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Carl Andre, géant du minimalisme mais jugé pour le meurtre d’Ana Mendieta, est décédé il y a quelques semaines à l’âge de 88 ans. Dans le communiqué de presse annonçant sa mort, la galerie Paula Cooper avec laquelle l’artiste travaillait depuis 1964, rappelle que “Carl Andre a redéfini les paramètres de la sculpture et de la poésie grâce à son utilisation de matériaux industriels et à une approche innovante du langage.”
Carl ANDRE (1935-2024) s’est en effet fait connaître dans le monde de l’art new-yorkais des années 1960 avec une œuvre austère mais sensible, qui met les matériaux, l’environnement et l’expérience au cœur du système. Ce que souhaitait l’artiste, c’était “une sculpture libre de toute association humaine, une sculpture qui permettrait à la matière de parler d’elle-même”, déclarait-il à The Economist en 2000. Ainsi, son travail consistait souvent en des formes fabriquées industriellement à partir de matières premières simples, telles que le métal, le granit, le bois et la brique. Des sculptures dont les modules sont disposées selon des motifs autoportants où installés au sol afin que le spectateur puisse marcher dessus. Cette figure totémique du minimalisme affiche une vie et une carrière coupées en deux, avec un avant et un après Ana Mendieta.
Un pionnier du minimalisme au coeur de graves controverses
Andre obtient un diplôme de la Phillips Academy d’Andover, dans le Massachusetts, grâce à une bourse. En 1954, il se rend au Royaume-Uni et découvre le site de Stonehenge qui aurait été déterminant dans sa décision de se lancer dans la sculpture. Après un an dans l’armée, il déménage à New York en 1956. Il y rencontre le sculpteur roumain Constantin Brancusi, dont il dira plus tard que le travail fut essentiel pour façonner sa propre pratique, notamment ses premières œuvres en bois de la fin des années 1950.
En 1958, il rencontre l’artiste Frank Stella, en plein essor à l’époque. Stella lui permet d’utiliser son atelier et cet accord entre les deux artistes, qui perdure jusqu’en 1960, permet à Carl Andre de travailler sa série Element, faite de morceaux de bois pré-découpés et disposés selon des formes rythmiques. Par la suite, il se lance dans ses œuvres les plus célèbres, celles de la série Plaines et Carrés, composées de fines plaques de métal agencées en damier sur le sol, sur lesquelles les spectateurs étaient invités à marcher. Les œuvres de cette série sont aujourd’hui les plus cotées, certaines s’échangeant à plus de deux millions de dollars aux enchères.
Carl André : nombre de lots vendus(copyright Artprice.com)
Sa première exposition personnelle, organisée par Henry Geldzahler à la galerie Tibor de Nagy de New York, arrive en 1965 et cinq ans plus tard, ses œuvres sont exposées au Musée Guggenheim pour sa première rétrospective à New York. Le succès est alors au rendez-vous mais sa carrière va être mise à mal par une immense tragédie.
En 1985, Carl Andre est en effet accusé du meurtre de sa troisième épouse, l’artiste Ana Mendieta, décédée suite à une chute de 34 étages depuis la fenêtre de leur appartement à Greenwich Village. Il nie avec ferveur toute implication dans cette tragédie et il est acquitté en 1988. Cependant, la controverse autour de la mort d’Ana Mendieta et de la décision de justice déclenchent des manifestations en marge des expositions de Carl Andre dans les années qui suivent. En 1992, 500 manifestants rassemblés par la Women’s Action Coalition font bloc devant le SoHo Guggenheim car une sculpture d’Andre fait partie de l’exposition inaugurale. Certaines militantes, dont le groupe artistique féministe Guerilla Girls, comparent même le procès de Carl Andre au tristement célèbre cas d’O.J. Simpson. L’artiste déménage en Europe pendant plusieurs années après la fin du procès et les controverses liées au drame ralentissent quelque peu l’essor de sa carrière.
Carl André : nombre de lots vendus par gamme de prix en 2023 (copyright Artprice.com)
L’artiste a créé plus de deux mille sculptures et un nombre égal de poèmes tout au long de sa longue carrière. Mais de cette création pléthorique, seules 10 à 20 œuvres passent annuellement sur le marché des enchères, généralement aux États-Unis et plus sporadiquement au Royaume-Uni. Le tiers de ses oeuvres s’échangent entre 10 000 et 50 000$, à l’image de l’installation appelée Joseph and Louise (1992), vendue chichement pour 20 300$ (son estimation basse) en décembre dernier, bien qu’elle soit issue de la prestigieuse collection d’Emily Fisher Landau (Sotheby’s). Timide également fut le résultat d’une grande sculpture en bois issue de la superbe collection Mallin, Sphinges (1985), restée dans la fourchette basse de son estimation à 406 400$ en février 2023, malgré des dimensions majestueuses de près de cinq mètres sur cinq.
Son contemporain et ami Frank STELLA (1936) affiche un marché bien plus dynamique : dix fois plus d’oeuvres se retrouvent aux enchères dont un record établit à 28m$ (Point of Pines, 1959), lorsque le sommet enregistré pour Andre est dix fois moindre : 2,9m$ pour Copper-Steel Alloy Square (1969), un damier métallique des années 60, vendu chez Christie’s en 2019.