"Maintenant, la graisse suantait par les gerçures de la peau, activant la flamme qui gagnait le ventre. Et Félicité comprit que l'oncle s'allumait là, comme une éponge, imbibée d'eau de vie. Lui même en était saturé depuis des ans, de la plus forte, de la plus inflammable. Il flamberait sans doute tout à l'heure, des pieds à la tête."
.../...
"Tout l'oncle était là, dans cette poignée de cendre fine, et il était aussi dans la nuée rousse qui s'en allait par la fenêtre ouverte, dans la couche de suie qui avait tapissé la cuisine entière, un horrible suint de chair envolée, enveloppant tout, gras et infect sous le doigt.
C'était le plus beau cas de combustion spontanée qu'un médecin eût jamais observé."
Emile Zola. "Le Docteur Pascal". 1893.
La combustion spontanée de ce vieil enfoiré d'ivrogne d'Antoine Macquart est un des morceaux de bravoure du Docteur Pascal, le roman qui clot le cycle des Rougon-Macquart.
Si la pipe sert de boute feu, c'est bien le corps qui flambe, du fait de la graisse mais aussi de l'alcool qui imbibe l'oncle depuis si longtemps.
Mais où donc Zola allait-il chercher tout çà !?
Dans ce qui l'entoure.
Au XIXème siècle, et depuis quelques siècles déjà, les combustions humaines spontanées sont un sujet d'études et relèvent sinon du quotidien du moins du champ des possibles.
En témoigne un délicieux petit livre publié en l'an VII (1800) :
"Essai sur les combustions humaines, produites par un long abus des liqueurs spiritueuses"
L'auteur est Pierre-Aimé Lair.
Oh joie ! l'exemplaire en ma possession est accompagné d'un envoi autographe de l'auteur : "A Madame de Houdetot (douairière ?) de la part de Mr Lair, membre de l'académie de Caen et conseiller de Préfecture"Oh joie ?
Oui, joie.
Car Madame d'Houdetot, née Élisabeth
Françoise Sophie Lalive de Bellegarde, est une salonnière connue par le livre IX
des Confessions (et par la Nouvelle Héloïse) dans lequel Jean-Jacques
Rousseau
rapporte la passion qu’il lui porte. En vain, comme souvent avec Rousseau.
C'est elle qui lui inspire ceci : « Nous étions ivres d’amour l’un et
l’autre, elle pour son amant, moi pour elle ».
Car Elisabeth d'Houdetot fit scandale par le ménage à trois qu'elle mena avec son mari et son amant.
Qui n’était pas Jean-Jacques.
A la parution de ce livre elle avait 80 ans, et je me demande comment elle, qui semblait si fine, a réagi à sa lecture !?
Car dédié à Alexandre Brongniart (minéralogiste, fils de l'architecte), ce livre évoque et théorise les combustions spontanées d'ivrognes.
De femmes ivrognes, car les femmes sont plus spongieuses. Ce qui leur fait stocker l'alcool qui n'est pas métabolisé et s'accumule donc dans les graisses, spongieuses comme chacun sait.
Au bout d'un certain temps d'ivrognerie, il ne suffit plus que d'approcher une source de chaleur pour que la femme, cet incendie sur pattes, s'embrase. Et la Messe est dite : elle se consume (sauf ses extrémités : mains, pieds, voire tête qui sont le plus souvent préservées).
Oui, le corps de la Femme est sujet aux embrasements. Surtout quand elle est alcoolisée.
Intéressante théorie que Lair pose en 8 observations "rationnelles" (que Zola reprendra fidèlement, si ce n'est qu'Antoine Macquart est un homme).
La première est que :
"Les personnes qui ont éprouvé les effets de la combustion, faisaient depuis longtemps abus de boissons spiritueuses."Vous trouverez les suivantes sur la photo ci-dessous :
Mais pourquoi les femmes ?
Simple et déjà dit : elles sont s-p-o-n-g-i-e-u-s-e-s !
Quant au risque accru chez les femmes âgés il est facile à comprendre : elles ont une vie de plus en plus sédentaire quand leur âge avance, or "la vie sédentaire surcharge le corps d'hydrogène".
J'adore.
J'adore d'autant plus qu'à ce stade, rappelons que la dédicataire de mon exemplaire, Elisabeth d'Houdetot, était âgée de 80 ans lors de la parution de ce charmant ouvrage ... dont je ne sais si elle le reçut comme un ouvrage, ou bien comme un outrage.
Quoiqu'il en soit :
"Il ne faut donc pas être étonné si les vieilles femmes, ordinairement plus grasses et livrées à l'ivrognerie, souvent immobiles comme des masses inanimées, sont plus susceptibles, dans un moment d'ivresse, d'éprouver les effets de la combustion".Mais d'où vient l'étincelle initiale ? comment le feu prend il ?
Simple.
Voire élémentare :
"Les ivrognes ont une haleine vineuse, que l'on sent d'assez loin : les émanations spiritueuses de leur bouche doivent être très-inflammables ; souvent même leur estomac, trop plein de liqueurs, rend une partie de celles qu'ils ont bues. De là on pourrait attribuer l'accident de la combustion au voisinage d'une lampe ou d'une chaudière allumée, avec lesquelles leur haleine ou leur vomissements spiritueux auraient communiqué.J'arrête là la lecture commentée de ce livre qui compte tout de même 100 pages pour passer directement à sa conclusion (que Zola n'a pas démentie dans "L'Assommoir") et qui permettra de le resituer (l'excuser ?) dans un contexte historique de lutte contre ce fléau majeur : l'alcoolisme causé par les alcools forts et de qualité douteuse.
L'Abbé Adam, professeur de philosophie à Caen, citait souvent l'exemple d'une femme ivrogne qui, approchant de sa bouche une chandelle pour l'éteindre reprit son haleine ; le feu, par l'effet de l'inspiration, gagna subitement l'intérieur de son corps, et le consuma."
"Je me trouverais heureux, si ce côté du tableau des funestes effets de l'ivrognerie, pouvait faire impression sur quelques personnes, et sur-tout sur les femmes qui en sont les plus déplorables victimes. Peut-être les détails effrayans d'un mal aussi épouvantable que celui de la combustion, préserveront-ils les buveurs de ce vice honteux. Plutarque dit qu'à Sparte on détournait les enfans de l'ivrognerie, en leur présentant le spectacle d'esclaves ivres, qui, par leurs contorsions hideuses, faisaient entrer dans l'âme des jeunes spectateurs un tel mépris, qu'ils ne s'enivraient jamais. Cependant cet état d'ivresse n'était que passager. Combien n'est-il pas plus effrayant dans ces malheureuses victimes consumées par les flammes, et réduites en cendres ? Puissent les hommes n'oublier jamais que la vigne produit quelquefois des fruits bien amers, les maladies, la douleur, le repentir et la mort"
Au moment de clore ce billet je dois avouer un faiblesse coupable non pour l'alcool (encore que ...) mais bien pour ce genre de petit bijou totalement surréaliste.
Et pas exempt de reproches.
Alors, peut-être que dans deux siècles je trouverai tout aussi adorables les niaiseries actuelles qui sont à l'origine de la plupart de mes billets critiques ?
Dans deux siècles ... si je ne me suis pas embrasé d'ici là !
Car j'avoue me sentir plus proche d'Albert Henri de Sallengre que de Pierre-Aimé Lair ...
"L'Eloge de l'Yvresse". 1714.
Albert Henri de Sallengre