Fanny Ardant, singulière et absolue

Publié le 21 mars 2024 par Sylvainrakotoarison

" C'est magnifique de pouvoir tout d'un coup inventer une chose qu'on aurait aimée. (...) Dans ces mensonges, on va peut-être avoir l'occasion de s'infiltrer pour dire une vérité. " (Fanny Ardant dans "Apostrophes", émission animée par Bernard Pivot).

L'actrice française
Fanny Ardant fête son 75 e anniversaire ce vendredi 22 mars 2024. Celle qui a incarné à la fois la liberté absolue, la jeunesse, hors des codes, est-elle devenue une vieille dame ? Sûrement pas ! " Depuis que je suis une petite fille, j'ai l'impression d'avoir mille ans ! ", confiait-elle à Pierre Mathieu dans "La Dépêche" le 24 novembre 2013.
En tout cas, elle n'a pas peur de se montrer âgée. Elle n'a jamais été convaincue par la chirurgie esthétique (tant pis pour Olivier Véran !) et c'est pour cette raison qu'elle a été recrutée par la réalisatrice Carine Tardieu pour son film "Les Jeunes Amants" (sorti le 2 février 2022) où une femme de 71 ans, veuve, rencontre l'amour avec un homme marié de 45 ans (avec Melvil Poupaud, Cécile de France et Florence Loiret Caille). C'est sa mère et sa grand-mère qui l'ont toujours convaincue d'assumer son âge. Pourtant, Fanny Ardant n'a pas toujours accepté son corps. Adolescente, elle se croyait laide et se maquillait à outrance. De même qu'elle n'a jamais voulu dévoiler sa nudité derrière la caméra, ce qui est assez rare pour une actrice d'une telle importance ( " Je ne me suis jamais montrée nue à l'écran. C'est un truc personnel, je ne porte aucun jugement, mais si pour certains le rapport au corps est clair et net, pour moi, il l'est beaucoup moins. (...) La nudité totale filmée, c'est trop réaliste. D'un seul coup, on considère le corps de l'autre. Ce n'est plus le corps du personnage, c'est celui de l'actrice. " disait-elle à Léa Cardinal dans "Gala" le 27 janvier 2022). On la retrouve toujours avec des bagues à chaque doigt, une croix tatouée sur une paume, deux yeux hypermaquillés, etc.
Dans son documentaire diffusé sur Arte le 27 septembre 2023, le réalisateur William Karel, qui a eu la chance d'avoir aussi été le photographe de François Truffaut pour ses deux derniers films, toujours excellentissimes, "La Femme d'à côté" (sorti le 30 septembre 1981) avec Gérard Depardieu et Henri Garcin, et "Vivement dimanche !" (sorti le 10 août 1983) avec Jean-Louis Trintignant, qui ont été les deux premiers grands films de l'actrice en rôle principal, William Karel l'a décrite comme un ovni du cinéma français : " Elle a continué à s'affranchir des codes comme aucune autre, jusqu'à incarner dans le cinéma français une figure de liberté, une actrice à part, insaisissable, incandescente, rebelle dans l'âme, imprévisible et anticonformiste. ".
Elle se prenait tellement au jeu de la caméra et de son anticonformisme singulier qu'elle a proposé à Williarm Karel qui voulait faire un documentaire sur elle d'en faire un complètement faux, en quelque sorte, de construire une fake-news ! Et en effet, elle s'est mise à évoquer son enfance, une fausse enfance, avec un faux papa qui aurait été accessoiriste, ce qui lui aurait permis de jouer le bébé du landau qui roulait sur les marches du grand escalier dans le film culte d'Eisenstein "Le Cuirassé Potemkine", etc. La tromperie est très grosse puisque les dates ne coïncident pas, elle n'est née qu'en 1949 alors que le film est sorti le 24 décembre 1925, mais c'est justement sa pudeur de se retrancher derrière un masque, derrière une histoire fausse, derrière une vérité alternative... (chaque scénario de fiction est une vérité alternative, c'est le quotidien d'un comédien).
Son regard mystérieux donne une sorte de parallèle avec les hommes : elle est à Catherine Deneuve ce que Jean-Louis Trintignant est à Alain Delon. On a redécouvert d'ailleurs les relations tumultueuses entre Fanny Ardant et Catherine Deneuve dans le très intéressant film de François Ozon, "Huit femmes" (sorti le 6 février 2002), avec aussi Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Danielle Darrieux, Ludivine Sagnier, Virginie Ledoyen, Firmine Richard, etc.
Fanny Ardant a sans doute été la première actrice à laquelle j'étais secrètement amoureux, comme de nombreux de mes congénères ! Sa diction parfaite (qu'elle a utilisée pour des séances de lecture et pour le théâtre), avec ce petit air d'aristocrate, appuyé de ce regard si profond et secret, m'avait définitivement conquis. Elle était ce qu'on pouvait dire "classe" ! Peut-être aussi parce qu'elle est la première femme (la seule ?), à ma connaissance, qui apprécie le désordre, les fouillis ?

