La photographie d'Erwin Olaf est un astucieux mélange de sophistication et de provocations mêlant les genres pour mieux semer la confusion et créer de multiples tensions narratives
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Biographie d'Erwin Olaf
Erwin Olaf Springveld, connu sous le nom d'Erwin Olaf, est un photographe néerlandais né le 2 juillet 1959. Sa carrière s'étend sur plusieurs décennies depuis les années 1980, couvrant à la fois des travaux de commande commerciale et des projets artistiques personnels.
Olaf a étudié le journalisme à l'École de Journalisme d'Utrecht, une formation qui a influencé son approche narrative de la photographie. Reconnu pour son esthétique soignée et sa capacité à mêler réalité et fiction, Olaf a gagné une renommée internationale pour ses contributions à la photographie d'art et commerciale.
© Erwin OlafErwin Olaf, esthétique baroque, disruption et surréalisme
© Erwin Olaf. Série : Palm Springs, 2018Le travail d'Erwin Olaf se distingue par une esthétique riche et théâtrale, marquée par une lumière maîtrisée et des mises en scène élaborées rappelant la peinture classique. Ses photographies, souvent décrites comme cinématographiques, utilisent une mise en lumière sophistiquée, ouvertement artificielle, et des palettes de couleurs saturées - parfois à la frontière du monochromatisme - pour créer des atmosphères dramatisées.
© Erwin Olaf. Série : Hope, 2005Olaf puise, de manière récurrente, son inspiration dans l'œuvre de peintres tels que Vermeer, Rembrandt, et probablement Vilhelm Hammershøi, s'appropriant leur usage de la lumière et de la composition pour conférer une manière baroque à ses images ainsi qu'une profondeur narrative spécifique de la peinture classique, qui cite et multiplie les plans de lecture possibles.
La série " Grief" (2007) tente d'évoquer l'intimisme et la mélancolie des portraits de Vermeer, tandis que " Hope" (2005) utilise des jeux de lumière dramatiques similaires à ceux de Rembrandt pour sculpter les visages et les corps, créant une tension entre lumière et obscurité, espoir et chagrin.
© Erwin Olaf. Série : Grief, 2007L'esthétique hybride d'Olaf, entre mode et photographie conceptuelle
L'aspect artificiel des photographies d'Olaf est central dans son œuvre, où chaque élément est méticuleusement contrôlé. Les décors, les costumes, et même les expressions des modèles sont soigneusement choisis pour amplifier le message visuel. Cette approche permet à Olaf de narrer des histoires complexes, où le spectateur est invité à déchiffrer les multiples couches de signification.
© Erwin Olaf. Série : Skin Deep, 201L'esthétique mise en œuvre s'apparente également à celle des magazines de mode dans le prolongement de l'activité professionnelle d'Erwin Olaf. Cette approche introduit un décalage, parfois assez violent, entre l'objet de la photographie et le motif. Un déploiement sémiotique qui oscille entre une esthétique baroque et un contenu pouvant évoquer des sujets clivants, tels que les questions de genres, d'orientation sexuelle, la déréliction, le consumérisme, la vacuité des modèles comportementaux véhiculés par les médias, le "jeunisme".
© Erwin Olaf. Série : Mature, 1999 © Erwin Olaf. Série : Skin Deep, 2015 © Erwin Olaf. Série : Skin Deep, 2015C'est ainsi que Erwin Olaf n'hésite pas à télescoper la mort de Diana Spencer, la presse people, la mise en scène millimétrique de la famille royale et l'image de marque de Mercedes, tout ceci dans une composition digne des meilleures pages du magazine Vogue.
De même le photographe de mode et des accessoires de luxe s'amuse à représenter certaines marques en utilisant les codes de ce qui est susceptible de faire "scandale". Une voie d'ailleurs que les marques haut de gamme empruntent volontiers depuis quelques décennies. Casser les codes pour mieux se différencier est un des poncifs du marketing.
C'est un procédé qu'Olaf utilise à l'envi ! Créer des images paradoxales, "disruptives", ou pour emprunter, un peu abusivement, le langage de l'histoire de l'art, de "style surréaliste".
© Erwin Olaf. Série : Royal Blood, 2000 © Erwin Olaf. Série : Fashion VictimsErwin Olaf et l'art de la citation
La photographie d'Olaf est truffée de citations explicites ou plus ou moins dissimulées.
Les références au cinéma sont nombreuses qu'il s'agisse de la froide distance esthétique des films d'Alfred Hitchcock. Marnie ou Vertigo ne sont jamais très loin ! Ou des troubles et dislocations narratives de David Lynch. Là encore Lost Highway ou Blue Velvet semblent habiter constamment les images du photographe, ceci jusqu'aux plantes grasses, omniprésentes dans le cinéma de Lynch.
© Erwin Olaf. Série : Hope, 2005 © Erwin Olaf. Série : Le Dernier Cri, 2006Certaines séries photographiques d'Erwin Olaf sont des reprises assumées du corpus de grands noms de la photographie.
La série Chessmen (1987-88) est, par exemple, une reprise des thèmes et de l'esthétique de Joel-Peter Witkin qui a consacré tout son travail aux hybridations les plus improbables.
Witkin, c'est en quelque sorte l'univers documentaire de Diane Arbus - qui s'est consacrée aux êtres en marge de la société, les nains, les trisomiques, les transsexuels, les "fous", etc. - couplé au surréalisme le plus morbide.
