( volontaire de l'aide technique)

Même  s'il passait une partie de son temps libre à  préparer son agrégation - on ne la donnait pas en 1976, il lui restait suffisamment d'énergie pour répondre aux attentes insistantes de son entourage féminin. 

Et quel entourage !

Une gradation continue de marron-foncé au mat clair presque blanc, avec parfois des tons rosés ou cuivrés; une telle variété de carnation dans un si petit territoire, c'est déstabilisant pour ne pas dire complètement dingue pour quelqu'un qui a passé  toute son enfance et son adolescence dans les montagnes vosgiennes .

Variété de couleurs de peau mais aussi très grande diversité culturelle et quel appétit sexuel pour le fonctionnaire métropolitain ! 

Paul, dont le physique était pourtant banal, était quasiment harcelé (non le terme n'est pas trop fort)  par ses collègues et parents d'élèves de l'autre sexe.

Pendant quelque temps, cette atmosphère lui convenait, lui plaisait presque, mais il s'en lassa, car il ne se sentait vraiment plus libre.

 Trop maladroit pour décourager une Réunionnaise  malgache ou malbaraise, il se sentait sombrer dans une sorte d'esclavage sexuel.

Quant aux sollicitations des élèves, Paul savait bien que c'était le statut de fonctionnaire zoreil (métropolitain en langue créole ) qui était convoité. Et Paul avait une morale. Une brève aventure traumatisante avec une de ses élèves en fin d'année scolaire l'avait décidé à quitter l'île  .

Son agrégation enfin en poche, il postula  tous les ans pour obtenir un détachement dans un lycée français de l'étranger.

Il était prêt à accepter un poste en Afrique, l'important étant qu'il réussisse à s'extraire du bourbier sexuel réunionnais. 

Et le miracle eût lieu.

Paul obtint le poste très convoité de professeur au lycée français de Curepipe.

 Paul s'installa à l'île Maurice en septembre 1980. Pas question qu'il cherche à élire domicile à  Curepipe.

En allant acheter son escalope le soir en ville, Paul ne veut pas courir le risque de rencontrer une mère d'élève au physique ravageur  . Les prédatrices sexuelles, merci bien; Paul a déjà  beaucoup trop donné  à la Réunion.

Beau bassin, Bambous, Flic en Flac, les noms des villes sont plus sympathiques qu'à La Réunion. Les trajets ne sont pas un problème, Paul aura une voiture pour les jours de pluie et une moto, les salaires très confortables des expatriés dans les lycées français peuvent le lui permettre.

 Lundi matin. Le week-end le plus long de sa vie est enfin terminé. 

 Paul enfourche sa moto pour rejoindre le lycée, bien déterminé à parler à Vanessa après les cours.

 Hélas, ce qu'il avait imaginé se produisit: La place de Vanessa en classe était vide. Le lundi suivant, même scénario. 

 Paul ne revit jamais Vanessa .(L'administration du lycée a simplement communiqué à  l'ensemble des professeurs que Virginie avait mis fin à sa scolarité au lycée La Bourdonnais pour une raison inconnue.)

 Pendant la fin de l'année  scolaire, Paul mène une enquête  discrète auprès de ses collègues pour essayer d'en savoir plus sur la personnalité de Vanessa.

C'est ainsi qu'il apprend qu'au dernier trimestre de l'année  précédente , le professeur de lettres avait demandé à ses élèves de lire le romain de Bernardin de Saint Pierre que tout le monde connaît. Et au premier jour de l'année  en cours, quand les élèves ont découvert l'identité et le physique banal de leur professeur de sciences physiques (sa tête faisait penser à celle d'un mammifère marin vivant sur les littoraux de l'océan Indien) le plus pervers de la classe tourna son regard vers Virginie en lui demandant malicieusement: "Alors, c'est lui, Paul ? " Alors, alors…, c’est lui, Paul ? "

 Une bonne partie de la classe fut morte de rire. Paul qui ne comprenait pas et Virginie qui, elle, avait bien saisi la virulence de la moquerie, restèrent figés. 

C'est ce jour-là que Virginie décida de se faire appeler par son deuxième prénom, Vanessa, en prétendant que l'erreur administrative avait assez duré . Certains élèves l'appelleront Vanessa, d'autres ne changeront pas leur habitude. Débuta un imbroglio douloureux qui  poussa Virginie, qui n'était déjà pas très expansive, à se replier de plus en plus sur elle-même jusqu'à devenir froide et même taciturne.

Paul, qui était un enquêteur de la trempe de l'inspecteur Colombo, parvint à comprendre la lente mais irréversible descente aux enfers de Virginie, de plus en plus moquée  par les éléments démoniaques de cette satanée classe de seconde.

Il réussit même l'exploit de recueillir les confidences de la surveillante générale (on ne disait pas CPE à  Curepipe) pourtant d'habitude aussi fermée qu'une huître fraîchement pêchée et que Paul avait affublée de l'horrible pseudonyme de Sardine .

Sardine, qui avait aidé ( probablement même incité) Virginie à changer de prénom, essaya de convaincre Paul qu'un tel changement est un long et pénible parcours mais que c'est un droit tout comme on aurait un jour - Sardine était une visionnaire, le droit de changer de sexe.

Sardine lui déroula une théorie, fumeuse selon Paul, prétendant que lorsqu'un enfant reçoit un prénom, ce dernier vient chargé de tout un ensemble d'attentes sociales, d'inférences et d'interactions. Il est probable que cet enfant soit traité en partant du postulat qu'il a déjà certains traits de caractère : une Virginie est une bonne élève ; une Vanessa est une élève médiocre. 

"Et vous Paul, accepteriez-vous que votre fils Charles-Edouard se fasse appeler Théo ou Youssef, du jour au lendemain ?"

L'entretien que Paul avait obtenu de la surveillante générale lui avait finalement permis de retrouver un peu de sérénité. 

Virginie était perturbée, sa tentative de changement de prénom ne résolut rien, son rejet par certains élèves de la classe perdura. Paul n'était pas la cause des troubles de comportement de Virginie, la surveillante générale en était absolument convaincue. Paul qui jusque-là pensait que Sardine était une personne acariâtre et retors, révisa complètement son jugement.

Certes, politiquement, elle et lui étaient diamétralement opposés, mais elle n'était pas le monstre qu'il avait imaginé. Une fois de plus, il avait manqué de discernement et de psychologie, il était, il est vrai, professeur de sciences physiques, pas de science de l'âme .

Une semaine de vacances arriva et elle était bienvenue.

Paul en profita pour se plonger dans la lecture d'un roman érotique écrit sous pseudo par un jeune normalien agrégé de lettres modernes au style très  prometteur.Il dévora le roman en un jour et ce fut miraculeux. 

Paul était totalement rasséréné; à trente ans, il retrouva un sommeil d'enfant !

Septembre 1981: Cette rentrée scolaire, Paul la fit à reculons, il n'était pas parvenu à  rompre les ponts avec Curepipe pendant les vacances et le souvenir du regard perdu de Virginie, ce regard qu'il n'avait pas su analyser pendant sa présence, le hantait encore et  d'autant plus fort que la rentrée s'approchait.

"Faites fi du passé, lui avait dit la surveillante générale.

- Promis madame, avait-il répondu."


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