Aristo, elle l'était un peu puisque son père, officier de cavalerie, était un grand copain du prince Rainier de Monaco où elle a passé son enfance. Honteuse de sa haute taille, elle se réfugia, solitaire, dans la lecture devenue sa passion (elle habite près d'une librairie) et son seul rêve était de déclamer la littérature, de jouer au théâtre, de sortir ces tirades parfois longues comme pour sortir de tous ses complexes d'adolescente. Et son père l'a accepté, cette famille aisée mais stricte (elle a été scolarisée dans un pensionnat sévère qui lui a donné le goût de la rébellion et surtout de la liberté, le même que celui de Caroline de Monaco) qui lui a permis de faire des études au conservatoire après ses années à l'Institut d'études politiques (IEP) d'Aix-en-Provence. Le théâtre, au début, était donc plus une activité annexe alors qu'elle comptait avoir un vrai métier avec son diplôme de sciences politiques en relations internationales en poche.On lui reprocha aussi ses fidélités à des anciennes stars du cinéma qui sont maintenant controversées : elle a soutenu ainsi
Elle a eu sa chance avec Nina Companeez pour une série télévisée, "Les Dames de la côte" (diffusé à partir du 22 décembre 1979 sur Antenne 2, avec Michel Aumont, Edwige Feuillère, Hélène Vincent, Hélène Duc, Francis Huster, Denise Grey, Françoise Fabian, etc.) qui a très bien marché. Mais c'est avec François Truffaut, foudroyé par un coup de foudre en voyant cette série télévisée, qu'elle a amorcé sa carrière de star. Il voyait en Gérard Depardieu, acteur simple qui est en fait un homme compliqué, et en Fanny Ardant, actrice compliquée qui est en fait une femme simple, un couple particulièrement original et riche en ambiguïté, qui a fait de cette histoire terrible dans une banlieue lointaine de Grenoble, "La Femme d'à côté", un grand classique du cinéma français. Roman Polanski en 2022, Gérard Depardieu en 2023 ( " Si vous trahissez votre ami, vous êtes une balance ! "), etc.
Ce fut le grand amour, hélas gâché par un cancer du cerveau qui a emporté le grand réalisateur à seulement 52 ans. Dans "Le Monde" du 14 mars 2021, Fanny Ardant revenait sur François Truffaut : " Il y avait chez François Truffaut ce que j'ai toujours aimé chez les êtres passionnés par ce qu'ils font, ce qu'ils disent, ce qu'ils sont. François était un outsider, quelqu'un qui s'était fait tout seul, il n'avait pas de snobisme, il ne cherchait pas à plaire, il ne se vendait pas. Comme moi, il mettait l'amour au-dessus de tout. Il m'a réconciliée avec la douceur. Il m'a appris qu'on pouvait être doux et passionné à la fois, avoir des fêlures, des excès. Il est mort et tout a sombré. (...) Très jeune, l'idée de la mort m'a accompagnée, peut-être à cause de mon éducation religieuse. Je n'ai pas attendu de la connaître pour savoir qu'elle arrivait très vite, j'ai toujours eu le sentiment de l'éphémère. Pourtant, il y a eu un avant et un après. C'est comme si j'avais mis longtemps à plonger et que quand j'avais réussi à le faire, la piscine s'était vidée. Je me suis fracassée. ". Truffaut lui a laissé quand même une fille, Joséphine, deuxième d'une "fratrie" de trois filles.
Elle a reçu, entre autres récompenses, le César 1997 de la meilleure actrice pour "Pédale douce" de Gabriel Aghion (sorti le 27 mars 1996, avec Patrick Timsit, Richard Berry, Michèle Laroque, Jacques Gamblin, etc.), l'Ours d'argent de la meilleure contribution artistique à la Berlinale de 2002 pour "Huit femmes" (pris partagé avec les sept autres actrices), le César 2020 de la meilleure actrice dans un second rôle pour "La Belle Époque" de Nicolas Bedos (sorti le 6 novembre 2019, avec Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Pierre Arditi, Doria Tillier, Denis Podalydès, etc.). Elle a eu en outre six autres nominations pour les Césars et deux nominations pour les Molières.
L'exquise marquise Fanny a eu de la chance, dans sa carrière : " Mon seul luxe, ma seule liberté, c'est de n'avoir fait que des rôles que j'aimais. Donc, chaque fois que j'allais sur un plateau de cinéma, j'étais très heureuse. C'était une joie intense. ". Au cinéma, au programme, beaucoup de réalisateurs prestigieux : François Truffaut, Alain Resnais, Anne Fontaine, Claude Lelouch, Nadine Trintignant, Costa-Gabras, Michel Deville, Claude Berri, Sydney Pollack, Patrice Leconte, Diane Kurys, François Ozon, Jean Becker, etc.
Mais aussi à la télévision, souvent avec Josée Dayan (elle a joué Alexandra Federovna dans "Raspoutine" diffusé le 25 décembre 2011 sur France 3, avec Gérard Depardieu dans le rôle de Raspoutine), etc. Elle a fait aussi beaucoup de théâtre (de 1976 à 2019), elle a chanté, lu des textes (elle a enregistré une quinzaine de livres audio)... et a même participé au clip de "Madame rêve" d' Alain Bashung en 1990. Enfin, elle a réalisé quatre films donc "Le Divan de Staline" (sorti le 13 novembre 2016) avec Gérard Depardieu et Emmanuel Seigner.
L'actrice admire énormément la philosophe Simone Weil et Marguerite Duras. Elle refuse aussi la demi-mesure : " Je refuse ce que j'appelle le "complexe de la caisse d'épargne", cette petite réserve à côté, au cas où. J'aime la phrase de Bernanos  : "J'ai compris que vivre était un risque mais que c'était un risque à courir". C'est encore plus vrai à notre époque, où on cherche à traverser la vie et ses combats sans douleur. Tout ce qui m'a bouleversée dans la vie m'a donné envie de vivre encore plus ou de mourir tout de suite. " (22 novembre 2023 dans "Vanity Fair").
Fanny Ardant n'hésite pas à choquer par des déclarations qui peuvent sembler intempestives simplement parce qu'elle est mue par un sentiment d'extrême liberté. Parfois, elle, qui se sent simple et ordinaire, ne se rend pas compte que sa parole compte plus d'autres, en tout cas, plus qu'elle ne le pense et qu'elle devrait faire preuve d'un peu plus de prudence. Ainsi en est-il de l'expression de son antiaméricanisme et de son soutien à la Russie en 2017, sans rien connaître ni surtout comprendre la géopolitique (elle l'a reconnu : à chacun son métier, mais alors, pourquoi évoque-t-elle ces sujets ?).