© Erwin Olaf. Série : Chessmen, 1987-88On peut également déceler des influences plus discrètes chez Olaf, notamment le travail de Larry Sultan qui s'est évertué durant toute sa carrière à montrer que le médium photographique - la saisie hors contexte, l'isolement du cadre - est probablement un des plus ambiguës et trompeurs.
C'est ainsi que Larry Sultan réalise entre 1988 et 2002 une série de photographies (The Valley) de maisons bourgeoises de Los Angeles. Il se concentre pour partie sur les détails décoratifs, entre mauvais goût ostentatoire, réalité sociale et artifice. Or tous les lieux pris en photographie par Larry Sultan le sont en marge de tournages pornographiques utilisant la pompe des lieux.
© Larry Sultan. San Francisco SocietyNombre des clichés d'Erwin Olaf pourraient se réclamer de la démarche de Larry Sultan mais également de son esthétique baroque, fortement teintée d'ironie.
Dans la série Ladies Hats (1985-1994) le photographe convoque Robert Mapplethorpe. Il y a bien d'autres filiations à suivre, notamment Fellini, Andres Serrano, Cindy Sherman, etc.
© Erwin Olaf. Série : Ladies Hats, 1985-1994Parmi les constantes que l'on peut souligner dans ces hommages et citations, il y a l'obsession pour la peau, l'épiderme ; la corporéité ; le solipsisme ; ainsi que ce qui gravite autour des problèmes de l'identité et du genre.
Erwin Olaf et la Mise en Scène Photographique
Olaf est souvent associé à la Staged Photography, un genre où la mise en scène prévaut. Ses œuvres, caractérisées par une précision quasi-cinématographique, s'inscrivent pleinement dans cette tradition.
Chaque photographie d'Olaf est le résultat d'un processus créatif minutieux, où rien n'est laissé au hasard, depuis la conceptualisation jusqu'à la post-production. Cette approche, qui contraste avec le caractère spontané ou documentaire de certains courants photographiques, souligne la préférence d'Olaf pour des compositions hautement élaborées, renforçant ainsi son appartenance à la Staged Photography.
© Erwin Olaf. Série : Palm Springs © Erwin Olaf. Série : Fall, 2011-2013Erwin Olaf reprend certains des traits les plus marquants de la Staged Photography.
Le plus évident des emprunts est bien entendu l'image photographique construite comme un tableau, les fameux tableaux photographiques de Jeff Wall en sont les meilleurs exemples.
On remarque également le caractère catatonique des personnages mis en scène. Alors que chez Jeff Wall ou Phillip-Lorca diCorcia il y a un aspect documentaire reconstruit supposant le mouvement, Olaf penche plutôt du côté de Gregory Crewdson qui fige ses modèles dans des attitudes évoquant l'isolement, la déréliction.
© Erwin Olaf. Le Dernier Cri, 2006Le photographe néerlandais force encore le trait par des maquillages transformant les visages en masques impassibles de poupées, de robots, d'êtres artificiels comme s'ils étaient davantage des signes que des personnes. Des persona, autrement dit, des masques issus des conventions dominantes, des stéréotypes !
Engagement et Réflexions Sociétales
L'engagement politique et social d'Olaf est un aspect fondamental de son œuvre. À travers ses projets personnels et ses commandes, il aborde des thèmes tels que la diversité, l'identité de genre, et les droits des minorités.
Par exemple, sa série " Royal Blood" (2000) ne se contente pas de revisiter l'histoire de figures royales assassinées mais invite à une réflexion sur le pouvoir, la violence, et la vulnérabilité.
De même, " Shanghai" (2017) explore les tensions entre tradition et modernité, soulignant les impacts de la globalisation sur l'identité culturelle.
© Erwin Olaf. Série : Shanghai, 2017Publications et Expositions d'Erwin Olaf
Olaf a publié de nombreux livres qui offrent un aperçu exhaustif de son travail artistique et commercial.
Parmi ses publications notables, on trouve "Erwin Olaf: I Am" (2019), une rétrospective qui couvre 40 ans de carrière, mettant en lumière sa maîtrise technique et sa capacité à aborder des questions sociales avec profondeur.
"Silver" (2003), célèbre le 25e anniversaire de sa carrière et montre son penchant pour la mise en scène soignée et l'esthétisme. "Grief", "Hope", et "Rain" sont d'autres exemples qui détaillent des séries spécifiques, soulignant son habileté à transmettre émotions et récits à travers ses images.
© Erwin Olaf. Série : Skin Deep, 2015Les expositions d'Erwin Olaf ont été présentées dans des galeries et musées du monde entier, affirmant son statut dans le domaine de l'art contemporain. Ses œuvres ont été exposées au Rijksmuseum à Amsterdam, où "Erwin Olaf: The Siege and Relief of Leiden" (2011) a établi un dialogue entre ses photographies et les chefs-d'œuvre de l'âge d'or néerlandais.
D'autres expositions significatives incluent "Erwin Olaf: Liberty / Grief & Hope" au Museu da Imagem e do Som à São Paulo et "Erwin Olaf: 40 Years of Photography" en Chine, démontrant l'attrait et la résonance universelle de son travail.
© Erwin Olaf. Série : April Fool, 2020Le travail d'Erwin Olaf est saisissant en ce qu'il imbrique des champs sémiotiques et formels très distants les uns des autres, voire contradictoires. Les paradoxes d'Erwin Olaf se nourrissent de tensions narratives, esthétiques, symboliques et idiosyncrasiques qui induisent le doute. Il nous encourage, dans le silence et la distance de ses images, à une lecture plus attentive aux détails et contradictions apparentes.
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