Interviewée par "Vanity Fair", Fanny Ardant a convenu qu'elle aimait les clivages :
" C'est au cours de mes études à l'université que j'ai rencontré des camarades, des adversaires ou des alliés dans la façon de penser le monde, la politique. Une des grandes richesses de l'être humain, c'est la conversation. J'aime la dialectique. Même s'engueuler : quand on se dispute, il faut nourrir et étayer sa pensée pour argumenter et convaincre... S'exposer dans le verbe, se lancer dans la polémique, ça architecture la pensée, dès le plus jeune âge. (...) Toutes les conversations, les argumentations, les disputes me passionnent... J'ai toujours aimé parler à un enfant. Je mets toute ma force à leur faire aimer les loups. "Oui mais ils mangent les autres". "Et toi, tu manges bien du poulet". Plus difficile, j'essaye de leur faire aimer Dracula. "Mais tu le connais, Dracula ?" ils me demandent. "Oui, les jours de grand vent, j'entends quelqu'un qui frappe à ma fenêtre, j'ouvre, et là il y a Dracula qui dit  : 'Je veux entrer'. Et tu sais, il m'a dit que si j'avais n'importe quelle sorte de problème, il viendrait m'aider". Alors après, si je prends le métro avec cet enfant, et s'il me dit  : "Mais pourquoi tu t'assieds pas là  ?", je lui dis  : "Parce qu'il y a Dracula". Donc lui, sur ce strapontin vide, il ne s'assied pas, jamais. " (22 novembre 2023).
L'un de ses derniers films est sorti le 20 décembre 2023, "Ma France à moi" de Benoît Cohen ; elle joue une veuve, la vraie mère du réalisateur, qui prend sous son aile un réfugié afghan. Mais ce n'est pas son dernier film sorti puisqu'il y a aussi "Les Rois de la piste" de Thierry Klifa sorti le 13 mars 2024, avec Mathieu Kassovitz, Laetitia Dosch et Michel Vuillermoz ; Fanny Ardant y joue une sorte de mamie arnaqueuse chef de gang. Et elle a encore d'autres films en préparation pour continuer de faire rayonner son magnétisme fatal...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Fanny Ardant.
Alain Bashung.
Alain Chamfort.
Sophia Aram.
Plastic Bertrand.
Micheline Presle.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Comment va Alain Delon ?
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240322-fanny-ardant.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/fanny-ardant-singuliere-et-absolue-253353